TOUT EST DIT

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samedi 26 novembre 2011

Des lois instantanées

Le viol et le meurtre d’Agnès ont mis la classe politique en effervescence. Tambour battant, plusieurs mesures inspirées du drame de Chambon-sur-Lignon ont été ajoutées au projet de loi sur la récidive adopté mercredi en Conseil des ministres. Et cela, moins d’une semaine après le drame !

Quoi de plus naturel, dira-t-on ? La gravité des faits et la carence des textes ne justifient-ils pas une intervention dans l’urgence ? C’est à voir. Car si on examine la situation avec un peu de sang-froid, on
ne dénombre que très peu de cas similaires dans la décennie. Une loi pour quelques cas, n’est-ce pas disproportionné alors même qu’une invitation à la vigilance adressée aux professionnels concernés aurait probablement suffi ? N’est-ce pas céder au fantasme du « zéro risque » et à la tentation de « faire de tout sujet du journal télévisé de 20 h l’objet d’une loi » ?

Mais chacun sait que dans cette agitation très temporaire, ce n’est pas tant le propos explicite qui importe que le subliminal, le message implicite adressé au pays sur le mode : « Dormez bonnes gens, nous veillons sur vous avec sollicitude. » En un temps de victimisation généralisée, ce discours compassionnel est de ceux qui portent, spécialement en période électorale, avec le risque de céder aux facilités du populisme. Les «gens» veulent de la sécurité, il faut leur en donner…

Cette manière de soumettre le droit à la loi de l’événement n’est certes pas nouvelle. À droite comme à gauche, combien de mesures pour la famille annoncées à la veille de la Conférence annuelle des familles où le Premier ministre est invité, combien de dispositifs en faveur des femmes à la veille d’une consultation importante, de projets de loi contre les discriminations à l’égard des homosexuels juste avant la Gay Pride ? Sans compter les cas plus ordinaires de chiens méchants, d’inondations surprises ou d’agissements inédits où l’on fabrique du droit instantané, comme le café en poudre, au risque de normes vite solubles dans le temps.

Si ce mode de gestion publique procure des gratifications symboliques et réelles, il se révèle détestable pour la justice. Et sa nocivité a maintes fois été épinglée par les plus hautes autorités juridiques de l’État. Par le président du Conseil constitutionnel, regrettant que « la griserie de l’annonce l’emporte bien souvent sur les contraintes de la prévision ». Ou par le Conseil d’État, citant parmi les « facteurs pathogènes » de complexité du droit « la communication médiatique autour de la loi et la précipitation du politique… » Et comment ne pas les approuver quand on sait que le nouveau projet de loi adopté n’est que la… 50e modification du Code pénal en dix ans ?

Mais c’est ainsi : notre «légicentrisme » est tel que nous nous sentons nus sans le vêtement chaud de la loi. Et le brouillage des repères éthiques n’a fait qu’accentuer ce travers dont se moquait déjà Montaigne au XVIe siècle : « Nous avons en Franceplus de lois que le reste du monde ensemble. Qu’ont gagné nos législateurs à choisir cent mille espèces et faits particuliers à y attacher cent mille lois ? Les lois les plus désirables sont les plus rares, simples et générales. » Quatre siècles plus tard,
un conseiller d’État lui fait écho en observant qu’ « il devient plus qu’urgent de refroidir le moteur de la production normative» (1). On n’en prend pas le chemin !


(1) Bernard Pignerol, Droit et complexité, Presses universitaires de Rennes, 2007.

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