TOUT EST DIT

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lundi 4 janvier 2010

Ceux qui défient le pouvoir en Iran

Le 12 juin 2009, l'Iran s'est rendu aux urnes pour élire son président de la République sans se douter que ce banal exercice électoral serait le coup d'envoi d'une des plus massives et sanglantes contestations qu'ait connues la République islamique en trente ans d'existence. Dans les heures qui ont suivi le scrutin, des permanences de candidats réformateurs ont été attaquées, l'Internet brouillé, Téhéran quadrillée par les forces de sécurité. Peu après, le président fondamentaliste, Mahmoud Ahmadinejad, réclamait la victoire avec un score écrasant (63 %). Les autres candidats dénoncèrent une "fraude". Ce fut le début de manifestations de masse dans le pays, réprimées par la force.
La photo de Neda, une jeune femme tuée par balles, fera le tour du monde. Ce qui n'était qu'un mouvement de contestation électorale avait trouvé son martyr, sa couleur fétiche aussi, le vert, couleur de la campagne de celui qui finira deuxième à l'élection, l'ex-premier ministre Mir Hossein Moussavi, appuyé par les réformateurs. Et lorsque le Guide suprême, Ali Khamenei, arbitre supposé de la vie politique iranienne, faisant la sourde oreille aux protestations, avalisera l'élection, le mouvement prendra un ton plus politique. Une opposition populaire, informelle et pacifique était née. Plus que des chefs, elle trouvera en M. Moussavi, mais aussi en Mehdi Karoubi (candidat réformateur malheureux, en juin) et Mohammad Khatami, l'ex-président réformateur, non des meneurs, mais des symboles de ralliement.

En six mois, 5 000 arrestations, des dizaines de morts et des procès arbitraires n'ont pas eu raison du mouvement. Pour l'Achoura, le 27 décembre 2009, la situation a dérapé: sans respecter la trêve de la fête religieuse, la police a tiré sur la foule. Des manifestants ont agressé les forces de l'ordre. Assez pour que l'ex-président Hachemi Rafsandjani, proche du mouvement vert, s'inquiète et appelle au calme, estimant que personne n'a rien à gagner par la violence.

Qui sont les personnages phares de cette opposition en marche ?

Moussavi, la figure de proue

A priori, rien ne prédisposait, à 68 ans, le tranquille technocrate Mir Hossein Moussavi, cet Azéri, devenu premier ministre de la République islamique pendant la guerre contre l'Irak (1980-1988), à prendre la tête d'un grand mouvement populaire de revendication. En fait, bien que proche du fondateur, l'ayatollah Khomeiny, et révolutionnaire de la première heure, il avait quitté la scène politique depuis plus de vingt ans. En 1989, devenu Guide suprême, Ali Khamenei, successeur de Khomeiny, avait décidé de supprimer le poste de premier ministre. Homme de sérail (il fut conseiller occulte des président Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami), il se consacrera à l'art. Une passion partagée avec sa femme, Zahra, docteur en sciences politiques, elle aussi engagée dans le mouvement.

Lorsqu'il annonce sa candidature à la présidentielle, car il croit la République islamique "en danger" en dépit du soutien des réformateurs, peu croient à son succès. Mais cet homme, nationaliste irréprochable et professionnel (il géra l'économie de guerre) a gardé une réputation intègre. Son discours d'ouverture envers les jeunes et la société, pétri d'idéal et de justice, sera, malgré lui, le catalyseur des espérances d'une foule d'Iraniens privés de liberté.

On le croyait timoré, la confiance des manifestants en fera un tribun contre la fraude et l'arbitraire. La répression (il vit sous haute surveillance) révélera son courage et une rare ténacité. Il se dit prêt à aller "jusqu'au martyre" pour faire entendre la cause du mouvement populaire. Pas un leader, un "accompagnateur" : "C'est vous qui m'avez donné la force, je ne fais que vous suivre." Pour arrêter le cycle contestation-répression qui entraîne une radicalisation dangereuse de part et d'autre, le 1erjanvier, il propose un plan de sortie de crise: libération des prisonniers politiques, respect des libertés, obligation pour le gouvernement de rendre des comptes.

Karoubi, l'imprécateur

Natif du Lorestan, cet hodjatoleslam (religieux de rang intermédiaire) atypique et résolument réformateur, auquel on a pu parfois reprocher, dans le passé, un discours populiste et un goût prononcé pour la gestion de grasses fondations révolutionnaires, s'est révélé, à 72 ans, comme le représentant le plus courageux et combatif de la nouvelle opposition populaire.

Homme du sérail, lui aussi (il a été président du Parlement de 2000 à 2004), il avait mis en cause l'ingérence des miliciens islamistes à la présidentielle de 2005, gagnée par M. Ahmadinejad, dont il n'a eu de cesse de critiquer les dérives en matières de sécurité et d'économie. Populaire auprès des étudiants et des féministes, il a, juste avant la présidentielle de juin 2009, signé une pétition avec le Prix Nobel de la paix, Shirin Ebadi, pour demander l'arrêt des exécutions de criminels mineurs au moment des faits.

