TOUT EST DIT

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jeudi 10 mai 2012

Virage à gauche des musulmans de France : quand le vote sert de pare-feu à un sentiment de discrimination

Les catholiques ont voté massivement, et de façon assez traditionnelle, pour Nicolas Sarkozy tandis que les musulmans de France, eux, se sont exprimés en faveur de François Hollande. Un vote qui s'explique par une volonté affichée de lutter contre les discriminations.

Atlantico : Les catholiques ont massivement voté pour Nicolas Sarkozy, à hauteur de 80% et les musulmans se sont prononcés en faveur de François Hollande à près de 93%. Comment interpréter ces chiffres ? Assiste-t-on à une crispation identitaire ou religieuse ?

Vincent Tiberj : Il est très important de noter que ces structures de vote pour la droite ou pour la gauche en fonction de l’intégration au catholicisme sont en réalité des logiques que l’on retrouve depuis les années 1970. Le clivage religieux français perdure. Des années 70 jusqu’à nos jours, plus une personne est catholique pratiquante, plus elle a des chances de voter à droite. Ensuite, l’autre pôle du vote, c’était les athées.
Essentiellement, c’est l’opposition entre la France laïque et la France catholique qui se joue. Les athées ont non seulement toujours été un soutien fort de la gauche, mais le restent encore aujourd’hui et avec un niveau plus ou moins constant.
Or, les catholiques pratiquants sont en perte de vitesse dans l’électorat, alors que les athées gagnent du terrain : en 1988, à la réélection de François Mitterrand, il y a à peu près autant d’athées que de catholiques pratiquants réguliers (ceux qui vont au moins une fois par mois à la messe) qui votent, 15% dans un cas, 13% de l’autre. En 2012, si on reprend les valeurs de l’enquête TNS-Sofres, on en vient à 35% d’athées et 7% de catholiques pratiquants réguliers. Il y a bien une montée en puissance d’une culture a-religieuse en France qui continue à s’exprimer en faveur de la gauche.
Se pose alors le cas des musulmans. A priori, on pourrait penser que c’est le fait d’être musulman qui entraîne un vote de gauche. Fût un temps les autres religions présentes en France étaient le judaïsme, le protestantisme, et quelques musulmans.
Mais aujourd’hui l’Islam est le groupe religieux qui est en train de monter, c’est devenu l’essentiel répondant aux questions religieuses dans les enquêtes. Désormais, dans l’enquête faite par TNS, on compte 4,5% de musulmans déclarés contre à peine 1% en 1988. Cela confirme quelque part que l’Islam est devenu la seconde religion déclarée en France dans l’électorat, cependant elle reste bien loin derrière l’ensemble des catholiques français.
De prime abord, on estime que c’est un vote anti-Sarkozy à base musulmane ou encore le résultat d’appels à voter contre Nicolas Sarkozy par un certain nombre de figures issues de la mouvance islamique.
Mais cela ne fonctionne pas comme cela. En réalité, ce qui apparaît derrière est un vote de la diversité. Quand on pose la question aux Français d’origine maghrébine ou africaine, sur le thème de la religion, 59% d’entre eux se disent musulmans. C’est peu ou proue la proportion de français qui se disent catholiques. Or, de la même façon que l’on admet que tous les Français ne sont pas catholiques, de la même manière tous les ressortissants d’origine maghrébine ou africaine ne sont pas musulmans : d’ailleurs 20% des interrogés se déclarent sans religion et le reste est chrétien. Dans tous les cas, ce n’est pas ce qui les pousse à voter.
Dans le cas de nos français d’origine maghrébine ou africaine qui se disent athées ou catholiques, les niveaux de proximité avec la gauche frôlent les 40% systématiquement. Donc, en 2007, lors du vote entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, 80% des français d’origine maghrébine ou africaine ont voté pour Ségolène Royal. Ils votent non pas parce qu’ils sont musulmans, mais parce qu’ils ont une certaine couleur de peau et qu’ils sont discriminés pour cela.
C’est ce que l’on a prouvé avec Patrick Simon dans l’enquête que nous avons réalisé pour l’INED (Institut National d'Etudes Démographiques). On se rend compte que plus les gens se situent dans un groupe dont l’origine est discriminée et dont la nationalité française est constamment remise en doute, plus aux élections ils vont se situer à gauche.
C’est le cas pour les Algériens, Marocains, Tunisiens et Turcs, qui en effet sont majoritairement musulmans, mais c’est aussi le cas pour les Africains d’origine sahélienne ou d’Afrique centrale qui sont un peu moins musulmans et encore plus pour les ressortissants ultra-marins. Dans ce dernier cas, on n’a pas affaire à un ancrage musulman mais typiquement catholique et chrétien en général. Le sur-vote à gauche est corrélé au fait que le groupe soit discriminé.

