TOUT EST DIT

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dimanche 27 mai 2012

La crise pourrait-elle finir par menacer la démocratie en Europe ?

Les démocraties européennes séduisent de moins en moins les populations. Jugées trop lointaines des préoccupations sociales, elles nourrissent la montée de mouvements contestataires. Même si l'histoire ne se répète jamais, sommes-nous face à des dérives telles que l'Europe en a connues dans les années 30 ?

Atlantico : L'Union européenne et ses institutions sont de plus en plus contestées dans les différents pays membres et cette contestation passe par l'augmentation de l'audience des partis populistes. Ces mouvements parviendront-ils à faire éclater le système. ?

Bernard Badie : Je tiens d'abord à dire qu'il faut distinguer les mouvements contestataires qui ont émergés récemment. Je ne pense pas qu’il faille faire l’erreur de mettre l’Aube dorée et les Indignés dans le même sac. L’Aube dorée est un peu comme le Front national, et peut-être même de manière plus radicale, une résurgence assez classique de l’extrême-droite et des mouvements fascistes voire carrément néo-nazis.
Ce qui se profile aujourd’hui en Europe et au-delà est quelque chose d’assez différent, même si dans les faits cela dérive des Indignés et de ce que l’on retrouve en Allemagne à travers le Parti Pirate, ou en Italie à travers le Parti des Cinq Etoiles. En réalité, c’est du populisme mais dans une veine un peu plus classique, c’est-à-dire une critique du politique, une défiance affichée à son encontre et voire une mise en accusation, car le personnel politique est jugé beaucoup trop éloigné de la question sociale.
C’est cela l’événement et c’est en cela qu’il y a une crise de la démocratie en Europe. Derrière cette critique précise du politique, derrière un affichage qui n’est même plus programmatique mais qui est tout simplement anti-politique, il y a la dénonciation d’un fossé très grand qui s’est construit entre le social et le politique, donc une crise très profonde des représentations, donc une crise de la démocratie dans son essence même, c’est-à-dire dans sa prétention à incarner la volonté populaire dans le gouvernement des différents états.

Ces mouvements contestataires vont-ils déstabiliser le projet européen et l’Union européenne ?

Dans un premier temps, il faut comprendre – c’est d’ailleurs ce qui le rend intéressant – que ce phénomène n’est pas strictement national : même si plusieurs de ces formations sont nationales, elles ont à leur origine une expression transnationale. Les Indignés ont trouvés leur origine en Espagne, il y a un tout petit peu plus d’un an 15 mai dernier, au moment des élections municipales espagnoles. Mais très vite c’est devenu un mouvement trans-européen. Puis on a trouvé des Indignés un peu partout dans le monde, il y a eu des manifestations transnationales, mondiales, de telle façon qu’il y a eu un mouvement mondial des Indignés qui s’est structuré, et qui s’est retrouvé aux États-Unis et en Israël, deux pays pour lesquels on n’attendait pas une telle mobilisation mais qui pourtant en ont connu des formes tout à fait inédites.
L’Europe là-dedans est un peu à un stade intermédiaire entre le national et le mondial, mais elle est atteinte et elle l’est pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il y a un lien intime, quoique pas exclusif entre ces mouvements et la crise qu'elle sur le plan économique, mais aussi sur le plan social et politique. Ensuite parce que l’Europe apparaît comme le maillon faible du dispositif technique occidental, alors que très longtemps elle est passée pour en être la formule innovante.
Sur ce malaise viennent se cristalliser pas mal de critiques et lorsque l’on dénonce le politique et le défaut de démocratie on pense à l’intérieur de ce mouvement, à la bureaucratie européenne, aux technostructures européennes et surtout à cette Europe qui s’est constituée en contournant les peuples, en ne respectant pas les référendums aux Pays-Bas, en France, en Irlande, pour faire court en ne réussissant pas dans l’essentiel à se doter d’une légitimité démocratiques.

La responsabilité n’en incombe-t-elle pas aux gouvernements nationaux qui ont tendance à rejeter l’origine de leurs maux sur l’Union européenne ?

