TOUT EST DIT

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mercredi 14 mars 2012

Patrick Buisson : "Hollande rassemblera moins de voix que Royal"

Patrick Buisson, 62 ans, spécialiste des études d'opinion, est conseiller de Nicolas Sarkozy. Cet ancien journaliste fait partie de l'équipe resserrée que le candidat réunit chaque soir à l'Elysée. Issu de la droite maurassienne, M. Buisson fut responsable dans les années 1980 de l'hebdomadaire d'extrême droite Minute. Il a conquis M. Sarkozy en lui prédisant la victoire du non au référendum européen de 2005. Il orchestra en 2007 le virage à droite de M. Sarkozy, sur le thème de l'identité nationale. Il dirige la chaîne Histoire, filiale de TF1, et la société de conseil Publifact. Il a été mis en cause par la Cour des comptes pour ses services facturés à l'Elysée sans appel d'offres.

Nicolas Sarkozy a-t-il perdu l'élection ?
Patrick Buisson : Les médias racontent l'histoire à laquelle ils ont envie de croire. Ce serait mieux s'ils s'intéressaient à celle qui est en train de s'écrire. Le rapport de forces du second tour tel qu'il ressort actuellement des enquêtes d'opinion repose sur l'hypothèse, jamais vérifiée à ce jour dans un scrutin présidentiel, d'une abstention sensiblement plus importante au second tour qu'au premier.
Que nous disent aujourd'hui les sondages ?
Qu'entre 40 % et 50 % de l'électorat de Marine Le Pen se refuse à faire un choix pour le second tour dans le cas d'un duel Sarkozy-Hollande, et qu'environ un tiers de l'électorat de François Bayrou est dans ce cas. L'avantage du candidat socialiste est donc construit sur un scénario qui verrait 4 à 5 millions d'électeurs du premier tour ne pas aller voter au second. Autrement dit, sur du sable.
Depuis 1965, il n'y a pas eu un scrutin présidentiel où la participation au second tour n'a pas été supérieure à celle du premier. La plupart de ceux qui disent ne pas vouloir choisir iront voter le 6 mai. Et les réserves sont ici plutôt du côté de Nicolas Sarkozy que de François Hollande. Les sondages ne sont que des instantanés qui donnent l'illusion du réel. En peinture, cela s'appelle un trompe-l'œil.
Vous annoncez depuis des semaines l'effondrement de François Hollande. Où est-il ?
Au lendemain de la primaire socialiste, François Hollande recueillait, selon les instituts, entre 35 % (IFOP et Ipsos) et 39 % (BVA) des intentions de vote. La dernière enquête réalisée le lundi 12 mars – celle de l'IFOP – le situe à 27 %. Libre à chacun d'interpréter ces chiffres comme bon lui semble mais n'importe quel politologue vous dira que ce qui compte dans une campagne, ce ne sont pas les niveaux mais les tendances. En d'autres termes, c'est le film qui raconte l'histoire, non les instantanés. Or, depuis novembre, la courbe des intentions de vote en faveur de Hollande est orientée à la baisse.
La tendance en faveur de Nicolas Sarkozy, depuis son entrée en campagne, est non moins incontestablement haussière. Les plus audacieux ajouteront qu'il suffit de prolonger les courbes pour connaître le résultat final.
Pourtant, M. Hollande reste très haut…
Il est à peu près au niveau de premier tour où les instituts situaient Ségolène Royal en 2007 à pareille époque et tout indique qu'il rassemblera le 22 avril moins de suffrages que celle-ci. Il n'y a aucune dynamique en faveur du candidat PS.
A la différence de la campagne de Mme Royal, celle de François Hollande ne suscite ni élan ni adhésion. On arrive même à une situation tout à fait paradoxale et inédite : c'est la première fois qu'un candidat recueille dans certaines enquêtes moins de souhaits de victoire que d'intentions de vote au premier tour. Les motivations du vote Hollande sont pour les deux tiers de battre le candidat sortant.
Toute la stratégie du candidat socialiste a été bâtie sur l'idée que l'élection serait un référendum anti-Sarkozy et qu'il n'y avait pas besoin d'un moteur de secours. Rien n'a été prévu au cas où le moteur aurait des ratés et où le pseudo-référendum tournerait au duel. Avec le croisement des courbes du premier tour, François Hollande ne peut plus se comporter en gestionnaire pusillanime d'une rente virtuelle. Il va devoir prendre des risques. Ce n'est peut-être pas l'exercice où il est le meilleur.
M. Hollande a-t-il réalisé un coup décisif, en proposant de taxer à 75 % les revenus supérieurs à un million d'euros ? Est-ce le pendant à gauche de ce qu'avait fait M. Sarkozy avec l'identité nationale en 2007 ?
