TOUT EST DIT

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jeudi 22 avril 2010

SNCF : le dernier combat de Didier Le Reste

Après quinze jours de conflit, la CGT apparaît paradoxalement comme la grande perdante de la grève à la SNCF. Aveuglé par son antagonisme avec SUD et par son contentieux personnel avec Guillaume Pepy, Didier Le Reste s'est lancé dans une bataille quasi perdue d'avance. Récit de ce mouvement qui pourrait changer les relations sociales à la SNCF.
Il voulait un dernier grand mouvement. Une grève d'envergure, son « décembre 1995 » à lui, à quelques mois de son départ programmé du poste de secrétaire général de la CGT-cheminots fin 2010. Cela se murmurait depuis des mois. D'une certaine manière, Didier Le Reste est parvenu à remplir son objectif. Voilà deux semaines que les cheminots mènent la lutte, mettant la pagaille sur le réseau ferré. En termes de durée, c'est un record pour la dernière décennie ! Certes, la grève de l'hiver 1995, menée par son grand rival Bernard Thibault - « il le jalouse depuis longtemps », persifle un opposant -, avait duré, elle, trois semaines. Mais ça reste bien suffisant pour asseoir une réputation d'opposant inflexible, alors que le dirigeant de la CGT-cheminots compte se lancer en politique une fois retiré du syndicalisme.

Las ! A l'heure du bilan et alors que direction et syndicats se sont enfin retrouvés hier, c'est un Didier Le Reste affaibli qui émerge. « Cette grève a échoué, elle a été droit dans le mur comme c'était prévisible », juge Jean-Daniel Bigarne, le secrétaire général de l'Unsa, qui n'a pas pris part au conflit. « Guillaume Pepy en ressort considérablement renforcé, cela a donné de la force à une direction qui n'en avait pas », renchérit un autre syndicaliste, peu suspect de faire partie du fan club du président de la SNCF. N'en jetez plus ! Si la grève a duré longtemps, elle a peu mobilisé. Guère plus de 5.000 cheminots en moyenne chaque jour, sur les quelque 155.000 que compte l'entreprise. D'habitude premiers à débrayer, les conducteurs et contrôleurs de trains ont fait profil bas, avec un taux de participation qui a tourné autour de 30 %. Une misère.
Montrer les muscles

On est loin des ambitions initiales. Loin du rêve d'un grand mouvement réunissant trois syndicats (CGT, Unsa, et CFDT-FGAAC) pour faire plier la direction. C'est ce qu'avait imaginé Didier Le Reste il y a maintenant un mois. Quelques jours après la grève interprofessionnelle du 23 mars, une invitation est lancée aux représentants des deux autres organisations pour des réunions interfédérales. Des séances auxquelles n'est pas convié SUD-rail. Ces dernières années, celui-ci est devenu la bête noire du premier syndicat de la SNCF. « A la CGT, ils ont peur de se faire doubler sur leur gauche », résume Jean-Daniel Bigarne à l'Unsa.

Depuis quelques semaines, les signaux d'alerte se sont multipliés. On dit que de nombreux militants ont rendu leurs cartes pour aller chez SUD. « Certains bastions (à Toulouse, Marseille, Montpellier ou Clermont-Ferrand) ont aussi fait part de leur mécontentement devant la répétition de grèves de 24 heures lancées par la CGT ces derniers mois, et ce sans résultat. Ces militants voulaient un grand conflit reconductible, quitte à suivre le prochain lancé par SUD », explique un bon connaisseur du monde cégétiste. La menace est prise au sérieux. Dès lors germe l'idée à la CGT d'un mouvement au long cours pour montrer ses muscles à sa population la plus radicale.

Mais il ne faut surtout pas que SUD se greffe dessus et en profite ! En cette fin mars, on décide de tout faire pour isoler l'importun. D'ordinaire, les réunions interfédérales se font au CCE de la SNCF, près de la Gare de l'Est à Paris. Trop risqué : le syndicat trublion pourrait s'inviter à l'improviste. Pour éviter ce piège, la CGT décide de faire la première réunion à son siège, à Montreuil. « Quasiment une première », raconte un participant. Pour la seconde séance, quatre jours plus tard, retour au siège du CCE. Mais les membres de l'Unsa et de la CFDT-FGAAC ne reçoivent le numéro exact de la salle que quelques minutes avant le début de la réunion. Façon d'éviter les fuites. « C'était une atmosphère de conspiration anti-SUD », poursuit le même syndicaliste.

Le plan élaboré par Didier Le Reste est assez simple. Sept préavis de grèves catégorielles - et reconductibles -seront déposés à partir du mercredi 7 avril. Le jeudi 8, un autre préavis concernera tous les cheminots, mais pour une grève « carrée » de 24 heures. « Ce qu'imaginait la CGT, c'est que le vendredi 9 au matin, après le point d'orgue de la veille, la direction allait être obligée de céder pour un retour à la normale avant le week-end des vacanciers », décrypte un syndicaliste.
Revendications floues

Les autres fédérations sont loin d'être convaincues. D'emblée, l'Unsa prévient qu'elle ne se joindra pas au mouvement. « Il fallait garder nos forces en vue de la réforme des retraites », souligne Jean-Daniel Bigarne. A la CFDT-FGAAC, on hésite. Certes, il existe un réel mécontentement au sein de la population cheminote, tourneboulée par la réorganisation managériale voulue par Guillaume Pepy. Pour autant, les premiers retours de la base indiquent que l'enthousiasme pour un tel mouvement est bien faible.

