TOUT EST DIT

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jeudi 28 juillet 2011

Trichet : "Jamais il n'a été question de faire sortir la Grèce de l'euro"

 Le patron de la Banque centrale européenne livre sa vérité au Point sur la tempête financière du siècle.

Le vendredi 22 juillet au matin, Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, est là, dans son bureau du 35e étage qui domine Francfort. Un peu fatigué mais à pied d'oeuvre, déjà, après avoir parcouru en voiture dans la nuit les 400 kilomètres pour rentrer de Bruxelles, où s'est tenu la veille un sommet des chefs d'État décisif pour sauver la Grèce et empêcher la contagion aux autres pays de la zone euro. Jean-Claude Trichet, le moine-soldat de l'euro, livre ses confidences au Point après la réunion du 21 juillet.

Le Point : Après le sommet de Bruxelles, l'euro est donc sauvé ?
Jean-Claude Trichet : L'euro lui même, la monnaie, n'a jamais été menacé. La question posée était celle de la stabilité financière de la zone euro du fait des problèmes budgétaires de la Grèce, pas celle de la monnaie unique. L'euro n'est pas contesté, il est stable, crédible, solide. L'euro a conservé sa valeur depuis plus de douze ans. La Banque centrale européenne est une ancre de stabilité et de confiance, ce qui est très important, particulièrement dans une période agitée et difficile.
Oui mais les pays en difficulté de la zone ne menacent-ils pas la monnaie unique ?
La tension observée sur les risques souverains n'est pas seulement un problème européen, c'est un problème mondial. Les États-Unis, le Japon ont aussi des problèmes budgétaires majeurs, vous le savez bien. Le paradoxe, c'est que, prise globalement, la zone euro est dans une situation nettement meilleure, avec un déficit budgétaire consolidé de 4,5 % du PIB environ cette année, contre 10 % environ dans ces deux autres pays. En revanche, individuellement, en Europe, la Grèce en particulier connaît une situation beaucoup plus difficile. L'ensemble des décisions prises à Bruxelles par les chefs d'État et de gouvernement est important pour la stabilité financière de la zone.
Quelle part a pris la BCE dans ce qui a été décidé à Bruxelles le 21 juillet ?
Dans pareilles circonstances il faut bien voir le rôle de la Banque centrale. Notre responsabilité est de garantir à dix-sept pays et 331 millions de citoyens la solidité et la stabilité de leur monnaie, de leur épargne et de leur pouvoir d'achat. L'inflation, on le sait, frappe durement les plus démunis et les plus vulnérables d'entre nous. Cette responsabilité nous a été confiée par nos démocraties. Nous y faisons face, et dans les douze premières années de l'euro, nous avons obtenu une inflation annuelle moyenne de 1,97 %, en ligne avec notre définition de la stabilité des prix : mois de 2 %, proche de 2 %. Par ailleurs, émettre la monnaie unique pour dix-sept pays et 331 millions d'habitants nous donne aussi une vision de synthèse qui nous permet de transmettre des messages à ceux qui prennent les décisions gouvernementales, sachant, bien sûr, qu'ils restent maîtres de leurs choix.
Votre participation, le 20 juillet à Berlin, à la rencontre Sarkozy-Merkel était-elle prévue ?
J'ai reçu une invitation d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy à les rejoindre à Berlin, où ils étaient à la Chancellerie. Le Conseil des gouverneurs de la Banque m'a indiqué, en temps réel, qu'il était utile que j'accepte cette invitation pour transmettre l'analyse de la BCE.
109 milliards d'euros pour la Grèce après 110 l'an dernier. Croyez- vous que l'Europe va pouvoir mobiliser à volonté des sommes aussi importantes pour un seul pays ?
Ce qui compte avant tout, et c'est absolument fondamental, c'est que la Grèce reprenne le contrôle de ses grands équilibres, qu'elle fasse un effort sur elle-même pour mettre en oeuvre, le plus rapidement et le plus rigoureusement possible, le programme de remise en ordre de son budget, de ses comptes publics, de sa compétitivité. Ce qui compte, c'est qu'elle poursuive rigoureusement ses réformes structurelles, et qu'elle s'engage résolument dans son programme de privatisation.
La France a mobilisé 4 milliards d'euros l'an dernier et, après le sommet de Bruxelles, devra emprunter 15 milliards supplémentaires d'ici à 2014 au profit de la Grèce. Êtes-vous sûr que les Français, qui ont leurs propres problèmes, suivront indéfiniment ?
La Grèce s'engage à tout faire, et doit tout faire, avec cette stricte surveillance de l'Europe que nous avons toujours appelée de nos voeux, pour rétablir la confiance, retrouver la stabilité et rembourser les prêts de l'Europe. Les Européens ne subventionnent pas la Grèce à fonds perdus. Ils investissent dans son redressement. Naturellement, ils doivent surveiller de près leur investissement.