Si vous voulez dire qu'il s'agit d'un marqueur transgressif, cela ne fait aucun doute. Si on considère l'objectif, c'est plus hasardeux. Avec l'identité nationale, le candidat Sarkozy était parvenu à attirer, dès le premier tour, un tiers des voix frontistes, tandis que, s'il faut en croire les enquêtes, la transgression des 75 % n'a rien pour l'instant d'un "coup décisif". Ce n'est pas Hollande qui a élargi sa base vers la gauche radicale – il a perdu 2 points en une semaine – mais Jean-Luc Mélenchon qui est en progression. Le candidat de la gauche populiste sera toujours plus crédible qu'une pâle copie sociale-démocrate dans le registre de la lutte des classes qui réclame une certaine tonicité.
Comment justifiez-vous la droitisation de Sarkozy ?
Ce concept de "droitisation" est le plus sûr indice de la confusion mentale qui s'est emparée de certains esprits. Si la "droitisation" consiste à prendre en compte la souffrance sociale des Français les plus exposés et les plus vulnérables, c'est que les anciennes catégories politiques n'ont plus guère de sens… et que le PS est devenu – ce qui me paraît une évidence – l'expression des nouvelles classes dominantes.
La spécificité historique du vote Sarkozy en 2007, c'est d'être parvenu à amalgamer, comme de Gaulle en 1958, un vote populaire avec un vote de droite traditionnel. Transgression idéologique, désenclavement sociologique et victoire électorale ont fait système.
Est-ce Nicolas Sarkozy qui se "droitise" en plaçant la maîtrise des flux migratoires au cœur de la question sociale ou la gauche qui se renie en substituant à la question sociale le combat sociétal en faveur d'un communautarisme multiculturel ?
L'impensé du candidat socialiste sur l'immigration est tout sauf accidentel : il témoigne d'une contradiction à ce jour non résolue.
L'idéologie du "transfrontiérisme" n'est pas celle des Français. Près de deux Français sur trois et près d'un sympathisant de gauche sur deux approuvent la proposition de Nicolas Sarkozy de réduire de moitié l'immigration légale.
Vous avez dit que Marine Le Pen ne faisait pas une bonne campagne et la voilà qui refait parler d'elle sur la viande halal…
Marine Le Pen s'est aventurée sur des thèmes où sa crédibilité était faible tout en cessant d'actionner les ressorts du vote frontiste. Son retour précipité aux fondamentaux de son parti a surtout mis en évidence une impasse stratégique.
Sans perspectives d'alliance ni de présence au second tour, elle n'offre pas plus d'issue politique que n'en offrait son père en 2007. Dans ces conditions, le vote en faveur de la candidate du FN ne serait plus un vote de protestation mais un vote d'immolation. En votant pour Marine Le Pen, les catégories populaires qui exprimeraient ainsi leur souffrance seraient assurées du résultat contraire de celui qu'elles recherchent. Elles augmenteraient les chances de François Hollande et donc les risques liés à une politique de non-maîtrise des flux migratoires et à l'émergence d'un vote communautaire avec l'attribution du droit de vote aux étrangers.
Comment récupérer ces électeurs FN ?
Le projet que porte Nicolas Sarkozy s'adresse à tout l'électorat populaire. Il est clairement le candidat d'une Europe des frontières. C'est en cela qu'il est le candidat du peuple qui souffre de l'absence de frontières et de ses conséquences en chaîne : libre-échangisme sans limites, concurrence déloyale, dumping social, délocalisation de l'emploi, déferlante migratoire.
Les frontières, c'est la préoccupation des Français les plus vulnérables. Les frontières, c'est ce qui protège les plus pauvres. Les privilégiés, eux, ne comptent pas sur l'Etat pour construire des frontières. Ils n'ont eu besoin de personne pour se les acheter. Frontières spatiales et sécuritaires : ils habitent les beaux quartiers. Frontières scolaires : leurs enfants fréquentent les meilleurs établissements. Frontières sociales : leur position les met à l'abri de tous les désordres de la mondialisation et en situation d'en recueillir tous les bénéfices.
J'entends dire çà et là que la stratégie qui consiste, non pas à se "droitiser", mais à prendre en compte les préoccupations populaires serait un échec. Un échec pour qui ? Il y a un an, les sondages donnaient Nicolas Sarkozy au coude-à-coude avec Marine Le Pen sans certitude de qualification pour le second tour. A la fin de janvier 2012, il ne la devançait que de 3 points en moyenne. Aujourd'hui, l'écart se situe entre 10 et 12 points.
Propos recueillis par Arnaud Leparmentier et Vanessa Schneider

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