Peut-on en déduire que le vote en France s’américanise ?

Les logiques sont effectivement les mêmes que pour les communautés noires ou latino-américaines aux Etats-Unis qui voteront systématiquement pour le parti démocrate. Comme le groupe est discriminé, il vote pour le parti qui a priori pourra le plus peser contre ses discriminations. Et naturellement le fait que Nicolas Sarkozy ait mené une campagne plutôt à droite de la droite n’a fait qu’exacerber ce clivage.
Mais attention, on ne parle pas de la couleur de peau en tant que telle, mais au vote qu’induit la visibilité. Quand on voit un fort alignement sur la gauche des musulmans, il s’explique essentiellement parce que tous les musulmans appartiennent à ce groupe discriminé. Dès lors qu’on analyse le phénomène à une autre échelle on se rencontre que clairement le problème ne vient pas de la religion.
D’ailleurs, avec mon collègue Patrick Simon, nous avions bien prouvé que quand nous analysions l’attitude des français musulmans à l’égard de la laïcité, ou à l’égard du choix de scolarisation, on se rend compte que les musulmans français sont plus nombreux à demander une scolarisation dans une école publique, sans éducation religieuse, que les catholiques en France. Cela montre que la plupart des musulmans en France ont parfaitement intégré la règle du jeu républicain, et notamment la laïcité. Cependant, la visibilité de l’Islam c’est la burka, mais on sait très bien que c’est une infime minorité de ce qu’il se passe, il y a eu 300 cas recensé par le ministère de l’Intérieur il y a un an.

Au-delà de la religion, peut-on parler d’une ethnicisation du vote ?

Attention au mot ethnicisation ! Car il induit qu’il y a une logique communautariste derrière ce vote. Ce n’est pas ça, ce n’est pas cette logique là qu’il faut avoir. Le vote à gauche des populations discriminées est le produit de la société française, cela ne vient pas d’eux. C’est très important, c’est une logique de réaction et pas de revendication identitaire.
D’ailleurs on a essayé de mesurer la tentation communautariste chez les français d’origine maghrébine, africaine et turque. On l’avait alors défini comme une logique selon laquelle les gens se définissent en fonction d’une identité minoritaire, qu’elle soit religieuse ou ethnique et qu’ils rejettent une identité globale comme la France et avoir des revendications spécifiques pour sa minorité. Et selon ces critères on tombe à 4% des Français d’origine maghrébine, africaine et turque. Il n’y a pas ethnicisation.
C’est tout simplement un vote qui exprime une réaction au déni d’appartenance nationale, parce que l’on a une couleur de peau, on est sa nationalité, son identité est forcément remise en question. Le problème est là et c’est d’autant plus important que ce genre de chose ne va pas forcément toucher les immigrés d’origine européenne.
Un enfant de la 2ème ou 3ème génération, dont les parents sont immigrés, mais qui est né et a réussi en France - rappelons qu'il y a 50% de taux d’accès au Bac dans les populations maghrébines, ce qui est mieux que la population française - est traité comme s’il était encore étranger alors qu’il a été éduqué en France. Ce vote en faveur de la gauche n’est que l’indice de l’échec de la République à tenir ses promesses bien au-delà d’un simple problème d’intégration.

Finalement, le facteur des situations socio-économiques ne joue pas ?

Effectivement, et sur l’enquête faite en 2005 et pour l’enquête faite dans le cadre de l’INED, on avait contrôlé systématiquement avec les facteurs de la classe sociale, l’âge, la religion et malgré tout cela le fait d’être d’une certaine origine jouait. On retrouve la même structure que le vote américain aux Etats-Unis. Plus le groupe est visible plus les chances de voter pour le parti démocrate sont fortes. C’est une logique de réparation et d’égalité.
La République française se veut aveugle au sexe, aux origines, à la race, aux religions…et pourtant. Ce vote est un vote de demande de réalisation du modèle.


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