Quelle place occupe Jacques Dutronc dans l'histoire de la chanson française ? Elle est floue, et se lit en pointillés, l'énergumène ayant opté pour l'intermittence. Sa précédente apparition scénique remontait à novembre 1992, avec prolongations en 1993. Le récital se nourrissait alors de chansons écrites dans les années 1960, ou au mieux tirées de l'album CQFD, paru en 1985. Et si dix-sept ans plus tard Dutronc remet le couvert en débutant une tournée des Zénith par celui de Paris le 12 janvier, ce n'est pas forcément par attachement à la scène, un lieu devant lequel le "gai luron" s'est souvent montré aussi frileux que sa compagne Françoise Hardy.
Spécialiste des aphorismes et des réponses à côté, Dutronc affiche d'ailleurs du laisser-aller dans la construction de son récital, sa fainéantise naturelle lui suggérant d'employer des recettes de baratineur, certes personnelles, mais déjà utilisées, comme la reprise par deux fois, en entrée et en sortie, de Et moi et moi et moi. Il n'y corrige jamais les statistiques ("sept cents millions de Chinois, et moi et moi et moi"), mais fait évoluer le nom du présentateur de télévision, de Catherine Langeais (1966) à Guillaume Durand (1992) et William Leymergie (2010) ; cependant, le son est si fort que c'est à peine audible.
Il est en forme pourtant, Jacques Dutronc, 66 ans, il a toute sa voix, et le vibrato. Il a gardé son look de cuir noir et ses Ray-Ban, une dégaine à la Ray Davis, le leader des Kinks. Il a des musiciens requins doués (Jannick Top bluffant à la basse, Fred Chapellier à la guitare électrique, bavarde) et des chansons qui ressemblent à des madeleines de Proust en plus balancées.
Au catalogue, une heure trente de joyeusetés dont on ne saurait se lasser : Les Play Boys, Fais pas ci, fais pas ça, Les Cactus, La Fille du Père Noël, J'aime les filles, L'Opportuniste, Gentleman cambrioleur, etc., jusqu'à Merde in France (Cacapoum), chanson qui marque, dit le fumiste en rigolant "la fin de la répétition, et le début du concert". La pirouette est digne d'un débutant en manque de répertoire, et permet de chanter une seconde fois Et moi, et moi, La Fille du père Noël, et ainsi de suite, jusqu'à l'extinction des feux.
Les lumières (Jacques Rouveyrollis) et le décor sont en noir et blanc, les costumes aussi, sauf le déshabillé rouge cinglant d'une femme naine, charmant petit pois dansant.
Le précédent retour de Dutronc en scène intervenait après la mort de Serge Gainsbourg, en mars 1991, une disparition qui avait laissé une partie de la France orpheline de son provocateur en chef. Il y avait alors dans le public un appétit évident pour le dézingage et le grinçant.
Il en profitait pour se faire interviewer en scène par des journalistes assez naïfs pour se laisser huer par des spectateurs préférant la musique aux questions.
Son boucher corse balayait les planches, et puis un nain malin servait d'esclave ; en bref tout un montage confirmant la réputation d'anar de droite de Jacques Dutronc, une posture partagée par le Gainsbourg tardif, celui qui, en 1984, avait traité à la télévision Catherine Ringer de salope (pour avoir été actrice porno) ou avait brûlé "75 %" d'un billet de 500 francs sur TF1, protestant ainsi non pas contre la société marchande, mais contre le pourcentage de ses revenus prélevés par le fisc.
Dix-sept ans plus tard, Dutronc sort de sa tanière (le cinéma, Françoise Hardy, leur fils Thomas ont fait qu'il ne soit pas occulté). Le sujet Gainsbourg revient en première ligne – montage par le chorégraphe Claude Gallota de L'Homme à tête de chou avec la voix d'Alain Bashung, autre chanteur des marges et de l'anticonformisme, disparu en mars 2009, sortie du film du dessinateur Joann Sfar, Gainsbourg (vie héroïque). Le fumeur de Gitanes fabriqua d'ailleurs en 1980 avec le fumeur de havanes l'un des albums les plus crétins de leur carrière, Guerre et pets, dont Dutronc extirpe aujourd'hui L'Hymne à l'amour (moi le nœud).
Gainsbourg avait vécu la guerre. Dutronc et Hallyday, des rejetons du 9e arrondissement de Paris, sont nés pendant l'Occupation, en 1943 et ont grandi en "teenagers". Ces deux-là sont des enfants de l'aisance, quand Lucien Guinzburg fut celui de la persécution. Ils possèdent en conséquence, et même à 66 ans, le détachement et la désinvolture des "décagénaires" des années 1960, selon la formulation d'Edgar Morin.
Avec Etienne Daho, dandy pop, 54 ans à peine, Dutronc l'ancien chante au Zénith Tous les goûts sont dans ma nature, et c'est chic, léger, nouveau. Puis, se foulant, il donne une stimulante version de Il est cinq heures, Paris s'éveille, avec guitare manouche et acoustique en soutien rythmique.
En creux, on imagine ce que le roi Dutronc aurait pu produire pour nous épater et tenir le rang que sa nature, son style et le parolier Jacques Lanzmann lui avaient offert il y a trente-cinq ans.
Jacques Dutronc en tournée jusqu'au 24 avril. Au Zénith de Paris, les 13 et 14 janvier (complet). Le 21 à Albi, le 23 à Pau, le 28 à Lanester, le 29 à Nantes (complet), le 30 à Brest, le 3 février à Strasbourg, le 9 à Saint-Etienne, le 10 à Grenoble.
Véronique Mortaigne
ENFIN UN VÉRITABLE ARTISTE SUR SCÈNE, PAS COMME JOHNNY, J'ATTENDS AUSSI MONSIEUR EDDY !!!
jeudi 14 janvier 2010
Jacques Dutronc revient chanter ses tubes sans se fouler
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