Le premier à dénoncer publiquement les tortures et les viols en prison des manifestants arrêtés, en dépit des pressions et des menaces, il a accumulé preuves et dossiers, obligeant le gouvernement à fermer un des centres de détention les plus arbitraires et sanglants, la prison de Kharizak. Il est, avec M. Moussavi, la cible de commandos de nervis à la solde des ultra-fondamentalistes. En début de semaine, sa voiture a été attaquée alors qu'il était à l'intérieur. En une autre occasion, des miliciens ont fait voler son turban. Son journal, Etemad-e Melli, a été fermé il y a quelques mois et, à présent, une procédure judiciaire est ouverte contre lui. Sa réponse à tout cela : "Je ne me tairai que mort."

Khatami, le symbole

L'ex-président de la République (1997-2005), réformateur, bien qu'apparaissant rarement en première ligne, a joué les deus ex machina de la contestation des derniers mois, faisant jouer ses réseaux et son aréopage de technocrates pour aider les candidats réformateurs. Fin lettré, ce religieux affable et habile tacticien né près de Yazd, en 1943, et qui a étudié dans les écoles coraniques de Qom, la ville sainte, avant de devenir ministre de la culture et de l'orientation islamique, a représenté une certaine ouverture au sein de la République islamique.

Sa présidence a été marquée par un regain de liberté dans la société, la presse et l'édition, et une meilleure image de l'Iran à l'extérieur. Même si les étudiants, durement réprimés pour s'être révoltés en 1999, lui ont reproché de les avoir "lâchés", tandis que certains le critiquent pour n'avoir pas eu la force de faire évoluer les institutions et de redresser l'économie. A l'extérieur, son engagement pour le dialogue des civilisations et une suspension temporaire de l'enrichissement d'uranium lui ont ouvert des portes.

Elu contre la volonté du guide Khamenei, en 1997, il est vite devenu sa "bête noire". M. Khatami avait même annoncé, en février 2009, sa candidature à la présidentielle de juin, mais son entourage a estimé que les risques étaient trop grands, et il s'est désisté pour M. Moussavi. Les menaces contre lui étaient explicites. Ainsi, le journal officiel Kayhan, dont le directeur est directement désigné par le guide, a-t-il publié, en février, un éditorial conseillant à Mohammad Khatami de"penser au sort de Benazir Bhutto au Pakistan", assassinée en campagne électorale en 2007.

Même si son nom est moins vilipendé que ceux de MM. Moussavi et Karoubi, M. Khatami est la cible principale du pouvoir fondamentaliste en pleine radicalisation qui veut, à travers lui, abattre le symbole du réformisme. Des voix, parmi les religieux extrémistes et les Gardiens de la révolution, l'armée idéologique, ont réclamé son jugement et son exécution avec ses "complices", Moussavi et Karoubi.

Rafsandjani, un appui au cœur du régime

Hachemi Rafsandjani, 76 ans, ex-président de la République (1989-1997), ex-ministre de l'intérieur, ex-président du Parlement, est le Janus par excellence d'une révolution islamique à laquelle son pragmatisme, son clientélisme bien rodé et son art consommé de la volte-face politique "raisonnée" ont permis de survivre. Tous les autres fils ou presque de la révolution se sont entre-dévorés.

Passé par les séminaires religieux de Qom –il fit aussi de juteuses affaires immobilières dans la ville sainte–, l'hodjatoleslam Rafsandjani a été, dès les années 1960, un adepte de l'ayatollah Khomeiny. Il a tenté de libéraliser l'économie pour remettre le pays sur pieds après la guerre avec l'Irak (1980-1988). C'est lui qui favorisa l'arrivée au pouvoir du guide actuel, Ali Khamenei, à la mort de Khomeiny, en 1989, de façon à évincer le dauphin désigné, l'ayatollah Montazeri (mort en décembre 2009).

Mais entre le nouveau guide et son encombrant mentor, la rivalité s'est vite installée, s'exacerbant lors de l'élection de juin 2009, lorsque M. Ahmadinejad, "poulain" du guide, dénonça avec violence, à la télévision, les anciens dirigeants "corrompus" qui avaient "tenté de vendre le pays à l'Occident". M. Rafsandjani, dont la réputation voyante d'affairiste est devenue un handicap, et ses ouvertures vers l'étranger, pour sortir l'Iran de l'isolement, un sujet de critique des fondamentalistes, était le premier visé. Le ranger aujourd'hui dans la catégorie des "opposants" inconditionnels serait excessif, surtout qu'en théorie, il reste un pilier du pouvoir : il préside deux rouages essentiels, le Conseil du discernement et l'Assemblée des experts.

Toutefois conscient de ce que le guide veut, à la faveur de l'épuration en cours, en finir avec lui, M. Rafsandjani, déjà proche des réformateurs, leur a offert un appui tactique. Il se bat aussi pour la survie du régime, menacé, à ses yeux, par les dérives autoritaires actuelles, en prêchant l'unité.
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