TOUT EST DIT

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lundi 4 octobre 2010

L'Allemagne réunifiée, trop forte pour les Européens ?


Dans cette crise, les cartes de la compétition mondiale sont redistribuées », a déclaré à maintes reprises la chancelière Merkel, au coeur de la tourmente. Maintenant que se confirme l'embellie, elle semble avoir amassé un certain nombre d'atouts maîtres dans sa manche. Le modèle exportateur allemand a instantanément répondu à la reprise du commerce mondial. La croissance du PIB devrait dépasser cette année 3 %. Le nombre des chômeurs pourrait tomber sous la barre des 3 millions d'ici à janvier. Plus de recettes fiscales, moins de dépenses sociales : le déficit public devrait se limiter à 4,5 % du PIB en 2010 et pourrait revenir dans les clous du pacte de stabilité (moins de 3 %) dès 2011. Rassérénés par l'amélioration de l'emploi et la maîtrise des finances publiques, les consommateurs affichent un moral qu'on ne leur avait plus vu depuis trois ans.

Alors qu'ils viennent de célébrer, hier, les vingt ans de la réunification, les Allemands se voient confortés dans les choix collectifs faits ces dix dernières années, en réaction à la stagnation qui avait suivi le « boom » du début des années 1990. A savoir : l'industrie contre la finance, la cogestion contre les excès du turbocapitalisme, la réforme de l'Etat providence contre les déficits, l'épargne contre le crédit à la consommation. La « Cool Britannia » flambeuse du New Labour a la gueule de bois ; la « ménagère souabe », économe et les pieds sur terre, triomphe.

Cette nouvelle donne pose, sinon un problème, du moins une question, aux Européens. Ils se sont amèrement plaints, pendant la crise grecque, que Berlin n'assume pas le leadership politique que son poids démographique et économique lui assignait. Mais, à l'avenir, sont-ils prêts à accepter une Allemagne plus directive, peut-être dominatrice ? « On peut aisément imaginer que la validation de leur modèle économique renforce une tendance récurrente en Allemagne, dans le passé, à vouloir donner des leçons, à se comporter en premier de la classe quelque peu suffisant », estime Thomas Klau, de l'ECFR (European Council on Foreign Relations). Attaquée sur un supposé égoïsme de la machine à exporter, la chancelière Merkel ne répond-elle pas : « C'est à nos partenaires de se hisser à notre niveau de compétitivité » ? Jean Pisany-Ferry, directeur de l'Institut Bruegel, note pour sa part que « déjà, pour les marchés, l'Allemagne est devenue le pays de référence, à l'aune duquel sont mesurées les finances et les stratégies des autres ». Gare à celui qui s'éloignerait trop de la ligne allemande. Alors que l'UE doit négocier dans les mois qui viennent le budget 2014-2020 et réformer la gouvernance de la zone euro, les Allemands vont-ils se révéler des négociateurs intraitables ? Angela Merkel a déjà fait savoir qu'il était hors de question de pérenniser le Fonds européen de stabilité financière, créé cette année pour une durée limitée à trois ans. Position de départ radicale pour arracher plus tard des contreparties importantes ? Rien n'est moins sûr. Comme l'explique Ulrike Guérot, de l'ECFR également, « de l'extérieur, les indicateurs macroéconomiques de l'Allemagne impressionnent, mais le ressenti de la population n'est pas du tout le même. Toutes les études concluent que les réformes sociales des dernières années ont laminé les classes moyennes. Les Allemands n'ont pas du tout l'impression d'avoir profité de l'euro et ne voient pas pourquoi ils paieraient pour des pays qui, eux, n'ont pas fait de réformes structurelles douloureuses ». Or le Fonds de stabilité européen expirera juste avant la campagne des législatives allemandes de 2013. D'ici là, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui a rendu en 2009 un arrêt très eurosceptique sur le traité de Lisbonne, se sera prononcée sur le plan de stabilisation de la zone euro. Elle semble s'être assagie depuis l'an dernier, mais réserve peut-être des surprises à Berlin. « La question des années qui viennent, c'est ce que ce Goliath va faire avec l'UE, résume Ulrike Guérot. S'en détourner et orienter sa diplomatie vers les pays qui feront son commerce de demain, la Chine, l'Asie, la Russie ? Ou rester dans le jeu et définir l'équation post-maastrichienne de la solidarité européenne ? »
Certains économistes ont bien réfléchi, ces derniers mois, à un possible éclatement de la zone euro, avec une nouvelle zone monétaire « vertueuse » au nord du continent. A la vérité, même si les Allemands sont certainement las de la tendance à la procrastination de certains de leurs partenaires, ils n'en sont pas là. Claire Demesmay, de l'Institut allemand de politique étrangère, souligne, « malgré une normalisation manifeste, la persistance d'un traumatisme allemand lié à la Seconde Guerre mondiale, la volonté de ne pas être isolé sur la scène européenne, qui conduira Berlin à continuer de donner des gages d'européisme ». Thomas Klau pense que, à la chancellerie, « on est conscient que la zone euro doit rester suffisamment solidaire pour ne pas rester sans défenses contre la dynamique incontrôlable de la spéculation des marchés ».

Enfin, le modèle allemand n'est pas sans faille. Il est très dépendant du commerce mondial, comme on l'a vu en 2009. L'OCDE critique chaque année la faible proportion des jeunes Allemands qui entreprennent des études supérieures (34 % d'une classe d'âge). Compte tenu de la fécondité vacillante, la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée va s'aggraver. « Alors qu'une naissance sur trois se fait aujourd'hui dans une famille issue de l'immigration, on sait que ces jeunes connaissent de très forts taux d'échec scolaire », déplore Hans Stark, directeur du Cerfa (Comité d'études sur les relations franco-allemandes). Or, la société allemande souffre de réelles pesanteurs dans les débats sur la famille, le travail des mères, et l'immigration. Les violentes polémiques provoquées récemment par l'allongement de la durée de vie des centrales nucléaires, la réforme de l'assurance-maladie, la revalorisation marginale des minima sociaux, révèlent une société moins sûre d'elle qu'il n'y paraît.

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