C'est le dialogue entre deux femmes engagées. Bernadette Chirac et Carla Bruni-Sarkozy mettent leur temps et leur énergie au service d'associations caritatives. Et elles n'ont pas attendu d'être femme de Président pour s'y engager à corps perdu. Des blessures ou des drames intimes les avaient conduites sur cette voie. C'est en toute liberté qu'elles évoquent pour « Le Figaro Magazine » leur vie de femmes libres. Un entretien exceptionnel.
Lundi 14 h 45. Bernadette Chirac en tailleur Chanel bleu marine fait son entrée dans les salons du rez-dechaussée du palais de l'Elysée. Carla Bruni-Sarkozy l'accueille tout sourire. C'est la première fois que l'expremière dame revient dans ces lieux depuis qu'elle les a quittés il y a deux ans. Immédiatement son regard sonde les changements. Ici, un parquet a remplacé une moquette écossaise ; au premier étage, on entreprend des travaux de peinture; «Dieu merci, on a conservé les deux Hubert Robert », s'exclame-t-elle. Mme Chirac constate avec une pointe d'émotion que Carla Bruni- Sarkozy travaille sur le bureau qui fut le sien pendant douze ans. Elle a simplement fait installer le meuble dans un vaste salon donnant sur les jardins. Le Président a quitté le Palais quelques heures plus tôt pour Abu Dhabi. A 18 heures, à peine posé dans l'émirat, il téléphone à son épouse, et la charge de saluer Bernadette. Pendant les retouches de maquillage, les deux femmes échangent sur l'état du parc, la difficulté d'entretenir une telle maison. Après avoir essayé une robe Balenciaga bleu et blanc, Carla choisit finalement un ensemble Yves Saint Laurent rose. Quelques secondes encore et Pierre Charon, le «monsieur Communication » de l'Elysée, s'éclipse, tandis qu'Anne Barrère, qui accompagnait Mme Chirac, s'éloigne. Enfin seules, les First Ladies peuvent commencer leur conversation.
» EN IMAGES - La rencontre de deux First Ladies
Le FigaroMagazine Quand vous êtes-vous rencontrées pour la première fois ?
Bernadette Chirac Cet été, au cap Nègre. Mon mari et moi faisions un petit séjour chez des amis à Saint-Tropez. Le Président et Mme Sarkozy nous ont invités à dîner. Il faisait beau ; l'ambiance était amicale : ce fut un moment très heureux...
Carla Bruni-Sarkozy En vérité, tout le monde était très impressionné, même les enfants : deux Présidents dans la même maison ! Mais entre Mme Chirac et moi, le courant est immédiatement passé.
B. C. Je savais à qui j'avais affaire...
C. B.-S. Moi aussi, et je n'ai pas été déçue ! Nous avons parlé à bâtons rompus. Depuis, nous nous téléphonons de temps à autre. Nous avons déjeuné ensemble. J'aimerais d'ailleurs que nous puissions nous voir plus souvent, mais nos emplois du temps ne nous le permettent pas toujours...
Parmi les sujets qui vous rapprochent, il y a l'engagement humanitaire auquel vous vous êtes consacrées l'une et l'autre dès votre arrivée à l'Elysée...
C. B.-S. Bien avant d'arriver à l'Elysée, dans le monde de la mode et celui de la musique, j'ai participé à des événements tels que le Sidaction, le Téléthon, l'Amfar, les Enfoirés, etc. Mon mariage et ma nouvelle fonction m'autorisent désormais à agir en mon nom propre, mais mon engagement présent s'inscrit dans une continuité.