D'autant qu'il apparaît rapidement que la CGT ne sait pas vraiment où elle va. « Quand on commence une grève, on sait comment on veut la finir », décrypte un syndicaliste. Rien de tel ici. Les mots d'ordre - de la politique de l'emploi à la question des salaires en passant par la réorganisation du fret -sont tellement larges que personne ne voit trop quelles mesures concrètes pourraient être obtenues. Contactée par certains syndicalistes, la direction de la SNCF fait en plus passer un message clair : il n'y aura rien d'accordé pendant la grève, c'est une question de principe. « Il nous est rapidement apparu que la CGT avait très mal pensé et organisé ce mouvement », résume Bruno Duchemin à la CFDT-FGAAC.

Revendications floues, perspectives de victoire faibles : la CFDT-FGAAC comprend qu'il ne faut pas s'embarquer dans cette galère. Début avril, elle décide de s'asseoir à la table des négociations et obtient satisfaction (avec l'Unsa) sur plusieurs points, notamment salariaux. Son appel à la grève n'a plus lieu d'être. Le piège peut alors se refermer sur la CGT. Abandonnée par ses deux comparses, elle voit débouler le banni du début : SUD dépose de son côté son propre préavis, pour la même date. En football, on appelle cela du marquage à la culotte. Voilà la CGT embarquée dans une grève incertaine avec son pire ennemi…

Cela ne va pas faire reculer Didier Le Reste, décidé à continuer. « Son contentieux personnel avec Guillaume Pepy l'a aveuglé », jugent plusieurs connaisseurs du microcosme ferroviaire. Les deux hommes - « deux caractériels soupe au lait », selon quelqu'un qui les connaît bien -ne s'apprécient guère. Un « intrigant », « pas fiable », avec une stratégie « qui change tous les jours » : en privé, Didier Le Reste n'est pas tendre avec le président de la SNCF. Juste retour des choses. Depuis le début de son mandat, Guillaume Pepy tente de faire émerger un pôle syndical réformiste, pour diminuer le poids de la CGT. Sans succès pour le moment. Mais cette volonté agace Didier Le Reste, qui entend peser sur la stratégie de l'entreprise.

La grève - qui débute finalement le 7 avril -ne va faire qu'attiser le conflit entre les deux hommes. « Je l'ai appelé plusieurs fois depuis le lancement du mouvement, mais il ne m'a jamais pris en ligne », s'étonne Didier Le Reste. Au deuxième jour de grève, celui-ci s'invite avec une cinquantaine de grévistes au siège de la compagnie ferroviaire, pour forcer la direction à le recevoir. Guillaume Pepy ne se donne pas la peine de le faire, et c'est le DRH, François Nogué, qui s'en charge. « En 1995, Bernard Thibault était reçu par les ministres. C'est forcément perçu comme une humiliation », relève un bon connaisseur du monde ferroviaire.

Les premiers jours du conflit ne sont pas de nature à rasséréner le leader cégétiste. Les chiffres de mobilisation sont mauvais. Seuls les bastions traditionnels (Rouen, Marseille, Montpellier, Clermont-Ferrand…) ont répondu présent. On a bien recours à quelques ficelles comme les grèves de 59 minutes - dont seul SUD use d'habitude -, mais la dynamique ne prend pas. La grande grève nationale s'est transformée en de multiples conflits locaux, certes très virulents, mais circonscrits.

Comment sortir de ce bourbier ? Après quelques jours, tout le monde a compris que la CGT attend un geste de la direction. Un soupirail pour lui permettre de sortir un tant soit peu honorablement de cette grève. Elle attendra longtemps. Guillaume Pepy fait passer un message : « Pas question de se retrouver avec Didier Le Reste dans le salon feutré d'un hôtel Mercure parisien. » Le patron sait qu'il joue son mandat. La crise a précipité un peu plus le fret ferroviaire dans le gouffre, et a contrarié fortement ses objectifs de développement. Il lui faut ce succès symbolique, pour crédibiliser sa stratégie : en finir avec la « gréviculture », un terme inventé par son mentor Louis Gallois. Raison pour laquelle il ne peut y avoir de négociations pendant la grève.

Pendant une semaine, ce discours va être répété. Il recevra même le soutien de Dominique Bussereau au gouvernement, pourtant jamais avare d'une pique pour Guillaume Pepy. Puis, parce qu'il faut bien trouver une solution à ce conflit inextricable, ce dernier consent mercredi dernier une ouverture : d'accord à des « discussions » - et sûrement pas des négociations ! -mais pour s'entendre sur un calendrier de rencontres, et uniquement au niveau local. Ordre est donné aux directeurs régionaux.
Un tournant

Dans la soirée, une dépêche AFP venue de Marseille relaie un communiqué de la CGT claironnant que « la mobilisation contraint la direction régionale à faire des propositions ». Didier Le Reste reçoit aussitôt un coup de fil courroucé de François Nogué : « Vous arrêtez ça tout de suite ! » Pour le leader cégétiste, c'est « incompréhensible ». C'est pourtant très clair : la direction veut une victoire complète, et ne laissera pas la centrale s'en sortir « avec les faux-semblants habituels », selon l'expression d'un syndicaliste.

Dès lors, la CGT s'en remet aux votes des assemblées générales locales. Jeudi dernier, certains de ses responsables imaginent que la sortie de crise sera rapide. Raté. Dans les bastions de la grève - où émergent de réelles revendications locales -, les esprits sont chauffés à blanc par SUD, qui cherche à savonner la planche de la CGT. Didier Le Reste a perdu la main sur ce mouvement, qui s'éteint à petit feu. « Cela peut devenir un tournant dans les relations sociales de l'entreprise. Pour la première fois depuis longtemps, le rapport de forces a tourné en faveur de la direction. L'idée que la négociation paye plus que la grève acquiert enfin de la crédibilité », analyse un bon connaisseur de la SNCF. L'hypothèse est toutefois encore fragile. La réforme des retraites sera à cet égard un bon révélateur.
RENAUD HONORE,

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