TOUT EST DIT

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samedi 21 avril 2012

La gauche et ses féodalités locales

Une des caractéristiques de la France contemporaine est le poids qu’y ont pris, pour le meilleur et pour le pire, des suites de la décentralisation, le monde des élus locaux et une fonction publique locale pléthorique.
Le vieux pays jacobin des poncifs journalistiques est devenu à peu près le contraire de ce qu’il était : « La France apparaît comme le pays le plus décentralisé d’Europe, celui où le contrôle administratif est le plus faible, où la marge de manœuvre en matière d’acquisition et d’utilisation des ressources financières est la plus large, et celui où les élus ont la plus grande liberté pur exercer les compétences locales. » (Jacques Ziller[1] ).
Le pouvoir local est renforcé par le cumul des mandats nationaux et locaux qui a ses avantages : une plus grande proximité des réalités de terrain chez les politiciens nationaux, mais aussi ses inconvénients : l’existence de baronnies locales quasi-inexpugnables entre les mains d’hommes qui sont  à la fois députés, sénateurs, maires des grandes villes, présidents des conseils régionaux et généraux et surtout "parrains" de la fédération locale du parti majoritaire dans le département et donc, de ce fait, maîtres des investitures avec droit de vie et de mort sur la carrière des jeunes. Aucune réforme qui toucherait à leurs privilèges n’aurait de chances d’être votée par le Parlement[2].
Cette classe politique professionnelle est ce qu’Yvan Stefanovitch appelle la "caste des 500"[3]. C’est à tort qu’on la confond avec les 618 384 élus locaux qui composent les conseils municipaux de 36 761 communes que compte notre pays. Ces élus, pour la plupart bénévoles, sont même sous le contrôle de plus en plus étroit des premiers, les réformes successives aggravant le problème au lieu de le résoudre.
De manière significative, la projet socialiste veut revenir sur les réformes de Nicolas Sarkozy qui avaient tenté, d’ailleurs maladroitement, d’écorner ces privilèges, en fusionnant région et département, mais ne touche pas à celles qui les renforcent, tel l’alourdissement des structures intercommunales.
La décentralisation, d’où procède l’émergence de ces caciques locaux, a certes des avantages : un pays bien équipé, des villes de plus en plus belles (malgré quelques réalisations de mauvais goût) , un réseau routier local étroitement maillé, des services publics locaux nombreux et de qualité.
Mais elle a aussi des inconvénients : la hausse des prélèvements obligatoires où la part des collectivités locales est passée de 4 % à plus de 10 %, en seulement trente ans. Au même moment, la part de l’État  (environ 20 %) qui aurait dû diminuer à due proportion s’est maintenue. Celle de la Sécurité sociale a cru en fonction de la démographie.

Par derrière ces chiffres, d’innombrables doublons et une bureaucratie locale qui n’a plus rien à envier désormais à la bureaucratie d’État.
Mais bien pire est le développement d’une corruption étendue qui s’exerce notamment au travers des marchés publics et dont certaines affaires n’ont montré que la face immergée.
Dans ce développement d’une classe politique locale toute puissante, la gauche a eu plus que sa part.
Sans doute les lois Defferre de 1982-1983 répondaient-elles à une nécessité : la décentralisation était devenue indispensable. L’engorgement de l’État, du fait de l’extension considérable de ses compétences, appelait une redistribution du pouvoir.
Si le principe n’est pas en cause, les modalités en furent extrêmement discutables : la préparation du projet fut confiée à un jeune fonctionnaire du Conseil d’État  qui se contenta d’appliquer des schémas scolaires où le juridisme abstrait eut plus de part que le sens des réalités.
On mit ainsi fin à ce que les juristes tenaient pour une anomalie : la double fonction du préfet, à la fois représentant de l’État  et exécutif du conseil général. Cette construction quelque peu bâtarde, insatisfaisante pour les esprits étroits, ne présentait cependant aucun inconvénient réel : elle avait un caractère éminemment pragmatique et il était possible d’accroitre les pouvoirs des élus locaux sans la remettre en cause.
Le nouveau système eut au départ peu d’inconvénients : on se contenta de couper en deux les préfectures ; mais il enclenchait une logique qui se traduisit au fil des années par le dédoublement coûteux de l’ensemble des administrations : équipement, santé, culture. A concepts trop simples, réalité compliquée, comme il arrive souvent.

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