B. C. Pour moi, tout a commencé à la fin de l'année 1993 lorsque le Pr Claude Griscelli, qui a présidé l'Inserm, et qui est à l'origine de l'opération « Pièces jaunes », m'a proposé de prendre la présidence de l'association des Hôpitaux de Paris. Ceci s'est passé un an avant l'élection de mon mari à la présidence de la République. Ensuite, j'ai souhaité transformer l'association en une fondation qui a pour mission d'améliorer les conditions d'accueil et de vie des enfants malades à l'hôpital, puis des personnes âgées et des adolescents hospitalisés. Le rapprochement des familles et la lutte contre la douleur sont des éléments très importants dans l'action de la fondation. Dans un second temps, confrontée à un drame familial que chacun connaît, nous avons souhaité, avec l'équipe de la fondation, mettre en place des structures d'accueil pour adolescents en difficulté : ceux atteints de troubles du comportement alimentaire, d'anorexie mentale, de dépression, de maladies chroniques. La première d'entre elles a été la Maison de Solenn, créée en 2004. Aujourd'hui, nous avons participé à la construction de 25 Maisons des adolescents en régions. Et nous continuons, notre but est d'en créer une par département.
C. B.-S. Derrière tout engagement, il y a souvent une blessure. A la mort de mon frère, ma famille a créé une fondation qui porte son nom. Je suis également ambassadrice du Fonds mondial contre le sida.
Vous avez aussi créé la Fondation Carla Bruni-Sarkozy, à laquelle vont notamment vos droits d'auteur...
C. B.-S. Elle n'en est encore qu'à ses débuts. L'un de nos projets est, entre autres, de distribuer, en France, des bourses à des étudiants de talent issus de milieux défavorisés. Peut-être parce que j'ai eu la chance de naître et de grandir dans un milieu où tout m'a été offert, je voudrais donner une chance à ceux qui n'en ont pas eu. Evidemment le nom de mon mari et sa fonction ont centuplé l'impact de mon engagement. Cependant, l'humanitaire est un travail d'équipe, nous sommes là pour soutenir ceux qui, déjà, sont sur le terrain.
B. C. Mon objectif avec cette fondation était d'impliquer les équipes hospitalières et mes équipes. Nous avons beaucoup travaillé sur toutes nos missions et c'est pour cette raison que notre fondation joue un rôle important aujourd'hui en France. Je suis fière de la notoriété de l'opération « Pièces jaunes » chez les enfants et leurs familles.
Où en est la collecte ?
B. C. D'après les informations de la Banque de France, qui est un de nos fidèles partenaires, le résultat de la collecte2009, serait en augmentation par rapport à l'année dernière. Ce qui me touche particulièrement, connaissant les difficultés auxquelles les Français sont confrontés avec la crise. Les Français sont généreux.
Ces activités humanitaires vous laissentelles du temps pour faire autre chose ?
B. C. Comme toutes les femmes depuis toujours, je tente de concilier ma vie de famille, mes activités, mes obligations. Certes, mon emploi du temps est bien rempli, car, comme vous le savez, je suis une élue d'un canton rural de Corrèze et, depuis deux ans, à la demande de mon amie Claude Pompidou, je préside la fondation qu'elle avait créée et qui porte son nom. Notre principal objectif aujourd'hui est de construire à Nice un centre de soins (72 lits, plus 19 lits d'accueil de jour) et de recherches dédié aux malades atteints d'Alzheimer. Ce sera l'Institut Claude- Pompidou.
C. B.-S. Moi, mon petit canton, comme dit Mme Chirac, c'est la musique. Toutes les femmes d'aujourd'hui doivent jongler entre plusieurs activités, gérer horaires, transports, garde des enfants, etc. Je suis moi dans une position extrêmement favorisée, je n'ai fait qu'un sacrifice, ne pas partir en tournée, mais qu'importe, je recommencerai quand mon mari ne sera plus président.
B. C. Carla prend la vie du bon et du beau côté...
Il n'y a pas, en France, de statut pour la femme du Président. Le regrettez-vous ?
C. B.-S. Non. Ce qui m'étonne, c'est de voir qu'à l'étranger les femmes de Président ont à leur disposition de grandes équipes. Mme Bush m'a dit qu'elle avait 37 personnes qui travaillaient avec elle et la reine Rania de Jordanie, 27 ! Toutes les deux accomplissent beaucoup de choses sur le plan humanitaire et social. Mais chaque pays a ses traditions ; je ne m'imagine par réclamer un statut.
