TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

jeudi 24 novembre 2011

Des colonels aux marchés…

En Grèce, le 17 novembre 1973, des manifestations d’étudiants ouvraient une brèche dans 
la dictature des colonels. Dimitris Papachristos, l’ex-voix de la radio de Polytechnique, se souvient et fait le parallèle entre la dictature d’autrefois 
et celle qui s’abat aujourd’hui sur 
le pays.

Athènes, envoyé spécial. En 1973, Dimitris Papachristos avait vingt-trois ans. S’il y a un jour de sa vie qu’il n’est pas près d’oublier, c’est bien le 17 novembre de cette année-là. Trente-huit ans plus tard, il confie : « Sur la place Syntagma, les Indignés, les manifestants comprennent bien le continuum qui se joue aujourd’hui : ils reprennent notre slogan de l’époque : “pain, éducation, liberté” auquel ils ajoutent : “la dictature n’est pas tombée en 1973”. » « La junte n’est plus là, souligne Papachristos, mais nous avons une dictature économique qui a amené notre pays sous l’occupation de la troïka (BCE, Commission, FMI), des banquiers et des financiers. »

Constat amer du héros de la résistance aux colonels. Ces derniers s’étaient emparés du pouvoir en 1967, par un coup d’État, et ne devaient l’abandonner qu’en 1974, sous la pression populaire. Le 17 novembre 1973 fut une étape essentielle. Papachristos, avec d’autres étudiants, avec la part de la population qui résistait aux colonels, s’est battu pour libérer le pays.

« Je ne regrette pas d’avoir chanté l’hymne national à la radio ce jour-là. Ce fut comme une catharsis face à cette junte qui l’avait salie », souligne-t-il. Il était alors le responsable de la radio.

« Ici Polytechnique, la seule radio libre »

« La station a joué un rôle déterminant ; elle était la voix des insurgés, écoutée dans toute la Grèce, et au-delà des frontières. Les Grecs à l’étranger pouvaient savoir ce qui se passait, ici. » « Ici Polytechnique, la seule radio libre » : ce slogan d’alors trouve, aujourd’hui aussi, un écho. Car la plupart des médias sont aux mains de groupes financiers (armateurs, pétrole…) et ERT, la radiotélévision, est souvent critiquée pour relayer la « parole officielle ».

Papachristos se souvient : « Ils ont compris que la radio était une arme. Une arme, que le gouvernement se devait de détruire pour se maintenir. Il était 2 heures et demie du matin. Les chars étaient sur Patission (l’avenue qui longe Polytechnique) ; un hélicoptère volait au-dessus de nos têtes. Puis nous avons appris par téléphone que nous avions déjà eu des morts. J’étais dans cette situation difficile, fallait-il annoncer, ou pas, les morts? On craignait que les gens ne prennent peur. J’ai préféré l’annoncer. Ils ont éteint les lumières, par erreur. Je croyais que la soldatesque était entrée dans l’établissement. Alors j’ai chanté l’hymne national et j’ai terminé l’émission en disant : “La lutte continue, chacun avec ses armes.” Puis j’ai mis une chanson de Mikis Theodorakis, chanteur interdit. »

Papachristos continue de témoigner : « Tu ne peux pas imaginer ce que j’ai vu, même avec la plus grande imagination. Des garçons et des filles sur les barricades. Devant eux, des policiers qui attaquaient avec des matraques ; les soldats tenaient leur pistolet vers le bas, comme si leur sexe était tombé par terre. Nous les avions terrorisés ; les chars n’entraient pas. Ils ont dirigé leurs projecteurs vers nous, comme des rasoirs. Pendant une heure, nous avons vécu une guerre froide : nous faire peur pour que nous partions et que Polytechnique soit vidée. Pas un seul d’entre nous n’est parti. » S’ensuivent des scènes de lutte acharnée entre les étudiants et l’armée, des morts. Mais, « à ce moment-là, il n’y avait pas de peur ; nous l’avions dépassée. Il est des moments où même la mort ne compte pas. Pour nous, la liberté était plus importante que le pain. » Quelques mois plus tard, la dictature tombait.

De ces événements, l’ancien élu étudiant tire des leçons à méditer. Tout d’abord, « notre imagination a joué un grand rôle ». Ensuite, « l’utopie, quand tu y crois, peut devenir réalité ». Ou encore, « la révolution se fait tous les jours ». Enfin, il souhaite que « la gauche, qui porte une analyse juste sur la situation, sache convaincre le peuple qu’elle peut gouverner ». Une urgence car, dans le contexte de crise actuelle, ce qui se passe « est pire que la junte » car ils mettent à la tête des gouvernements « des technocrates sans visage ». « Ils organisent l’affrontement entre le Nord et le Sud », affirme-t-il.

Alors Papachristos lance un appel aux Indignés européens, au mouvement Occupy Wall Street, aux forces de gauche dans leur diversité à s’unir pour créer une nouvelle résistance à la technocratie sans visage, à la troïka, aux banquiers et aux financiers.

Commémoration sous tension

Ce 17 novembre 2011 pourrait avoir à Athènes une connotation particulière. Comme ce 28 octobre où le pouvoir, débordé 
par les manifestants, n’a pu organiser, comme prévu, 
les cérémonies officielles. À partir de 14 heures, 
à Polytechnique, auront lieu discours et prises de parole officiels. Mais ensuite des jeunes ont prévu de manifester. 
Et ils seront suivis par des cortèges de syndicalistes, 
politiques, citoyens. « Il faut faire de cette commémoration 
un nouvel épisode de la résistance à la troïka », explique Angelika, trente ans. Pour de nombreux Grecs, il faut 
se souvenir de 1973 pour mieux lutter en 2011.

0 commentaires: