Le portrait de "François Hollande.
Président" par le photographe Raymond Depardon a fait couler beaucoup
d'encre et donné lieu à de nombreux commentaires. Mais si Depardon avait
tout raté comme il le voulait ? Juste le ratage souhaitable... La
preuve de son génie artistique ?
Depardon a tout raté comme il le voulait pour
le portrait de François Hollande président. Pas plus qu’il n’était
nécessaire. Juste le ratage souhaitable. Mais une photo ratée de
Depardon, c’est encore une œuvre d’art ?
La
photographie comme la peinture, en tant qu’œuvre artistique, est d’abord
une affaire de la volonté. Il n’est pas d’œuvre d’art qui vienne à
l’artiste, comme ça, par hasard, parce qu’ici et maintenant, il se
serait cassé la figure de son cheval et il aurait « vu ». Et donc,
peint, écrit, sculpté et photographié, il n’y a pas d’art accidentel. Quand on réalise une œuvre, c’est qu’on l’a voulu.
Ensuite, la question est de savoir si l’œuvre est réussie. Si c’est
vraiment une œuvre d’art. La photo de communiant du petit neveu avec son
appareil offert par sa marraine ne peut pas donner grand-chose. Ou bien
ce serait un accident. Mais comme il n’y a pas d’art-accident...
En
revanche, la photo prise par un artiste a plus de chance d’être une
œuvre d’art. Parce que l’artiste a l’œil, il est entraîné, la technique
il l’a maîtrise totalement, il sait qu’il faut vouloir. Il sait que
le hasard n’y est pour rien. Il sait que l’œuvre est un projet et
l’aboutissement du projet. Donc, quand l’artiste arrête son choix sur une photo ratée, c’est qu’elle répond à un programme artistique.
Il sait qu’elle est ratée. Il a voulu le ratage. Il l’a travaillé. Un
ratage artistique, c’est une volonté de destruction, de négation, c’est
une volonté de communiquer quelque chose.
Une photo comme tout le monde : Ratée !
Des exemples ? On peut prendre la dernière photo de Depardon. « François Hollande » président.
On
sait - le making off est très documenté sur la prise de la photo - que
Depardon s’est totalement libéré de la contrainte technique. Lui qui
s’est promené dans toute la France avec un appareil pesant 250 kg,
monumental et fragile, pour photographier la France éternelle, des
boutiques des petits villages et des campagnes à taille humaine, a
voulu, pour cette photo, la liberté de l’appareil qu’on porte avec soi,
du numérique, de l’argentique, de l’informatique… Et pas de ces optiques
monstrueusement immobiles, ces plaques gigantesques et tout le
personnel qui va avec.
Donc, pas de pied pour éviter le
« bougé », pas de calculs savants pour éviter le « flouté », pas de
travail sur l’intensité lumineuse pour éviter contre-jour et effets
d’ombres. Le résultat est à la hauteur de ce qu’il voulait : il y
a du flouté, du bougé et du contre-jour. Si la photo avait été prise
par le neveu avec son nouvel appareil, on aurait souri : « il y
a encore quelques progrès à faire ». Avec Depardon on a aussi souri.
Mais, là c’était un sourire de connivence. Il avait tout raté comme il
le voulait. Pas plus qu’il n’était nécessaire. Juste le ratage
souhaitable.
Et c’était voulu avec le président. Une photo de président de la République, c’est comme un portrait de roi. Louis XIV par
Hyacinthe Rigaud
: ce n’est pas un travail innocent. Le peintre fait du roi un grand
homme, et même gigantesque, non seulement parce que Louis XIV était un
géant pour son époque, non seulement parce qu’il en rajoutait des tonnes
en portant des talons très hauts pour rehausser sa taille et en imposer
psychologiquement et physiquement, mais aussi parce qu’il fallait
montrer à ses sujets et au monde entier un "Grand Roi", de droit divin,
protecteur des arts, des armes et des lois.
On voit bien
que le travail de l’artiste, n’était rien autre ici que de porter un
message fort. Celui du "Grand Roi", celui du "Roi Soleil". C’est
évidemment la même chose lorsque Depardon rate les photos du président.
C’est l’annonce d’un programme. Derrière chaque détail de cette
photo, quelque chose est dit de la France, des Français, de leur
président, du Monde, du temps qu’il fait et des lendemains qui chantent.
Parler de la France en ratant une photo, ce n'est pas parler d'un raté.
C'est commettre une œuvre d'art !
Foin des palais et des honneurs !
Un
décor, c’est connu, c’est fait pour mettre en valeur, contextualiser,
donner des indications de lecture de l’œuvre, voire imposer un sens à la
lecture de cette dernière. Il y a des présidents sans autre fond que
des couleurs. Il y a des présidents qui ont été photographiés devant des
décors, dans le genre bibliothèque, posant leur main droite, en
général, sur un fragment de colonne dorique.