Les dix-sept ont donné du temps à la Grèce. Ça ne garantit pas que le pays acceptera l'austérité qu'on lui inflige.
On n'inflige pas "l'austérité" à la Grèce. La Grèce corrige elle-même de monumentales erreurs de gestion passées. Elle avait constamment dépensé beaucoup plus qu'elle ne gagnait, au cours de toutes les années précédant la crise. Une sage gestion est le seul moyen d'avoir à nouveau croissance et création d'emplois qui reposent sur une compétitivité retrouvée.
Considérez-vous que l'appartenance de la Grèce à la zone euro explique une partie de ces dérives ? La Grèce, malgré son inflation, a pu emprunter à des taux très bas grâce à la BCE. Une bulle de crédit s'est formée.
Non, je ne le crois pas. J'en veux pour preuve le fait que la zone euro n'existe que depuis un peu moins de 13 ans, et qu'auparavant, d'autres pays, partout dans le monde, avaient connu les difficultés que traverse aujourd'hui la Grèce. On constate d'ailleurs aujourd'hui que, malheureusement, les problèmes de mauvaise gestion budgétaire se posent surtout dans des pays avancés, alors qu'auparavant, c'étaient les pays en développement, en Asie, en Amérique latine ou au Proche-Orient, qui étaient concernés. La Grèce est l'illustration emblématique de ce renversement.
À quoi cela est-il dû ?
Ce qui reste vrai, c'est que la surveillance des politiques économiques et budgétaires au sein de la zone euro n'a pas été à la hauteur de ce qui était nécessaire. Pour ce qui est de l'Europe, la Banque centrale européenne et la Banque de France, Christian Noyer et moi-même, avons toujours dit que le Pacte de stabilité et de croissance n'était pas une création artificielle traduisant une vision ultra orthodoxe de l'économie venant d'outre-Rhin. C'était un cadre budgétaire absolument indispensable dans une zone à monnaie unique qui n'a pas de gouvernement fédéral ni de budget fédéral. Au nom du Conseil des gouverneurs, j'ai dénoncé publiquement les libertés que l'Allemagne, la France et les autres grands pays, en 2004-2005, ont voulu prendre et ont prises avec un Pacte de stabilité et de croissance qui avait été affaibli dans sa lettre et dans son esprit. Nous avons constamment demandé un renforcement de la surveillance non seulement des politiques budgétaires, mais aussi des indicateurs de compétitivité et des déséquilibres internes.
Aujourd'hui, avec la crise, chacun voit que nous avions alors raison.
Et que vous avez plus de chances d'être écouté...
Je l'espère sincèrement.
Vous avez lutté au cours des dernières semaines contre l'idée de demander pour la Grèce des sacrifices à la finance privée (banques, assurances, fonds...). Il semble que vous n'ayez pas été entendu par les chefs d'État ?
J'insiste sur le fait que nous avons toujours dit publiquement que ce n'était pas la Banque qui prenait les décisions, mais les gouvernements. Et à propos de la finance privée et de la Grèce, nous avons passé trois messages très clairs. Premièrement, nous avons dit que cette participation devait être volontaire. Sur ce point, nous avons été suivis. Nous avions ensuite dit qu'il ne fallait pas que l'on débouche sur ce que l'on appelle un "événement de crédit". De tout ce que je sais aujourd'hui, il me paraît que nous éviterons cette issue. Enfin, le troisième message était d'éviter un "défaut sélectif". Mais, dans le cas où il se produirait, les États devraient alors recapitaliser les banques et conforter les garanties prises par la Banque centrale pour ses opérations de refinancement. Nous avons obtenu cette garantie indispensable pour protéger l'intégrité de la Banque centrale européenne en cas de "défaut sélectif". L'intégrité de la Banque centrale européenne et de toutes les banques centrales de l'Eurosystème est fondamentale pour la stabilité et la confiance en Europe. Elle n'est pas négociable.
Après le sommet de Bruxelles, le Fonds européen de solidarité financière (FESF) prêtera à meilleur marché aux États sous tutelle et pourra aussi acheter des obligations et recapitaliser des banques en difficulté. Ne met-on pas le doigt dans un engrenage infernal et coûteux ?
Nous avons nous-mêmes conseillé aux gouvernements de donner plus de latitude, plus de flexibilité au FESF. Du moins tant que nous serons placés dans les circonstances exceptionnelles que nous vivons depuis l'irruption de la crise la plus grave depuis la Deuxième Guerre mondiale. Un FESF plus souple et plus flexible sera un outil plus efficace pour contribuer à stabiliser les finances dans l'ensemble de la zone euro.
