TOUT EST DIT

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mercredi 16 mai 2012

Et si la Grèce décidait de faire faillite en restant dans l'euro?

Dire que la Grèce agace les Européens est une litote. À tel point que certains, en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, et jusqu’au président de la Commission européenne, le menacent de l’exclure purement et simplement de la zone euro et de l’Union européenne. Et ce n’est pas la dernière péripétie grecque qui va les réconcilier avec Athènes : comme c’était prévisible, il y aura de nouvelles élections, soit le 10 juin, soit le 17 juin (dates du premier et du second tour des législatives françaises…), les partis politiques n’ayant pas réussi à former une majorité dans les délais impartis par la Constitution. Les ultimes tractations ont échoué tout à l’heure, le Syriza (gauche radicale) ayant refusé la proposition du Président de la République de soutenir un gouvernement « technique » qui aurait été chargé de mener à bien les réformes en cours. Tout se passe comme si les partis grecs avaient décidé de jouer la faillite.

L’intérêt de la gauche radicale (Dimar, 6,1 % des voix, et surtout Syriza, 16,78 % des voix), qui a capitalisé sur son opposition à la cure de rigueur infligée par l’Union et le FMI, était de ne pas s’engager dans ce qui serait apparu aux yeux de leurs électeurs comme un reniement, mais, au contraire, de provoquer de nouvelles élections afin de conforter sa percée. Les sondages indiquent ainsi que Syriza pourrait atteindre le seuil de 20 % des voix et devenir le premier parti de Grèce dans un paysage politique éclaté comme jamais. On peut sérieusement se demander ce que changeront ces nouvelles élections, puisqu’il est douteux que la gauche radicale réunisse suffisamment de voix pour gouverner sans le PASOK et la Nouvelle Démocratie (le KKE, parti communiste stalinien, environ 9 % des voix, refusant de s’allier à quiconque).
Même si les deux grands partis traditionnels, désormais en voie accélérée de marginalisation, acceptent de renégocier le « mémorandum » imposé par les créanciers de la Grèce et qui liste les réformes à accomplir, cela risque de déboucher sur une impasse. En effet, pour les Européens, il n’est pas question de transiger si ce n’est aux marges : « si apparaissent des circonstances extraordinaires, je n’exclus pas a priori qu’on parle d’une prolongation des délais », a admis du bout des lèvres, lundi soir, Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe à l’issu d’une réunion avec ses collègues. « L’Eurogroupe mesure la portée des efforts consentis par les citoyens grecs. Il ne s’agit pas de relâcher ces efforts, au contraire, les réformes structurelles sont plus que jamais nécessaires », a-t-il martelé. Pas question, donc, d'avoir le beurre (l'aide internationale) et l'argent du beurre (pas de rigueur).
Il faut bien comprendre que le programme imposé à la Grèce vise à rétablir son économie et ses comptes publics et à bâtir un État fonctionnel. Car, si rien n’est fait, même un effacement total de sa dette ne changera rien à son problème qui est celui d’une économie non compétitive et d’un État corrompu et clientéliste. En clair, la Grèce se retrouvera très vite à nouveau endettée… Et les Européens, même s’ils savent qu’ils ne reverront sans doute jamais la couleur de leur argent (240 milliards d’euros versés à la Grèce, soit deux années de budget communautaire), n’ont aucune envie de subventionner ad vitam aeternam ce pays. « Il est dangereux de raconter des boniments aux citoyens en leur disant qu’il existerait une autre voie plus simple qui guérirait la Grèce en évitant toutes les épreuves. C’est absurde », a ainsi déclaré, la semaine dernière le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble.
En clair, si la Grèce refuse d’appliquer les réformes exigées d’elle, la zone euro et le FMI arrêteront de lui fournir leur aide financière, ce qui conduira à sa faillite, mais pas forcément à sa sortie de la zone euro et donc de l’Union européenne, les deux étant totalement liés dans les traités (on peut les modifier, mais cela prendra au moins deux ans, temps dont personne ne dispose). La chancelière allemande, Angela Merkel, a été très claire sur ce point hier : « la solidarité s’arrêtera seulement si la Grèce devait dire « nous ne tiendrons pas nos engagements », mais je ne crois pas que cela arrivera ».
Mais imaginons que la Grèce joue le pire, c’est-à-dire la faillite, tout en restant dans la zone euro (c’est le souhait de 80 % des Grecs et les partis voulant clairement l’abandonner pèsent environ 25 % des suffrages exprimés). Elle n’aura certes plus droit à l’aide européenne et internationale (pas plus qu’aux marchés, mais c’est déjà le cas) et fera donc défaut sur ses 250 milliards de dettes dont les deux tiers sont entre les mains de l’UE et du FMI qui se prendraient donc une paume. Mais comme son budget primaire est quasiment à l’équilibre (en dehors des intérêts de la dette), l’effort supplémentaire à effectuer sera infime au regard de ce qu’elle a déjà fait.
Surtout, ses banques auront toujours accès aux liquidités de la Banque centrale européenne (sauf si celle-ci décide de couper ses financements avec le risque de contagion aux autres pays que cela comporte), ce qui évitera un naufrage de son système financier inévitable en cas de retour à la drachme, et ses entreprises endettées en euros ne feront pas défaut, ce qui serait le cas si la Grèce quittait la zone euro. Enfin, en restant dans l’Union et dans l’euro, la Grèce continuera par ailleurs à bénéficier des fonds européens qui sont loin d’être négligeables… En revanche, la Grèce aura un gros problème avec sa balance commerciale qui est gravement déficitaire : faute d’avoir accès aux financements extérieurs, à la suite de son défaut, les importations devront être réduites brutalement, ce qui sera douloureux et pourrait amener à des ruptures d’approvisionnement.
C’est d’ailleurs la limite de l’exercice : la Grèce, quoi qu'elle en dise, ne pourra pas faire l’économie de réformes structurelles pour regagner des points de compétitivité sauf à s’appauvrir durablement (elle ne pourra plus financer son niveau de vie à crédit). Bref, le soulagement ne serait que temporaire, mais il pourrait tenter un gouvernement dirigé par la gauche radicale.
C’est sans doute pour cela que certains font monter la pression sur la Grèce en la menaçant de l’exclure de l’euro et de l’Union, si elle n’applique pas le mémorandum, ce qui est tout simplement impossible. Un pays peut certes décider de quitter l’euro et donc l’Union, les deux étant juridiquement liés, mais il n’existe aucun moyen légal de l’y contraindre. La partie de bras de fer n’est donc pas terminée.On peut se demander s'il n'aurait pas fallu laisser la Grèce faire faillite début 2010, ce qui aurait éviter d'engager l'argent des contribuables européens. Mais, à l'époque, beaucoup craignaient l'effet de contagion à d'autres pays de la zone euro.
En attendant, l’euro baisse (ce qui est une bonne nouvelle), les bourses plongent (ce qui est une mauvaise nouvelle) et le coût de financement des États fragilisés augmente (ce qui est aussi une très mauvaise nouvelle). La Grèce est pour longtemps le boulet de la zone euro, ce qui devrait amener à réfléchir à deux fois avant d’admettre un nouveau membre…

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