Nicolas Sarkozy a déclaré ce jeudi qu’il "arrêterait la politique s’il n’était pas réélu en mai prochain". Quelles seraient les conséquences ? L'UMP exploserait-elle ? Quelles personnalités se disputeraient sa succession ? Analyses croisées d'André Bercoff, Ruth Elkrief, Jean-François Kahn et Ivan Rioufol.
Atlantico : Nicolas Sarkozy a déclaré ce jeudi qu’il "arrêterait la politique s’il n’était pas réélu en mai prochain". Si cette dernière hypothèse survenait effectivement, qui pourrait alors prendre les rênes de la droite ?
André Bercoff : Je crois que Jean-François Copé et François Fillon se livreraient à une lutte personnelle. Cela fait partie des gènes du politique : quand le plus haut poste est libre, pour un certain nombre de candidats, cela implique qu’il faut tuer et la politique est l’art de tuer au bon moment. Mais on ne peut pas dire maintenant qui va tirer son épingle du jeu.
On ne peut pas exclure non plus qu’apparaisse un héros de la droite dure, plus populaire, qui émerge avec des solutions à la crise. Tout dépendra de l’aggravation de celle-ci. Regardez ce qui s’est passé en Hollande ou en Autriche. Ce ne serait pas forcément quelqu’un issu de l’extrême droite, mais quelqu’un qui pourrait faire un appel à l’ordre généralisé.
Jean-François Kahn : Le conflit Fillon/Copé devrait prendre une teinte politico-idéologique. Je pense que la tendance UMP qui pourrait accepter une alliance avec le Front national sera représentée par Jean-François Copé. La tendance Fillon/Juppé penchera plus vers l’ « UMP maintenue ».
Par ailleurs, si Nicolas Sarkozy est battu assez nettement, il va se passer une première chose très désagréable. Comme il est un homme qui a du caractère et de la volonté, il n’a pas toujours bien traité ses amis. Il les a brutalisés, même humiliés dans certains cas. A partir du moment où il serait battu assez nettement, il devrait être "lynché" par ses propres amis. Un peu comme un piranha qui s’acharne sur la bête qui perd son sang. Si cela va vraiment trop loin, je me mettrai même à défendre Sarkozy…
Ivan Rioufol : Les personnalités se calent sur la volonté des électeurs. En l’occurrence, leur volonté tendrait plus, selon moi, vers un rapprochement entre une partie de l’UMP et l’électorat du Front national. La refondation de la droite se fera en fonction des opinions et non des personnes. Les personnes viendront par la suite. Il faudrait qu’il y ait des personnalités suffisamment ouvertes pour cesser de diaboliser toute cette opinion qui n’est pas représentée depuis tant d’années. Cette opinion qui pense qu’il existe une crise identitaire aussi importante que la crise économique. Je ne suis pas sûr que Jean-François Copé puisse entendre ces voix-là. Il me semble très conventionnel, très imprégné par le discours conformiste.
Deux précisions : d'une part, je crois Nicolas Sarkozy quand il dit qu'il arrêtera la politique s'il perd l'élection. D'autre part, je pense que la droite a encore des chances de gagner.
Ruth Elkrief : Avant tout, Nicolas Sarkozy n’arrêtera pas la politique. Il aime trop la bataille, l’adrénaline, la victoire. S’il perd, iI va partir en vacances, se reposer, récupérer physiquement, mais la politique va vite lui manquer. C’est une drogue plus forte que tout. Je le pense donc sincère aujourd’hui, mais doute qu’il ira jusqu’au bout.
Si Nicolas Sarkozy n’est pas réélu, une chose est sûre : la guerre ouverte entre François Fillon et Jean-François Copé apparaitra au grand jour, avec en embuscade Alain Juppé. Jean-François Copé est d’ailleurs déjà prêt. Il a ses bataillons en ordre de marche. François Fillon pourrait alors demander des votes, un conseil national d’urgence, etc. De son côté, Alain Juppé sera là pour pacifier, séparer les candidats et proposer une période de transition, de pacification.
On devrait aussi trouver parmi les prétendants pour reprendre le flambeau des personnalités plus jeunes comme Nathalie Kosciusko-Morizet, Laurent Wauquiez ou Xavier Bertrand. Ces jeunes sarkozystes tenteront de se démarquer. Ils ne seront peut-être pas prêts pour 2017, mais puisque c’est un travail de longue haleine, autant commencer tôt...
Le choix devrait in fine s’effectuer par une primaire. Même si les primaires socialistes ont été très critiquées à droite, le parti ne devrait pas y couper.
Une explosion de l'UMP serait-elle alors inévitable ?
André Bercoff : Si Nicolas Sarkozy n’est pas réélu, il y aura une explosion, les plaques tectoniques bougeront. On pourrait assister à une recomposition de la droite, avec une partie qui revendique un certain nombre de croyances et n’a pas envie de brader les questions d’identité et, de l'autre, une tendance plus centriste, plus modérée, qui irait de François Bayrou à Laurent Wauquiez. L’UMP se scinderait et l’on retrouverait deux versions 2012 du RPR et de l’UDF.