B. C. Ne pas avoir de statut n'empêche pas de jouer un rôle, notamment auprès des personnes en difficulté ou bien dans la détresse. Je me suis efforcée de venir en aide à celles et à ceux qui en avaient besoin pendant toutes ces années auprès de mon mari et à travers mes activités humanitaires.
Quels ont été les moments les plus agréables de votre vie de première dame ?
B. C. La naissance de notre petit-fils Martin, bien sûr, a été une joie immense. Tout comme la réélection de mon mari en 2002 à la présidence de la République, la visite d'Hillary Clinton en Corrèze, la prise de position de mon mari sur la guerre en Irak ou la réunion du Comité d'honneur de l'Icmec (Centre international pour les enfants disparus ou exploités) au palais de l'Elysée en février 2007. La reine des Belges avait créé sa propre fondation, Child Focus, au lendemain de l'affaire Dutroux ; la première réunion a eu lieu au palais royal de Bruxelles, la deuxième, à l'Elysée. Mme Bush, Mme Poutine, Mme Barroso, la reine de Suède, y ont participé. Cette année, la fondation s'est réunie au Caire à l'invitation de MmeMoubarak. Carla était invitée, mais elle n'a pas pu s'y rendre. Elle a écrit un très joli message que j'ai eu l'honneur de lire devant l'assemblée.
Et les mauvais souvenirs ?
B. C. La dissolution en 1997 n'est pas franchement mon meilleur souvenir. J'étais beaucoup sur le terrain en tant qu'élue et bien sûr à l'écoute des opinions différentes exprimées par les Français. J'avais dit à mon mari de ne pas se résoudre à cette dissolution. Il y a eu également la mort de ma mère en 2000 et l'accident de santé dont mon mari a été victime en 2005.
C. B.-S. Je ne sais pas si je suis plus en prise avec la réalité, mais j'ai plus de temps que mon mari. Je viens d'un tout autre milieu que lui. J'écoute beaucoup ce que l'on me dit. Je ne me permets pas de lui donner des conseils politiques, mais plutôt des conseils humains sur ce que je ressens. Mes bons souvenirs sont liés aux rencontres que j'ai pu faire : Mme Chirac, la reine d'Angleterre, la reine d'Espagne, Nelson Mandela, le dalaï-lama et tant d'autres personnes célèbres ou anonymes. Ce que je regrette c'est le manque de temps. Je m'emploie à ralentir le rythme de nos voyages à l'étranger. Oui, si j'interviens quelque part, ce n'est que dans l'emploi du temps. Je ne saurais conseiller mon mari sur un sujet aussi spécialisé que la dissolution, par exemple, la politique n'est pas théorique, c'est de l'expérience, un métier de terrain, et ce terrain n'est pas le mien.
A lire la presse, on a l'impression que vous êtes derrière chaque nomination de votre mari...
C. B.-S. A lire la presse, ceux qui me connaissent vraiment doivent être étonnés. Ce qui ressort dans la presse ne me ressemble en rien.
Ces reproches vous exaspèrent ?
C. B.-S. Non. Les seules choses pénibles sont les critiques adressées à mon mari. Il m'arrive d'en souffrir pour lui quand elles sont injustes et infondées, c'est-à-dire dans 90 % des cas. J'ai fini par comprendre que l'on critiquait plus son statut que l'homme. Pour moi c'est la même chose : on critique la «femme de» plus que ce que je suis vraiment. Finalement, critiques et compliments ne nous sont pas personnellement destinés.
B. C. La critique fait partie du métier. Quand on entre en politique, par définition, on est soumis à la critique. Avec le temps, j'ai un peu appris à « faire avec ».
C. B.-S. En fin de compte, ce qui reste, ce ne sont pas les critiques mais ce qu'on a accompli.
Et les attaques contre vous ?
C. B.-S. Je ne suis guère attaquée, je trouve. Je comprends que les médias préfèrent parler de mes escarpins plutôt que du Fonds mondial ou de la lutte contre l'illettrisme, mais je le regrette.
(Claude Gassian pour Le Figaro Magazine)
(Claude Gassian pour Le Figaro Magazine)
On dit, Mme Chirac, que vous étiez plus à droite que votre mari, et vous, Mme Bruni-Sarkozy, plus à gauche que le vôtre.
