TOUT EST DIT

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lundi 6 septembre 2010

Les sables mouvants japonais

L'électrochoc n'a pas eu lieu. Lorsque les économistes ont annoncé, à la mi-août, que le PIB japonais avait été inférieur au deuxième trimestre à celui généré, sur la même période, par la Chine, Tokyo est resté de marbre. Quelques experts et officiels japonais ont bien reconnu à mi-voix que leur pays allait abandonner à la Chine, en 2010, le titre de deuxième puissance économique mondiale qu'il détenait depuis plus de trente ans, mais ils ont immédiatement pointé l'évolution mécanique des courbes statistiques et rappelé avec insistance que leur PIB par habitant, mesuré à 39.731 dollars, restait dix foix supérieur à celui de leur voisin communiste. Même dans les médias nippons les plus critiques, la symbolique de ce bouleversement du classement économique mondial n'a pas généré de réel débat. L'arrivée quotidienne en convois de bus de fortunés touristes chinois dans les boutiques de luxe du quartier Ginza de Tokyo n'interpelle personne.

Il y a encore dix ans, la puissance économique japonaise, tant redoutée en Occident dans les années 1980, était pourtant encore plus de deux fois supérieure à celle de la Chine. Les experts pariaient alors sur un « rattrapage chinois » dans les années 2015 ou 2020. La crise financière de 2008, qui a plongé le Japon dans la récession, et l'insolence d'une croissance chinoise, dopée à coups de crédits bancaires par le Parti, auront accéléré leurs scénarios sans véritablement émouvoir les élites japonaises, qui semblent de plus en plus tournées sur elles-mêmes et n'ont enclenché, ces dernières années, ni les réflexions ni les chantiers qui auraient permis à leur pays de défendre, au moins un temps, sa deuxième place sur le podium. Comme l'avaient fait ses nombreux prédecesseurs avant lui, Naoto Kan, l'actuel Premier ministre, vient de proposer, pour sortir le pays de son marasme, un énième plan de relance mêlant une timide politique d'assouplissement monétaire et quelques vagues dépenses publiques limitées par l'énorme dette du pays -évaluée à 10.000 milliards de dollars, elle équivaut à 200 % du PIB -sans oser amorcer de véritable réflexion sur l'identité économique du pays. Confronté au vieillissement accéléré de sa population, le pays n'a toujours pas décidé s'il souhaitait développer, à moyen terme, une société à l'européenne où un complet système de protection sociale serait géré par de lourdes et coûteuses structures gouvernementales ou opter pour un modèle américain plus minimaliste et économe.

L'organisation le 14 septembre prochain de cruciales élections internes au sein du Parti démocrate du Japon (DPJ), qui dirige le pays depuis seulement un an après plusieurs décennies de domination conservatrice, pourrait être l'occasion de raviver ces questionnements. Le chef du gouvernement va affronter pour la présidence de cette formation Ichiro Ozawa, l'un des politiciens les plus machiavéliques du pays. Le vainqueur de ce duel au sein de la formation majoritaire prendra naturellement la direction du prochain gouvernement et pourrait théoriquement réinventer la stratégie de réforme de la nation.

Mais, depuis qu'ils sont entrés en campagne, en début de semaine, auprès des parlementaires de leur groupe et des petits cadres locaux du parti, qui voteront le 14 septembre, les deux hommes ont apparemment opté pour un affrontement plus classique concentré sur les maux traditionnels du pays. Ils ont ainsi consciencieusement promis de lutter contre le vieillissement de la population et le drame de la déflation. Pariant sur une baisse continue des prix, les ménages japonais ne cessent de retarder leurs achats et contraignent les entreprises à enclencher d'interminables campagnes de promotion qui pèsent sur leurs profits. Les deux hommes ont aussi assuré qu'ils allaient lutter contre l'envolée du yen, qui apparaît comme le plus pressant des défis de l'Archipel.

Malgré une croissance en berne, des taux d'intérêt proches de zéro et une Bourse déprimée, le yen continue en effet de s'apprécier et de peser sur les performances du secteur exportateur, qui reste, avec la consommation, l'un des principaux moteurs de la croissance japonaise. La semaine dernière, la devise japonaise a atteint son plus haut niveau des quinze dernières années face au dollar et battu de nouveaux records contre l'euro. Les investisseurs, qui redoutent une détérioration de la conjoncture aux Etats-Unis et en Europe, continuent d'investir dans le yen, qui apparaît, en partie grâce aux surplus de la balance japonaise des paiements, comme une valeur refuge. Cette escalade affole les industriels locaux. Toyota estime qu'il perd 30 milliards de yens (350 millions de dollars) chaque fois que la monnaie nationale gagne un yen contre le billet vert -hier 1 dollar ne valait plus que 85 yens.

Concentrant une partie de leur campagne sur ce malaise, Naoto Kan et Ichiro Ozawa ont annoncé qu'ils emploieraient « tous les moyens possibles » pour faire baisser la valeur du yen. Mais ces déclarations chocs n'ont pas ému les marchés, conscients que l'exécutif japonais n'a presque plus prise sur le cours de sa monnaie. Pour enclencher une baisse significative de sa devise, la banque centrale devrait non seulement vendre massivement du yen sur les marchés, mais également convaincre d'autres investisseurs internationaux de suivre sa stratégie. Le scénario paraît peu probable tant les Etats-Unis et l'Union européenne semblent peu enclins à tolérer un renchérissement de leurs propres devises en cette période de doute.

Face aux combats stériles de ses dirigeants qui feignent toujours d'ignorer ces contraintes internationales et se concentrent sur l'accumulation de postes, l'opinion publique, qui avait espéré un renouveau de la politique en votant l'an dernier pour le Parti démocrate du Japon, semble résignée et en est désormais réduite à parier sur le temps de survie de ses Premiers ministres. Si Ichiro Ozawa emportait la présidence du DPJ le 14 septembre prochain -il est très impopulaire dans la population, mais bénéficie d'un fort réseau de soutien au sein de la formation politique -il deviendrait le sixième Premier ministre du pays depuis le départ de Junichiro Koizumi en septembre 2006.



Yann Rousseau

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