À propos des contributions de la finance privée, les chefs d'État ont affirmé que ces solutions ne vaudraient que pour la Grèce. Pourquoi ce traitement de faveur ?
La qualité de la signature d'un pays est absolument fondamentale. Que vous soyez un ménage, une entreprise ou un pays, vous obtenez des prêts dans de bonnes conditions si le prêteur a confiance, s'il pense qu'il sera remboursé. C'est pourquoi la confiance est si importante. Les chefs d'État et de gouvernement ont voulu lever toute ambiguïté. Je reprends leurs propres termes : "Tous les autres pays réaffirment solennellement leur détermination inflexible pour honorer complètement leur propre signature. Les chefs d'État et de gouvernement de la zone euro soutiennent totalement cette détermination parce que la crédibilité de toutes leurs signatures souveraines est décisive pour assurer la stabilité financière de la zone euro tout entière." On ne peut pas dire mieux.
A-t-on étudié la possibilité que la Grèce sorte de l'euro ?
C'est une hypothèse que personne n'a envisagée un instant.
Mais que répondez-vous à ceux, nombreux, qui considèrent que la Grèce ne se sortira pas d'affaire si on ne réduit pas drastiquement sa dette ?
Le problème pour la Grèce est de retrouver le chemin de la bonne gestion le plus rapidement possible. Cela veut dire un budget sain, un programme de privatisations rigoureusement appliqué, les réformes structurelles indispensables. Les propositions du secteur privé et les décisions des gouvernements européens vont considérablement alléger le service de la dette en abaissant les taux d'intérêt et en allongeant la durée des prêts. En outre, l'encours de la dette diminuera avec les échanges d'obligations et les rachats de dette. Mais ce qui compte, c'est l'ajustement de la Grèce elle-même.
Après Bruxelles, les pays comme l'Espagne ou l'Italie éviteront-ils la contagion grecque ?
Tous les pays, sans exception, ont conscience de vivre une crise exceptionnelle. À titre d'exemple, le gouvernement italien vient de faire voter un programme budgétaire qui le conduit à un déficit inférieur à 3 % dès 2012. Combien de grands pays avancés, en dehors d'Europe, peuvent dire cela ? L'Espagne s'est engagée dans des réformes ambitieuses, comme cela a été noté lors de la réunion du 21 juillet dernier. À tous, la Banque centrale demande d'appliquer sans restriction la lettre et l'esprit du Pacte de stabilité et de croissance, de renforcer la compétitivité, et notamment de veiller sur les coûts de production, et d'engager les réformes structurelles nécessaires. C'est la voie de la croissance durable et de la création d'emplois.
La crise est un révélateur. À l'intérieur de la zone euro, les pays qui ont été très attentifs à leur budget et à leur compétitivité, comme l'Allemagne ou l'Autriche, ont eu création d'emplois et diminution du chômage, même dans la crise. Même chose en dehors de la zone euro, où la Suède a des résultats bien meilleurs que beaucoup d'autres.
À chaque crise, les bons esprits réclament de plus en plus de fédéralisme, pour éviter la prochaine. Aujourd'hui, ils veulent des euro-obligations, une mutualisation plus forte des dettes. Est-ce responsable et utile ? Et peut-on avancer vers le fédéralisme sans demander leur avis aux peuples ?
Le sommet de Bruxelles n'était évidemment pas convié pour procéder à des bouleversements institutionnels. Ceci dit, une réflexion des Européens sur leur vision à long terme de l'évolution des institutions européennes est à mon avis légitime. La construction de l'Europe a commencé vraiment il y a soixante ans. Il est clair qu'elle n'est pas achevée historiquement, et il est tout aussi clair que ce sont nos démocraties qui prendront les décisions, donc, en dernière analyse, nos peuples nous diront ce qu'ils veulent. Comme citoyen, et non comme président de la BCE, je pense que les Européens progresseront jusqu'à créer une confédération d'États souverains d'un type entièrement nouveau, qui ne serait pas une imitation des États-Unis d'Amérique.
On nous a vendu la zone euro comme une zone de prospérité et de stabilité, et au lieu de ça, on a l'austérité. Cherchez l'erreur ?
La zone euro a connu, depuis l'introduction de la monnaie unique, une croissance par tête comparable à celle des États-Unis, autour de 1 % par an, et elle a créé plus d'emplois : 14 millions, contre huit millions en Amérique du Nord. Ceci n'est pas suffisamment connu et souligné. En outre, non seulement il n'a jamais été dit que l'euro dispenserait de bien gérer ses finances publiques, mais nous avons dit explicitement le contraire ! La zone euro redresse ses finances publiques, comme les États-Unis et le Japon doivent le faire, comme le Royaume-Uni a commencé à le faire. Deux choses sont sûres. Premièrement, partout dans le monde, les budgets gérés attentivement, les coûts de production maîtrisés, la sagesse des partenaires sociaux sont récompensés par la croissance et par la création d'emplois, même après la pire crise depuis 1945. Deuxièmement, la zone euro dans son ensemble a moins de problèmes que les États-Unis ou le Japon, mais elle doit formidablement renforcer sa gouvernance.
