TOUT EST DIT

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lundi 18 juillet 2011

«Il faut plus de concurrence sur le marché de la notation»

Spécialiste des notations souveraines, Norbert Gaillard décrypte la politique des petites agences, dont la chinoise Dagong, qui a dégradé la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Il plaide pour une réforme de cette industrie.

A côté des mastodontes Fitch, Moody's et Standard & Poor's, les «petites» agences de notation se montrent un peu plus sévère dans leurs notations de la dette souveraine…
En fait, en début d'année, plus de la moitié des notations souveraines par la canadienne DBRS, et par les nippones JCR et Rating & Investment (les trois «petites» agences jouissant d'une certaine notoriété) sont assez corrélées entre elles, et apparaissent en moyenne équivalentes à celles de Fitch, Moody's et Standard & Poor's. La chinoise Dagong, en revanche, sort du lot, puisqu'au mieux, un tiers de ses notes sont les mêmes que celles de Moody's, Fitch et S&P. Ces notes présentent plusieurs spécificités. Tout d'abord, les «ratings» attribués par Dagong aux grands pays émergents [Brésil, Chine, Inde, Russie, Arabie saoudite, Afrique du sud, ndlr] sont nettement plus élevés que ceux des agences occidentales. Ensuite, ses notes aux grands pays industrialisés [Amérique du Nord, Europe et Japon] sont bien plus basses que celles des agences occidentales. Dans ces deux cas, les différentiels de notes peuvent atteindre quatre crans, ce qui est considérable.
Quel crédit peut-on accorder à ces agences?
Elles ont surtout une influence locale, au mieux régionale. Ainsi, même si DBRS bénéficie d'une bonne réputation, est surtout active au Canada et aux États-Unis. Elle est d'ailleurs accréditée par la SEC [Securities and Exchange Commission, le gendarme des marchés américains]. Mais elle souffre d'un déficit de notoriété hors d'Amérique du Nord. Quant à JCR et Rating & Investment, ces agences ont une influence sur le continent asiatique, mais ont tendance à «surnoter» les émetteurs de dette asiatiques. Toutes deux sont également accréditées par la SEC. En revanche, Dagong s'est vu refuser cette accréditation il y a deux ans. Les autorités américaines ont notamment estimé qu'elle était trop sous l'influence politique de Pékin. Depuis, Dagong n'a de cesse de publier des rapports critiquant aussi bien la politique monétaire et budgétaire américaine, que l'action des trois grandes. En résumé, Dagong tente d'incarner l'alternative dans l'industrie de la notation. Elle est consciente que les difficultés financières des États-Unis et de plusieurs États européens confortent son point de vue. Reste que les événements récents comme les doutes sur la pérennité de la zone euro ou les incertitudes sur la capacité des États-Unis à enrayer la spirale de l'endettement donnent raison à Dagong.
Certains économistes de renom, comme Patrick Artus (Natixis), estiment maintenant que Dagong, reflète mieux la réalité, s'offusquant notamment de voir les «trois grandes» conserver une notation très élevée concernant la dette américaine. Qu'en pensez-vous?
Je partage le point de vue de Patrick Artus sur le fait que les notations de plusieurs pays industrialisés sont excessivement élevées. Fitch, Moody's et S&P ont «surnoté» la Grèce et plusieurs pays européens car elles ont considéré, à tort, que l'appartenance à la zone euro réduisait le risque d'insolvabilité… Ce fut une erreur. Les États dont la dette publique a fortement augmenté depuis une décennie, qui n'ont pas encore réorganisé leur État-providence et qui ont insuffisamment réformé leur système de retraite, devraient être dégradés. Cependant, je pense également que Dagong «surnote» certains émergents, tels que la Chine, la Russie et l'Afrique du sud. Dans le détail, elle «surpondère» des critères comme la croissance économique et les réserves de change, mais néglige les indicateurs de stabilité politique et institutionnelle, sans penser suffisamment en termes de soutenabilité de la dette. Car les pays industrialisés notés d'un triple ou double «A» par Fitch, Moody's et S&P peuvent se permettre des niveaux d'endettement supérieurs à ceux des pays émergents, compte tenu de l'importance de la classe moyenne, d'une meilleure cohésion sociale, et d'une plus grande facilité à accéder aux marchés de capitaux.
Dans un contexte de crise de la dette, et après les déboires des «trois grandes» pendant la crise (très critiquées, notamment pour avoir estampillé de notes élevées des produits financiers toxiques), ces agences, pour l'heure peu écoutées par les marchés, peuvent-elle gagner en influence?
Depuis quatre ans, c'est vrai que les petites agences, peu impliquées dans ces scandales, ont l'opportunité de tirer leur épingle du jeu. Mais percer dans l'industrie de la notation reste très difficile car les trois grandes agences détiennent la quasi-totalité (95%) des parts de marché. D'après moi, les petites agences n'ont que deux stratégies possibles: soit elles se spécialisent dans des niches sectorielles ou géographiques, soit elles se différencient par leurs diagnostics et leurs notations, à l'instar de Dagong.
Faut-il plus de concurrence dans l'industrie de la notation?
Oui, et encore une fois, l'arrivée de nouveaux entrants sera d'autant plus positive que leurs notations divergeront par rapport à celles des « trois grandes ». Cela peut notamment contribuer à réduire les effets de mimétisme sur les marchés. Mais les régulateurs devront cependant veiller à ce qu'une concurrence accrue ne débouche pas sur une inflation des notations qui pourrait s'avérer déroutante. En plus de la concurrence, il faut que les agences révisent leurs méthodologies. A l'avenir, les agences devraient abaisser les notes de pays qui, même en période de croissance, sont incapables de réduire leur déficit, car ces États seront vulnérables au premier retournement conjoncturel. Ce type de vigilance permettrait notamment aux agences de mieux anticiper les crises de la dette.

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