Les torts sont à la fois propres aux institutions européennes et à leur mode de fonctionnement, aux gouvernements qui n’ont pas su construire l’Europe de manière démocratique, il y a des torts nationaux, de chacun des gouvernements qui n’ont pas su adapter la démocratie à leur pays.
Mais bien au-delà de ces symptômes, il y a très profondément, une crise des systèmes politiques occidentaux, libéraux et démocratiques dans la mesure où ils sont coupés de leurs fondements sociaux. Il ne faut pas oublier que toute l’Histoire de la modernité occidentale a été contenue dans une volonté de construire la démocratie, bien qu’elle ait été mise à mal par les expériences totalitaires, le nazisme et le fascisme, mais dont l’Histoire occidentale a su triompher.
Aujourd’hui, les partis politiques sont coupés des réalités sociales, et sans doute le premier facteur de tout cela a été la disparition progressive des partis ouvriers, car ils ont été de par leur identité à la charnière entre la société et le politique. Ils se sont effondrés avec l’éclatement du Parti communiste, le glissement progressif des partis communistes vers la sociale démocratie davantage attirés par une fonction attrape-tout d’une partie des électeurs que par la représentation de catégories sociales précises.
Ainsi, les réalités sociales ont été coupées d’un politique donnant de plus en plus dans le marketing et les concurrences entre entreprises politiques. Le fondement social de tout cela a été abandonné face à la croissance du nombre de chômeurs, face à toutes les souffrances sociales, et les partis politiques ne parvenaient plus à exprimer ce genre de privation et de désespoir.

Ce que vous décrivez est un déficit idéologique. Est-ce que l’Europe a échoué à mobiliser autour d’une idée ?

C’est exact. D’un certain point de vue nous payons ce que l’on a appelé la fin des idéologies. Lorsque le Mur est tombé, lorsque les partis communistes ont disparu de la scène internationale, on a pensé que la société devenait uniformément libérale et la banalisation de ce libéralisme, presque érigé au rang de pensée unique a contribué presque exclusivement à l’éloignement du politique par rapport au social.
Mais au-delà de cela, c’est peut-être maintenant une crise du libéralisme dont on connaît un peu mois les contours : la définition s’est perdue, on confond de plus en plus libéralisme politique et libéralisme économique, le libéralisme économique a été malmené par la crise récente et les libéraux d’autrefois sont devenus davantage interventionnistes. Tout cela est brouillé et l’électeur a l’impression que ces débats politiques sont dérisoires par rapport aux réalités sociales.

Une partie de l’électorat européen manque donc de représentation. Ces partis sont-ils un moyen efficace et durable de se faire entendre ?

Certes, mais ce n’est pas le cas seulement en Europe. Regardez ces 400 000 personnes en Israël qui défilaient sous les banderoles des Indignés, regardez les cortèges de jeunes qui se sont formés devant Wall Street aux États-Unis, on voit bien que le phénomène a débordé du simple cadre européen.
Il y a dans les systèmes démocratiques actuels ou labellisés comme tels, une proportion de plus en plus forte de la population qui se trouve exclue. En réalité, on revient au XIXe siècle. Il s’est institutionnalisé en Europe, à partir du XIXe siècle, après une difficile intégration de la classe ouvrière en son sein, au moment où on pensait que l’intégration était achevée, on a vu des fractions entières de la société à nouveau sortir du système politique. Ce sont les chômeurs, les populations immigrées, les marginaux, les populations de banlieues où on constate que les taux d’abstention sur les listes électorales sont anormalement élevés.

L’Europe est-elle arrivée à son déclin ? Comment, même si elle règle la situation économique, réussira-t-elle à refédérer les populations autour de son projet ?

Savoir si l’Europe est réellement sur son déclin n’est pas une chose aisée. En revanche, là où le bât blesse incontestablement, c’est que l’Europe a échoué dans une étape décisive de son institutionnalisation. Il y a eu un processus de développement de l’intégration européenne depuis les traités de Rome, jusqu’à Maastricht et Amsterdam et ensuite le phénomène s’est enrayé. Probablement parce que l’élargissement de l’Europe n’a pas été maîtrisée mais aussi parce qu’au moment où il fallait passer à l’intégration politique, il fallait voir apparaître une vraie citoyenneté européenne et celle-ci ne s’est pas construite car quand le peuple s’exprimait lors des référendums on le contournait par des lois de ratification parlementaire.
De ce point de vue, le Traité de Lisbonne en 2007 a été une véritable catastrophe sur le plan de la construction européenne. Je crois qu’il y a indiscutablement deux moteurs : il y a d’abord des moteurs nationaux, il est important que chaque nation, indépendamment du cadre de l’intégration européenne reprenne leur démocratie, adaptent les institutions, les rajeunissent, les rendent compatibles avec les données sociales nouvelles. Ensuite, il faut un influx européen, et c’est ici que cela se complique, car ce n’est pas une Europe à 27 et aussi diversifiée que celle qui dérive d’un élargissement mal maîtrisé qui peut refaire son unité sur un projet unique.
Aussi, nous sommes d’abord confrontés à des défis nationaux, à la nécessité de rebâtir la démocratie dans chacun des pays européens et penser un nouveau projet européen, en associant cette fois-ci les populations. Il ne faut pas croire que tout peut se faire ainsi autour du tapis vert car c’est rester dans une conception du 19ème siècle et cela a été l’une des erreurs majeure de l’ancien président de la république.

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