La spéculation est-elle le grand méchant loup qui veut manger l'euro ?
L'euro, lui-même, est totalement hors de question. C'est une monnaie très crédible, qui a remarquablement assuré la stabilité des prix, et qui est émise dans une zone économique dont les résultats d'ensemble sont très solides, relativement aux autres. S'agissant des obligations publiques ou privées, nous sommes en présence de marchés financiers complexes, très sophistiqués. Une partie des investisseurs ont confiance, ou pas, et font, ou pas, des placements, et une autre peut acheter ou vendre à terme, et spéculer à la hausse ou à la baisse. Les participants du marché sont ainsi mus par un mélange de confiance et de crainte, et de cupidité. Quand des crises graves arrivent, comme celle que nous connaissons depuis 2007-2008, elles révèlent les faiblesses profondes, comme les rayons X révèlent le squelette du corps. Un bon moyen de ne pas donner prise à la spéculation consiste à prévenir et à corriger ses propres faiblesses. Dans les années qui ont précédé la crise, les États en particulier ont baigné dans une fausse tranquillité. Sentiment partagé malheureusement par certains Européens, mais aussi par l'ensemble de la communauté internationale, et même par beaucoup d'économistes. Une nouvelle fois, la leçon pour nous, Européens, est de renforcer la gouvernance et la surveillance des politiques économiques et budgétaires. Cela ne veut pas dire que les marchés financiers ne doivent pas être améliorés profondément dans leur fonctionnement. Et le maître mot pour l'ensemble des pays avancés en ce moment est le mot confiance.
Oui, mais on peut spéculer sur un défaut de la Grèce...
Ce serait le plus sûr moyen de perdre de l'argent après les décisions de jeudi dernier. Mais encore une fois, l'euro, en tant que monnaie, est solide, crédible, et n'est pas affecté par les tensions sur les risques souverains.
Les agences de notation font-elles le jeu de la spéculation ?
Je crois que nous avons là une question importante de stabilité financière au niveau mondial. Nous sommes en présence d'un très petit nombre d'institutions qui ont une énorme influence internationale. Ce fonctionnement, visiblement oligopolistique, n'est certainement pas optimal du point de vue de l'organisation des marchés. Cette structure est structurellement "pro cyclique", c'est-à-dire qu'elle joue un rôle d'amplificateur de "bulles" en période conjoncturelle haute, et d'amplification de la chute en période basse. Il faut corriger ces défauts. C'est facile à dire, plus difficile à faire...
Vous abandonnez vos fonctions en novembre prochain. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
J'ai eu une vie professionnelle qui a été marquée à la fois par la poursuite de stratégies de long terme, ou de très long terme, comme la construction européenne, et aussi par une succession de crises. J'ai commencé ma carrière de fonctionnaire en ayant à faire face au premier choc pétrolier, en 1973-1974, lequel a été un traumatisme énorme pour l'ensemble du monde avancé. Malheureusement, parce qu'on s'y est mal pris, particulièrement en Europe, ce choc a marqué le début du chômage de masse. J'ai connu aussi la crise des dettes souveraines en Amérique latine, en Afrique, la crise de l'Union soviétique, les crises du Mécanisme de change du Système monétaire européen en 1992 et 1993. Bien entendu aussi, la crise asiatique, l'explosion des dot.com, et la crise présente qui a commencé en 2007-2008. La vérité, c'est que j'ai toujours vécu avec les crises. J'en ai conclu que, dans un monde qui se transforme extrêmement rapidement sous l'impact de la science et de la technologie, de l'universalisation de l'économie de marché, des progrès fabuleux de la Chine et de l'Inde, il faut en permanence être sur ses gardes, être en état d'alerte. J'avais formalisé cette attitude dans un discours en 2005 à Jackson Hole, dans le Wyoming, où se réunissent tous les ans, dans un cadre informel, les banquiers centraux du monde entier. J'expliquais alors que pour renforcer la confiance à long terme, l'une des conditions était de rester visiblement, et de manière permanente, en état d'alerte. La crise la plus grave que nous connaissons depuis la Deuxième Guerre mondiale ne fait que renforcer cette conviction. Plus que jamais le service que rend la Banque centrale européenne aux Européens est d'être une ancre de stabilité et de confiance dans une période agitée et difficile.

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