TOUT EST DIT

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dimanche 4 décembre 2011

La lune entre les dents

L'Europe, on le sait, n'aime pas les horloges. Mais c'est la première fois qu'elle redoute d'y entendre sonner le glas. Les marchés, à son chevet, interrogent le pronostic vital : celui de la confiance du monde dans la survie de son grand corps malade. Est-ce, dites-vous, Dieu possible ? Eh bien, oui ! Il est plausible que se déglingue le Meccano de l'Europe, de son marché commun, de ses institutions. Il est plausible que sombre le plus vaste projet mondial de pays libres pour unifier, enfin, un vieux continent béni et maudit par l'Histoire.

On savait l'Europe communautaire privée de ferveur et chaleur populaires. On la savait oublieuse de l'identité géographique et civilisationnelle qui inspira ses créateurs, et dont aucune grande voix ne perpétue la vision. On la voyait figée dans l'édifice technocrate de sa bureaucratie bruxelloise, et dont le populaire ignorait les mérites. L'Europe s'est de plus en plus élargie et de moins en moins approfondie. Elle est rongée par le doute. Le malheur veut que la crise financière ait porté ce doute à l'incandescence. Qu'elle ait ranimé les rétractions nationales, endormi l'espérance dans l'indifférence de peuples fatigués. L'Europe ne s'aime pas assez. Elle se fait eurosceptique. Hélas, les marchés aussi ! Ils mettent le sel sur une plaie ouverte. Ils enferment l'Europe dans le cycle infernal de la défiance.

Une défiance des marchés, celle qui pointe en Europe une crise de la dette. Une crise de la dette qui déclenche une crise de l'euro. Une crise de l'euro qui sanctionne l'impotence de l'Europe. De bas en haut, un enchaînement implacable ! L'Europe ne s'en sortira - si elle s'en sort - que par le haut.

Que l'agressivité des marchés soit avivée par le dérèglement du système spéculatif, que l'esprit de lucre et l'explosion d'une interconnexion mondialisée ait renversé des garde-fous, c'est indiscutable. Mais sur ces évidences on se défausse en vain. Car les marchés, prêteurs mondialisés, s'alarment - et à juste titre - du sort de leurs créances. Et désormais de la solvabilité des Etats eux-mêmes. La crise ne fait en somme qu'éclairer a giorno les gouffres financiers de pays drogués au déficit.

L'euro, monnaie forte, devrait, à l'évidence, assumer et garantir dans l'épreuve les dettes des traînards. Hélas, l'euro n'est que la monnaie commune d'une Europe qui l'est de moins en moins. Entravée par cette défaillance fondamentale, la banque de l'euro, la BCE, ne peut agir comme les banques centrales américaine ou japonaise. Les marchés le savent, comme vous et moi. Ils doutent que, sans le viatique de la BCE, les surendettés se sortent seuls du gouffre où ils se sont laissés glisser. D'autant que les marchés découvrent que la cure nécessaire des drogués peut tuer à force de guérir. Et qu'étouffés par la récession qui menace les malades ne sortent de l'hôpital que pour la tombe. Et leurs dettes avec !

Nous voici donc menés, d'un degré l'autre, à ce jugement dernier de l'Europe. Si l'euro et sa banque ne peuvent desserrer l'étau, c'est que l'Europe, géant économique, reste un pitoyable handicapé politique. L'Allemagne, premier de cordée, hésite à jeter la corde vers les grimpeurs défaillants avant que soient plantés les derniers pitons de l'escalade européenne : ceux d'une réelle gouvernance économique.

Cette gouvernance, ce serait une révolution ! Car elle installerait l'abandon d'une partie de la sacro-sainte souveraineté budgétaire des Etats. Mais les marchés plaquent les Etats flageolants au pied d'un mur : soit ils choisissent de concéder à l'Europe ce premier abandon de souveraineté, soit ils se livrent, pieds et poings liés, à la souveraineté des marchés.

Bref, ce qui est demandé à l'Europe, c'est un premier saut de nature "fédérale", lourd de conséquences, et à quoi ni l'Allemagne ni la France ne sont prêtes à consentir dans l'urgence. Demain, peut-être ! Mais le processus exige l'approbation soit référendaire, soit parlementaire d'Etats soumis à leurs Constitutions. Or le temps presse. Et les surendettés ont l'épée dans les reins.

Dans l'urgence, l'Allemagne, pressée par tous - et par l'Amérique elle-même ! -, mesure sa responsabilité historique. Et déjà sa propre vulnérabilité dans la menace d'effondrement de la zone euro. Elle concocte donc, pour les jours qui viennent, avec la France, un pacte de stabilité : il proposera, pour un certain nombre d'Etats volontaires, d'apporter, par contrôles et sanctions communes, les garanties immédiates qu'une réelle gouvernance économique ne peut encore assurer. Un noyau de quelques pays bénéficiant encore de la relative bienveillance des marchés pour une sorte de commune caution "bourgeoise"...

Ce pacte suffira-t-il ? Depuis deux ans, 17 sommets franco-allemands n'ont pu trancher le noeud gordien, ce que l'Europe attend encore. Mais peut-être, sous l'extrême contrainte, l'Europe se décide-t-elle enfin, comme on dit en Orient,"à saisir la lune entre les dents."

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