TOUT EST DIT

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dimanche 19 février 2012

Crise en Grèce: la mort comme échappatoire

Les mesures d'austérité imposées en Grèce, où le gouvernement cherche par tous les moyens à éviter la faillite, ont un très lourd impact sur la population. Les coupes dans les salaires et les pensions et l'accumulation de taxes spéciales rendent la vie impossible à nombre de ressortissants du pays, au point de faire monter en flèche le taux de suicide. Notre envoyé spécial, Marc Thibodeau, raconte la douleur d'un peuple au pied du mur.
En décembre, Nikolaos a quitté sa résidence en périphérie d'Athènes sans rien dire à sa femme et ses deux enfants et s'est rendu à la côte en autobus. Une fois à destination, il a attaché autour de son cou une corde reliée à une grosse pierre et s'est lancé dans la mer.
Ses proches, alertés par le fait qu'il était parti en laissant ses documents personnels et sa chaîne ornée d'une croix orthodoxe, ont d'abord cru à un mouvement d'humeur. Avant d'être avisés après quelques jours d'une attente interminable de la découverte de son corps.
L'homme de 45 ans, qui travaillait comme gardien de nuit, s'était récemment vu proposer des horaires réduits, qui avaient fait fondre le revenu familial à 700 euros par mois, une somme accaparée aux deux tiers par l'hypothèque de la maison.
«Il n'a jamais demandé d'aide. C'était un homme très fier», relate une proche amie du défunt, qui a accepté avec réticence de raconter son histoire à La Presse.
Elle a demandé de préserver son anonymat parce que la cause exacte de la mort de l'homme a été cachée. Par crainte que l'Église orthodoxe ne lui refuse un service religieux. Aussi pour éviter que ses deux enfants aient à porter le «stigmate» lié au suicide d'un parent.
Au cours d'un récit ponctué de pleurs, l'amie du défunt a souligné que ses difficultés économiques avaient eu raison de sa détermination alors qu'il devait déjà composer avec les troubles psychologiques de sa femme et la maladie d'un de ses enfants.
«La famille reçoit aujourd'hui de la nourriture de l'église locale. Et tout le monde s'est cotisé pour qu'ils puissent notamment acheter les médicaments dont ils ont besoin. C'est très difficile», a-t-elle confié.
Bien que les histoires de suicide soient peu rapportées dans les médias grecs, elles ne sont pas rares en cette période de crise. Et le désespoir suscité par les mesures d'austérité est omniprésent.
Il y a quelques jours, une femme, ingénieure civile de profession, a retenu l'attention du public en menaçant de sauter d'un immeuble du centre-ville avec son mari.
L'agence gouvernementale pour laquelle travaillait le couple vient d'être fermée pour économiser de l'argent et les employés ont décidé d'occuper l'immeuble pour protester.

Perikilis Athanasopoulos, qui participe à l'occupation, a expliqué sur place que le couple était déjà incapable d'assumer les frais médicaux requis pour un enfant souffrant d'une maladie rare. L'annonce de leur licenciement a plongé l'homme et la femme dans le désespoir. «Il y aura d'autres événements de ce type», a prédit M. Athanasopoulos.
Le ministère de la Santé grec a récemment signalé que le taux de suicide dans le pays, longtemps l'un des plus faibles d'Europe, avait augmenté de 40% dans la première moitié de 2011.
Klimaka, une organisation communautaire d'Athènes qui gère une ligne de soutien psychologique pour les personnes en détresse psychologique, a vu le nombre d'appels doubler depuis le début de la crise.
La coordonnatrice d'un centre d'accueil chapeauté également par l'organisation, Athanasia Tourkou, note que de plus en plus de gens utilisant ces services sont des personnes qui étaient à l'aise financièrement, découragées parce qu'elles»ne peuvent plus payer les factures».
Les difficultés manifestées dans les appels d'urgence ne sont que la pointe de l'iceberg puisque les mesures d'austérité touchent durement de vastes pans de la population.
Aristophanes Koutoungos, qui enseigne la philosophie dans une université d'Athènes, n'avait jamais envisagé qu'il serait un jour aux prises avec un manque d'argent. «Je suis censé faire partie des gens privilégiés», ironise l'homme de 64 ans.
En raison des coupes imposées aux employés de l'État, ses revenus ont été réduits du tiers. Et ils devraient encore fondre dans les mois qui viennent pour s'établir autour de 1500 euros.
Depuis plusieurs mois, il est incapable d'assumer l'ensemble de ses factures courantes et ses paiements hypothécaires. «Je paie un peu à gauche et à droite, mais je m'endette de plus en plus», relate M. Koutoungos, qui a dû se résigner à contrecoeur à vendre sa résidence pour rester à flot.
«C'est terrible à vivre... D'autant plus que nous n'avons aucun espoir de voir les choses s'améliorer dans le pays», dit le professeur.
«Il n'y a plus de classe moyenne en Grèce. Et l'écart entre riches et pauvres va aller en augmentant», déplore Mme Tourkou, qui en veut aux politiciens de continuer à encaisser des salaires confortables tout en imposant des coupes tous azimuts, y compris dans les services d'aide aux plus démunis. «Beaucoup sont totalement laissés à eux-mêmes», dit-elle.
Certains à Athènes tentent de survivre en fouillant dans les poubelles. D'autres, qui poussent des chariots de supermarché dans la rue, empilent des objets récupérés à droite et à gauche dans l'espoir d'en tirer quelques sous chez lers brocanteurs.
Un homme qui dormait sur un trottoir cette semaine, caché sous une couverture, a laissé une petite affiche à côté de lui dans l'espoir d'un miracle. «Je veux un emploi», a-t-il noté en indiquant son numéro de téléphone.
Nicolina Canjeva n'est pas rendue là, mais sa situation est pratiquement aussi précaire. L'immigrante bulgare, qui ne trouve plus d'emploi comme ménagère ou comme aide aux personnes âgées, vient tous les jours chercher de la nourriture gratuite dans un centre municipal qui offre des repas à des milliers de personnes.
«Je n'ai pas eu de travail depuis deux mois», souligne la femme de 64 ans, qui a demandé à l'interprète grecque de La Presse si elle pouvait l'aider à trouver des contrats.
Stella Agrafiotou, qui vient parfois prêter main-forte au personnel du centre municipal, est touchée aux larmes par la détérioration de la situation.
«Tous les jours, ça va de mal en pis», indique la femme de 58 ans, qui affirme avoir eu vent que des gens vivant dans la rue en sont rendus à manger des chiens errants pour survivre. Il s'agit, se sent-elle obligée de préciser en parlant de cette information invérifiable, de «Pakistanais» et non de Grecs.
Bien qu'elle pense que le pays ne peut faire autrement que de se serrer la ceinture, elle déplore l'impact des mesures d'austérité. «La classe moyenne est en train d'être passée à la hache», soutient-elle.
«Je pense que la situation va encore se détériorer. La prochaine étape est que l'on se retrouve tous à la rue», conclut Mme Agrafiotou.

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