B. C. En ce qui me concerne, c'est complètement faux. Mon combat a toujours été celui des femmes.
C. B.-S. Je viens d'un milieu considéré comme à gauche, mais je n'ai jamais été militante. Quant à mon mari, son ouverture d'esprit n'est plus à prouver : la loi Hadopi et le RSA me semblent être des mesures qui auraient pu correspondre aux valeurs de la gauche.
B. C. Nos maris ne sont pas sectaires. Et nous non plus !
Mme Chirac, quel conseil pourriez-vous donner à Carla Bruni-Sarkozy ?
B. C. Aucun. Je pourrais être sa mère, vous savez... Carla est la première dame d'une France jeune qui change tous les jours. Elle représente très bien la France. Elle est élégante, douce et gracieuse.
La pression médiatique est-elle difficile à vivre ?
C. B.-S. Vous savez, j'ai fait des stages de pression médiatique dans mes deux précédentes vies... Et pour être honnête je ne déteste pas cela... Sinon, je ne serais pas devenue mannequin puis chanteuse. Mes métiers précédents m'ont appris à ne pas mal prendre une petite phrase et à savoir me tenir devant les photographes. Nous avons basculé dans une époque d'image et il est important d'y faire face. Les premières dames qui m'ont précédée pouvaient vivre plus discrètement et davantage protéger leur vie privée. Marc Aurèle, l'empereur philosophe, disait que la liberté de l'homme commence lorsqu'il comprend ce qui dépend de lui ou non. Or, ce que l'on dit de nous dans la presse, la façon dont on nous montre ne dépend pas de nous.
En signant une lettre de soutien à Aung San Suu Kyi, ne risquez-vous pas de mettre la diplomatie française en porte-à-faux ?
C. B.-S. Je sais que cette lettre a été remise par notre ambassadeur aux autorités birmanes. Je n'ai pas demandé la permission à la cellule diplomatique, mais avant de l'écrire j'en ai parlé à mon mari. Il m'a donné son accord. Une fois celle-ci terminée je l'ai lue à Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique, dont l'opinion m'importe.
Mme Chirac, comment avezvous trouvé votre place politique au côté de votre mari ?
B. C. Les débuts n'ont pas été toujours très faciles. J'avais un peu l'esprit rebelle et cela faisait sourire. Pour autant, il n'est pas interdit d'avoir des idées et d'en discuter. J'étais fondamentalement une femme de terrain à l'écoute des Français. J'ai souhaité faire connaître mes actions humanitaires à travers les médias. Au fil des années, je pense avoir trouvé ma place, et j'espère avoir été utile aux Français, auprès de mon mari.
La politique n'est-elle pas un bon moyen d'assurer votre autonomie ?
B. C. Pour ma part, je continue à en faire en Corrèze, où je suis élue.
Quelle occasion pourrait vous rassembler publiquement ?
C. B.-S. Nos engagements respectifs. J'ai déjà eu l'occasion d'être à vos côtés lors d'une soirée donnée en faveur de votre fondation. Lorsque la mienne sera sur les rails, je vous solliciterai peut-être, ou je vous demanderai des conseils.
B. C. La reine des Belges m'a demandé si nous pouvions nous rendre toutes les deux à Bruxelles pour sa fondation Child Focus.
Mme Bruni-Sarkozy, pourriez-vous participer à un « Qui veut gagner des millions ? » spécial sur TF1 au profit de la fondation de Mme Chirac ?
C. B.-S. Je l'ai déjà fait au profit de la Fondation Claude-Pompidou, que j'ai d'ailleurs rencontrée à cette occasion. J'avais participé à cette émission avec Karl Lagerfeld et nous avions gagné 50 000 euros. J'aime beaucoup cette émission, mais j'aurai besoin d'un érudit comme Karl à mes côtés pour aller le plus loin possible dans ce jeu.
SIC TRANSIT GLORIA MUNDI !
samedi 30 mai 2009
Bernadette Chirac et Carla Bruni-Sarkozy : leur rencontre à l'Elysée
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