S'octroyer, en moyenne, des hausses de salaires de 34% alors que le chômage explose n'est pas le meilleur moyen de contribuer à la recherche de la paix sociale. Nicolas Sarkozy n'a-t-il pas lui-même dénoncé les salaires exorbitants des traders et des grands managers salariés d'entreprise. Un retour de bâton fiscal était inévitable. Il a d'ailleurs déjà commencé dans de moindres proportions, dans de nombreux autres pays, en Allemagne comme au Royaume-Uni. Le débat sur le sujet est aussi très vif aux Etats-Unis. Gageons que si Obama est réélu en novembre prochain, il reviendra sur les cadeaux fiscaux accordés aux plus riches américains par George W. Bush. Arrêtons donc de nous voiler la face sur une question qui est devenue plus sociétale qu'économique.
Seul problème, le coup d'éclat de François Hollande, s'il est populaire et ne choque finalement pas grand monde (entre 3000 et 10.000 personnes concernées, sur 65 millions d'habitants, dont le revenu médian dépasse à peine 1600 euros par mois) est trop imprécis pour être accepté comme tel. 75%, plus les prélèvements sociaux, plus l'ISF et l'impôt sur les plus-values et sur les successions, l'impôt-punitif risque de devenir dissuasif et spoliateur, ce qui n'est pas l'objectif, en tout cas du parti socialiste. N'est-ce pas lui qui a exonéré d'ISF les oeuvres d'art... Le calcul est simple à faire: en alignant la fiscalité du travail et du capital, avec un taux supérieur de l'impôt sur le revenu à 75%, ce seront non seulement les salaires, mais aussi les cessions d'entreprises qui seront frappés. Ajouté à un ISF non plafonné, que Hollande envisage de rétablir au barème qui préexistait avant la réforme Sarkozy de juin 2011, on s'orienterait donc vers des taux de taxation proches voire supérieurs à 100%.
Quitte à payer une "exit tax", dont les décrets d'application viennent de paraître, tous les créateurs d'entreprises sont incités à sortir de France à vitesse grand V. Payer maintenant un peu (32,5%), avant de se faire essorer, plus tard, à au moins 83%, le calcul est vite fait. Il fait d'ailleurs la fortune des cabinets d'avocats fiscalistes et des agents immobiliers de Bruxelles, Londres ou Genève. A moins de viser d'autres paradis plus lontains encore, puisque la Belgique, la Suisse et la Grande Bretagne envisagent aussi, crise oblige, en des tours de vis fiscaux sur leurs ressortissants et sur leurs réfugiés fiscaux...
Nicolas Sarkozy n'est pas en reste. Avec son impôt minimum sur les bénéfices des multinationales qui ne payent pas d'impôt en France, le président-candidat a lui-aussi assuré le spectacle fiscal à bon compte, en ciblant l'entreprise la moins aimée des Français, Total, qui ne paie pas, ou peu d'impôts en France, malgré des bénéfices record. Le casse-tête reste entier sur la façon dont le chef de l'Etat compte s'y prendre pour taxer des entreprises qui ne réalisent pas de bénéfices en France. Faut-il dénoncer toutes les conventions fiscales bilatérales patiemment négociées depuis de longues années? Créer un impôt forfaitaire sur le chiffre d'affaires mondial ? La préoccupation est légitime. Mais comment procéder ?
Comme Hollande, Sarkozy joue sur le registre du "patriotisme fiscal", un concept qui n'a jamais empêché de dormir un patron du CAC 40, eût-il fait l'ENA. Le problème avec cette mesure improvisée, c'est qu'elle engendre, là encore, une incertitude fiscale peu propice à l'investissement et aux affaires. Qu'on le veuille ou non, la démagogie fiscale cohabite rarement bien avec l'économie. Voilà un président qui en cinq ans, n'a rien fait sur un sujet pourtant bien documenté -un quart des entreprises du CAC 40 ne paient pas d'impôts en France- et qui se réveille à la veille d'une élection qui se présente mal pour lui et décide tout à trac de changer les règles du jeu. Le risque qu'il prend, comme son rival socialiste, c'est de faire fuir les sièges sociaux des entreprises françaises dont le patriotisme économique a des limites, et de dissuader toutes les entreprises étrangères de venir investir en France. Des années de travail pour les rassurer, par exemple en supprimant la taxe professionnelle, sont en train de partir en fumée.
Le silence avec lequel les patrons, qui rencontreront mardi prochain les principaux candidats à l'invitation de l'Afep, le lobby du CAC 40, ont accueilli les propositions de Hollande comme de Sarkozy en dit long sur la gêne qu'ils éprouvent à s'exprimer pendant cette campagne. La première du 21ème siècle, a dit Sarkozy... Au train où vont les choses, le choc fiscal proposé par l'un ou l'autre pourrait finir par les précipiter dans les bras du seul candidat qui est resté raisonnable s'agissant de l'impôt : François Bayrou qui a propos de la mesure Hollande, a dit que "le déconomètre fonctionne à plein tubes"... Ce qui est sûr, c'est que Hollande comme Sarkozy ont intérêt à préciser, d'urgence, leurs propositions, s'ils veulent éviter, l'un comme l'autre, de se heurter au fatal, mais inévitable, "mur de l'argent".
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