Le cadre en dit beaucoup.
Il faut marquer que Depardon, en toute simplicité, use de l’opposition
ombre du premier plan et clarté du fond de la photo, pour parler du
temps qui vient et qui s’écoule. Le temps des honneurs est riant. C’est
celui du Palais. Il est dans le lointain, car s’il ne faut pas oublier
la solennité de la fonction. Cependant il ne faut pas en faire autre
chose qu’un pur cadre dans lequel l’humain se déploie. Le Palais est
loin parce que le président est proche ? Mais surtout, il y a Palais,
c’est indéniable. Incontournable. On est dehors. Et le dehors c’est la
vie, le vrai, la réalité. A l’opposé des livres et de leur prétention à
tout contenir, à tout avoir dit et à donner une onction purement
intellectuelle au « sujet » de la photo.
En même
temps, le Palais se devine et ne s’impose pas, car les détails du fond
ont été abolis par le flouté de Depardon. En somme, il a l’air de
s’excuser d’être le Palais de la présidence tout en donnant à penser,
soleil, lumière, fond champêtre, ciel bleu, irradiations d’un été
chaleureux qu’il est l’Elysée, un Olympe rieur et plein de gaieté. Tout
ceci est mis en valeur par la démarche du président. Oui ! On voit bien
que le président est en marche, comme la France et vers la France.
Il s’éloigne des fastes du Palais pour venir vers nous. En toute
simplicité. Mais aussi, il quitte le passé (le vieux Palais) pour
s’avancer vers l’avenir (Nous, les Français). Depardon n’est pas un grand photographe pour rien.
Des Draps ou des Drapeaux ?
Restons
dans le décor. Tout au fond, en clignant bien les yeux, il semble, sur
la façade du Palais, que des linges sont pendus et orientés vers le
soleil, mis à sécher probablement. La photo, floutée-bougée interdit une
investigation plus précise. On n’est pas dans une photo à la
hollandaise où mêmes les détails qu'on ne peut pas voir sont visibles. C’est
une photo "Depardon" qui renouvelle le genre Depardon, en rupture avec
son enquête de la France profonde où tout est donné à voir, y compris
les panneaux de stationnement. Là, on a du mal à voir. Et c’est
un fait exprès ! Ce n’est pas une maladresse de débutant. Si on ne voit
pas bien, c’est qu’il n’y a peut être pas de quoi s’appesantir !
Que
devine-t-on ? Des draps gigantesques puisqu’accrochés au faîte d’une
aile du château, ils retombent jusqu’en bas. Sont-ce des draps de lit ?
Il aurait été plaisant de donner à penser qu’ils sont à l’image de ces
draps tâchés de rouge que les peuplades un peu primitives exigent des
nouveaux mariés. Depardon dit-il qu’il y a dans la présidence de
François Hollande une sorte d’union charnelle, humaine entre l’homme, le
président, et la Nation, la France. Après tout, il y a eu Léda et son
cygne, Danaé et sa pluie d’or.
Non, décidément, il n’y a
pas de hasard dans un grand œuvre par un grand artiste. La symbolique
est encore plus forte, quand on s’aperçoit, muni d’une loupe, d’une
longue vue ou d’un regard de Lynx, qu’il s’agit des drapeaux.
Le Français et l’Européen. Le symbole du drap nuptial est complètement
élucidé. Union de l'Homme et de sa Nation, Union de la Nation à Europe.
Le drame antique est joué. Le drap teinté de rouge est mis à la fenêtre.
Consumatum est.
A t-on épuisé le
mystère du "dit des draps" par Depardon. Non certes, car, il faut aussi,
dire un mot du lointain dans lequel sont propulsés les Draps-Drapeaux.
La France n’est-elle qu’un fond de photographie ?
La
France est-elle donc maintenant reléguée dans le lointain ? Un lointain
flouté, pas net et pas clair ? N’est-elle qu’un élément banal d’une
toile de fond ? Est-elle comme l’Europe et l’horizon : une ligne
imaginaire qui recule au fur et à mesure qu’on avance ? Est-elle
seconde, dans son histoire, sa personnalité, son image, par rapport aux
peuples.
Renvoyer les drapeaux au statut de draps,
n’est-ce pas énoncer que le président n’est pas « que » président des
Français? N’est pas « que » un membre éminent de l’Europe ? N’est-ce pas
aussi, parler du président, libéré des Palais, libéré des temps
anciens, libéré de toutes ces vieilleries qui entraveraient cette
marche, dont on a vu, qu’elle va de l’avant.
Vers nous,
et d’abord vers Depardon, qui, sûrement, ému a su transcrire en
flouté-bougé le frisson artistique que cette marche décidée lui a
inspiré.
