TOUT EST DIT

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mardi 27 mars 2012

L'exception française 


Un empereur de la Rome antique apostrophé sur les vices de sa dictature répliqua : "Le peuple, ces temps-ci, n'est pas meilleur que moi..." Cette réplique brûle, dirait-on, les lèvres de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Ils ne croient pas le peuple français meilleur qu'eux. Ils n'en feront pas l'aveu. Mais ce peuple, souverain des urnes, ils le voient inapte à connaître et affronter la cruelle vérité de son état. Lui annoncer et détailler la cure qui l'attend, c'est, croient-ils, courir droit à l'échec électoral. C'est perdre les voix séduites par les gourous des temps de crise occupés à saigner les boucs émissaires d'autrefois et d'aujourd'hui : le monde tel qu'il se mondialise, l'Europe, la finance apatride, les riches... Mieux vaut, pensent nos deux champions, consentir par quelques postures à cette chasse à courre. Quitte, la victoire en poche, à oublier le gros des simagrées avant de ramener les égarés sur le champ de bataille de la dette et de la croissance.
Ce calcul n'améliore pas la pédagogie espérée de la campagne électorale. Il laissera des traces après l'élection. Or la grande affaire de la France, c'est sans doute l'élection, mais plus encore les six premiers mois où le futur président affrontera une incontournable adversité. Les lendemains déchanteront.
L'air des temps de crise, c'est, depuis toujours, le repli dans le nationalisme protectionniste. Il a, dans cette campagne, deux figures de proue : Mélenchon et Marine Le Pen, aux extrémités gauche et droite de l'éventail. Ils bougent l'un et l'autre dans deux courants séculaires de la fronde française. Tout en s'exécrant, ils se rejoignent dans la radicalité de leurs projets et le néosouverainisme de leur ligne Maginot : ils veulent mettre la Ve République par terre et affronter le monde tel qu'il est avec le petit sabre de l'exception française.
Mélenchon, apôtre de la "révolution citoyenne", a le talent du verbe, la jactance du rebelle, le rataplan bien balancé du tribun. Son oeillet rouge fleurit d'instinct les grands lieux de mémoire de la gauche française : la Bastille, la Commune et le "grand soir". Son défilé, l'autre jour, fleurait les "aristos à la lanterne" et "Le temps des cerises".
Son bouche-à-bouche ranime un Parti communiste agonisant. Au Café de Flore - Fouquet's de la gauche caviar -, on murmure déjà qu'il vaut mieux "avoir tort avec Mélenchon que raison avec Rocard". En invectivant les riches et les fesse-mathieux de la finance cosmopolite, Mélenchon prendra des voix au Parti socialiste. Et si Hollande l'emporte, son ralliement fera miauler la cougar sociale-démocrate. Cette forte bouffée d'une "exception française" - qui aura durablement plombé la France - inquiète toute l'Europe.
Marine Le Pen, elle, n'a pas dit son dernier mot. Elle tient vaillamment la route dans le tohu-bohu médiatique. Apprêté par la crise, le néosouverainisme tombe tout rôti dans son tablier. Avenante et enjôleuse, elle a beau gommer les outrances xénophobes passéistes du papa, elle en garde l'estoc pour crever rien de moins que l'euro et l'Europe... Carnage virtuel qui excite l'électorat populiste à qui Sarkozy, "candidat du peuple", adresse, pour l'entre-deux-tours, quelques oeillades.
Car le pronostic, peut-être prématuré mais constant, de Sarkozy et de Hollande, c'est que la présidence ira à l'un ou à l'autre. Et qu'ils doivent d'ores et déjà ménager les électeurs des candidats dont ils prévoient, au premier tour, le naufrage : Marine Le Pen, François Bayrou et Mélenchon. Dans ce trio, le duo Le Pen-Mélenchon a pour traits communs son assiette populaire, sa fièvre antiélitaire et le pilori dressé contre l'euro et la finance cosmopolite. L'un et l'autre veulent "renationaliser" la politique française. Constatons que, bien au-delà de leur incantation, la nation reverdit dans le sauve-qui-peut d'une opinion désemparée.
Les contorsions électoralistes de Sarkozy et de Hollande sacrifient donc à ce syndrome nationaliste. Hollande lance, dans les jambes de Mélenchon, les 75 % d'impôt pour les super-riches. Il retrouve Sarkozy pour vouloir renégocier tantôt ceci, tantôt cela des traités européens. Une gesticulation qui, malgré son évidente comédie électoraliste, fait des remous : on y respire à Berlin, Rome, Madrid, La Haye et Bruxelles une conception britannique de l'Europe. Et cette idée rampante qu'au fond la France n'aime l'Europe que... française.
On y dénonce surtout l'exception d'une certaine immaturité politique et économique du peuple français. Celle qui fuit la vérité du constat et les devoirs de l'effort. Ces jours-ci, l'Allemagne, avec en poupe le vent de ses réformes bien engrangées, assène une insolente réussite. Et le peuple suisse, par référendum, refuse de compromettre sa propre santé en rajoutant deux semaines à ses quatre semaines de congés annuels. Peuples spartiates. Des Martiens ? Non, des voisins !

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