Ivan Rioufol : Dans tous les cas de figure, si la droite échoue, il faudra qu’elle fasse son examen de conscience. Cela voudra dire qu’elle n’a pas su s’intéresser aux électeurs. Elle n’aura pas été suffisamment audacieuse et devra revoir ses fondamentaux, s’ouvrir davantage à droite. Ensuite, si la droite perd, elle devra se poser la question de savoir si les centristes ont été un poids, une sorte de mauvaise conscience permanente.
Jean-François Kahn : Si Nicolas Sarkozy perd de très peu, l’UMP peut être sauvée. Si la défaite est nette, le sarkozysme éclatera. L’UMP se retrouvera avec des sensibilités différentes et notamment un courant « centristo-humaniste » qui voudra reprendre leurs billes, surtout si François Bayrou fait un bon score.
Ensuite, si Sarkozy est battu assez nettement, cela signifie que, pour les élections législatives qui suivent, nous aurons un parti UMP aux alentours de 22% et éventuellement un Front national à 18-19%.
- Soit l’UMP refuse toute alliance avec le Front national au nom des valeurs.
- Soit ils acceptent un accord au second tour avec le Front national et le parti sauve 200-250 députés.
L’UMP devrait se scinder sur cette question. Il y a aura les partisans d’une UMP maintenue qui se regroupera autour d’Alain Juppé ou de François Fillon, et une fraction qui sera décidée à faire une alliance, au moins électorale, avec le Front national.
Quel rôle pourrait jouer François Bayrou dans cette éventuelle recomposition de la droite ?
André Bercoff : S’il n’est pas au second tour, il me paraît très difficile qu'il arrive à rassembler autour de son nom.
Ivan Rioufol : François Bayrou aurait toutes les qualités pour représenter cet homme qui pourrait unifier la droite. Mais son problème est qu’il ne voit que d’un œil. Il a parfaitement analysé la crise économique le premier dès 2007. Mais il ne perçoit pas la crise identitaire qui est pour moi plus importante encore. Cette crise n’est abordée nulle part, sauf pour l’instant au Front national. C’est une crise de la cohésion nationale, causée par les phénomènes migratoires, la survenue de l’islam politique, le communautarisme et les revendications identitaires.
Jean-François Kahn : Je ne vois pas pourquoi François Bayrou reviendrait au bercail au moment où le bercail explose en vol. C'est à l’ensemble de la mouvance droite humaniste gaulliste à se rallier à lui. C'est ce qu'elle finirait par faire d'ailleurs. Il existe toutefois une autre inconnue. Si François Hollande est élu, est-ce qu’il fera des avances à François Bayrou et au Modem ? Est-ce qu’il lui proposera un poste ? Je pense personnellement qu’il ne le fera pas, même si un gouvernement de coalition ne serait pas une mauvaise chose pour le pays.
Ruth Elkrief : Tout dépendra du score de François Bayrou à la présidentielle : il pourrait récupérer quelques sarkozystes déçus, ce qu’il fait déjà un peu dans les sondages. Par contre, s’il réalise un score aux alentours de 12%, je ne sais pas comment il pourra s'en sortir.
Quel héritage pourrait laisser Nicolas Sarkozy s'il n'était pas réélu ?
André Bercoff : Les vrais héritiers de Nicolas Sarkozy, ne seront peut-être pas ses fils et ses filles affichés. Car il n’a pas engendré de famille, il a juste créé un tempérament, une manière de se battre, une manière d’être, avec tout l'aspect "nouveau riche", mais aussi un côté extrêmement pugnace.
Jean-François Kahn : Si Nicolas Sarkozy perd nettement, je pense que ceux qu'il a favorisés seront marginalisés. Mais ils sont peu nombreux finalement, une dizaine tout au plus. Si la défaite est moins lourde, ils resteront unis au moins jusqu’aux législatives.
Ivan Rioufol : Si Nicolas Sarkozy est battu et que la gauche passe, nous aurons une République confisquée. La gauche détiendra, outre l’Elysée et le Parlement, les grandes régions, les grandes municipalités, elle aura en plus (ce qu’elle a d’ailleurs depuis toujours) son magistère sur les médias, la justice, les syndicats et l’éducation. Cela sera un système un peu étouffant. Nicolas Sarkozy restera comme un réformiste. Je crois qu’il y a une mauvaise interprétation qui est faite de lui : on le présente comme un boutefeu, alors qu'il est plutôt un avocat qui ne cesse de faire des compromis.
Ruth Elkrief : Même en cas d’échec à la présidentielle, je pense que Nicolas Sarkozy pourrait revenir plusieurs mois plus tard et s’imposer comme l’une des personnalités majeures de la droite. On entend même ici ou là, qu’il pourrait se présenter en cas d'échec à la présidentielle à la mairie de Paris…
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