Le président de l’ombre ?
Pour
Depardon, la symbolique du drap nuptial est complétée par la symbolique
de l’émergence du président. D’habitude dans les photos d’amateurs, le
neveu dont on a parlé par exemple, on évite les contre-jours.
D’instinct, on comprend que le contre-jour obscurcit le sujet
photographié. Si ce qu’on veut montrer se détache sombre sur un fond
lumineux, évidemment le résultat, c’est qu’on voit mal le sujet.
Depardon a choisi un gigantesque contre-jour. A dessein. On ne
l’expliquera plus qu'il n'y a pas de hasard. Il y a là de la volonté,
une forte intention. Comme partout en Art.
Ici,
Depardon nous montre une silhouette qui est dans l’ombre. Vient-elle du
fond lumineux, éclaboussé du soleil d’un été idéal ? Le président
viendrait de la lumière pour rentrer dans l’ombre ? Où à l’inverse, il
aurait surgi de l’ombre. Venu à une sorte de naissance, quittant l’ombre
matricielle pour surgir à la lumière douce et tamisée de la chambre de
travail ? Draps nuptiaux-Drap-eaux qui coulent. Encore une puissante
symbolique. Le président dans l’ombre n’est cependant pas le président
de l’ombre. Il ne peut pas être une ombre de président, on ne peut
l'associer à Scarron : « …. l'ombre d'un cocher, qui, tenant l'ombre
d'une brosse, nettoyait l'ombre d’un carrosse ».
Depardon
a tout simplement figuré que l’espace du président n’est pas celui des
ors et des fastes des Palais. Il est celui, calme et tempéré, de nos
jours habituel, où l’ombre suit la lumière. Il nous dit suivant Valery :
« … Mais rendre la lumière, Suppose d'ombre une morne moitié ». C'est pour cela que le président d'après Depardon, fait plutôt morne ?
Rien dans les mains, rien dans les poches
Il
faut en venir à l’homme lui-même. Nous avons tourné autour du président
évoquant le fond du tableau et aussi la forme, floutée, bougée,
contre-jour, parlé de son union et du drap qui parlait de consommation.
Nous avons parlé de son émergence. Il faut parler maintenant de ce
travail si beau, mais si difficile, que Depardon nous a livré, révélant
le président et montrant l’homme. Bien sûr, rien d’original dans la
tenue. Le président ne sortira pas de l’ombre au moyen de fleurs
multicolores dans les cheveux ou en tutu.
Le
président est cravaté. Il est costumé. Il est décoré. A peine. Il faut
bien qu’il le soit. Tout est discret. Rien n’est au soleil n’est-ce pas ?
Rien ne rutile. Ni ne cliquète. Ni ne blingue-blingue. Rien. C’est là
que le génie du photographe s’impose véritablement. Il a réussi à
photographier "rien".
Attention, il ne faut prêter à Depardon
une intension politique de type anarchiste. On ne doit pas dire de lui
qu’il a roulé tout le monde en photographiant le Président pour montrer
« Rien ». Depardon est ici au paroxysme du message. En effet,
pourquoi, avoir photographié un personnage aux mains ballantes, pendues
au bout de bras ballants ? Parce que le Président qui émerge vient au
monde des chefs d’Etats, avec rien dans les mains. C’est clair. C’est
montré. La veste est solidement fermée. Il n’y a pas de
protubérance indiquant un portefeuille bien rempli. Il n’a rien dans son
portefeuille. L’homme est au premier plan, devant nous, à portée de nos
mains. Il n’a rien. On ne peut rien lui prendre. Il n’a rien à donner.
Il se livre à nous dans le dénuement le plus total.
Cette
attitude n’est pourtant pas si simple. Si le président vient à nous, il
ne se montre pourtant pas de face. Il n’est pas animé par le souci du
don pur. Il est légèrement tourné, l'épaule gauche se dégageant vers
l’arrière. Depardon nous dit ainsi que si le président vient vers nous,
il pourrait tout aussi bien, revenir en arrière. Il est prêt à retourner
dans le Palais.
Un demi président
Il
vient à nous avec ce demi-sourire qui convient à une demi-photo. Ce
n’est pas une photo en buste. Ce n’est pas une photo en pied. C’est une
photo à demi. Le demi-sourire du président répond au cadrage.
Les sourcils formant accent circonflexe sont une mimique bien connue en
France qui dit « vous m’avez posé une question ? ». Le visage,
éclairé d’un fin sourire, nous dit que ce n’est pas un homme de
certitudes qui s’avance. C’est un homme comme tout le monde, à qui on a
dit de faire le président et de ne pas se faire remarquer.
Une belle leçon de photographie !
1 commentaires:
Le drapeau hollandais derrière est assez drôle.
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