Patrick Artus est directeur des études économiques de Natixis, membre du Cercle des économistes et professeur à l'Ecole polytechnique.
L'Insee annonce une accélération de la croissance à +0, 6% au quatrième trimestre 2009 en France. La crise est-elle finie ?
Je ne le crois pas. Les entreprises continuent de désinvestir, la consommation des ménages profite aux importations et la croissance du dernier trimestre 2009 n'est due qu'à un facteur technique transitoire, le moindre déstockage. La reprise spontanée de l'économie sera beaucoup plus tardive que d'habitude, car nous ne sommes pas dans un enchaînement cyclique normal.
Dans les années 1970 et 1980, les crises étaient liées à l'inflation, qui conduisait les banques centrales à monter les taux d'intérêt. Cela déclenchait une contraction de l'activité, l'inflation diminuait, les taux d'intérêt aussi et l'économie repartait.
Depuis la fin des années 1980 et la quasi-disparition de l'inflation, les cycles sont liés à l'excès d'endettement et à l'explosion de bulles sur les prix des actifs. Quand ceux-ci baissent, les agents économiques, trop endettés, arrêtent de dépenser. C'est ce que les entreprises ont fait en 2000 en cessant d'investir et les ménages en 2007-2008 en épargnant davantage.
Soutenue un temps par une politique économique expansionniste, l'économie repart ensuite toute seule sous l'effet de trois mécanismes décalés dans le temps : le redémarrage du crédit, de l'investissement des entreprises, puis des ménages. Plus tard encore, les revenus salariaux se remettent à augmenter. On n'en est pas là. Les conditions d'une vraie reprise ne sont pas réunies.
Le crédit peut-il repartir ?
La demande de crédit, qui plonge en ce moment, a peu de chances de redémarrer vite. Tout le monde est très endetté et la récession a fait fondre en même temps et le patrimoine immobilier et la richesse financière. Les Etats-Unis ont perdu 35 % de leur richesse et la zone euro, 25%.
Dans une situation où l'on est beaucoup plus pauvre, la tendance naturelle est d'épargner davantage. Je ne crois donc pas à la reprise du crédit avant 2012 au minimum, et pas davantage au redémarrage de l'investissement. Pour que les entreprises aient besoin de réinvestir, leurs capacités d'utilisation doivent renouer avec leur niveau normal, autour de 85%. Or du fait de la récession, elles sont 10 ou 12 points en dessous.
Le seul petit espoir réside dans le fait que l'on ne construit pas assez en France et que les mises en chantier devraient y redémarrer un peu. Mais à l'horizon de deux ans, il manque en France les mécanismes qui, d'ordinaire, fabriquent une reprise.
Qu'en est-il des revenus?
On assiste partout à un très violent freinage des salaires. Avec la remontée des prix de l'énergie, ils reculent en termes réels du fait de politiques salariales très restrictives, les entreprises voulant assurer une remontée rapide de leurs profits. C'est contre-productif.
Peut-on maintenir sans risque des politiques expansionnistes ?
Mettre fin trop tôt aux politiques expansionnistes provoquerait une rechute. En attendant la véritable reprise qui devrait intervenir en 2012, la question qui nous est posée est la suivante: peut-on continuer de creuser les déficits pour soutenir la croissance ?
Politiquement, c'est compliqué en raison du conservatisme des gouvernements et des banques centrales. Techniquement, rien ne s'y oppose. Dans un environnement où l'épargne monte, où le crédit ne repart pas et où les taux d'intérêt sont bas, les intermédiaires financiers n'ont qu'une solution: financer les Etats.
Dans une situation mondiale globale d'excès d'épargne, quand le secteur privé ne s'endette plus, le secteur public peut s'endetter davantage. Les mouvements sur la Grèce, dont les finances publiques sont en moins mauvais état que celles du Royaume-Uni, sont uniquement spéculatifs. Le vrai problème économique de la zone euro, c'est l'Espagne, condamnée, si on ne l'aide pas, à cinq années de croissance zéro et à un chômage de plus de 20%.
Ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013 est-ce possible ?
C'est un objectif totalement déraisonnable. Dans un contexte de chômage massif – autour de 11% en France selon nos prévisions –, on aurait intérêt à afficher une politique budgétaire crédible avec un horizon temporel raisonnable, donc ni 2012 ni 2013. Les Européens viennent de déchirer le traité de Maastricht. Ils seraient bien avisés de se doter d'une discipline et de règles intelligentes du type de celles que le FMI met en œuvre.
Propos recueillis par Claire Guélaud
vendredi 12 février 2010
"Les conditions d’une vraie reprise ne sont pas réunies"
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