TOUT EST DIT

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mardi 18 juin 2013

Le jour d’après

L'effondrement économique imminent est incompatible avec les théories libérales fondées sur la notion d'équilibre macroéconomique. Les connaissances (récentes) dans le domaine de la théorie du chaos font craindre un cataclysme financier qui pourrait bien signifier la fin de notre civilisation. 


Un film des années 2000, Le Jour d’après, relate l’histoire d’une catastrophe climatique qui s’abat sur la Terre. Les régions riches de l’Hémisphère Nord sont particulièrement touchées et ses habitants doivent émigrer, pour survivre, vers les pays du Sud de la planète. Les activités humaines, dispendieuses de trop grandes quantités d’énergie, sont responsables des dérèglements climatiques qui finissent par provoquer l’anéantissement d’une partie du globe.

Il en va de l’économie comme de la météorologie : toutes deux sont gouvernées par des mouvements chaotiques. Le chaos, théorisée au siècle dernier, est la science des systèmes dynamiques (par exemple l’atmosphère ou la production de richesse) qui, bien qu’en principe déterministes, ne sont ni stables, ni divergents et résultent finalement imprédictibles. Leur instabilité se concrétise par l’absence d’équilibre du système, par une apparente périodicité des évènements, mais aussi par des moments de fortes discontinuités.
En économie, le raisonnement néoclassique (comme d’ailleurs la théorie marxiste de critique de l’économie de marché), sur laquelle repose l’édifice intellectuel des théories néolibérales, est fondé sur unela loi de l’offre et de la demande censé conduire à l’équilibre général, théorisé par l’économiste français Léon Walras (1) et dont l’existence fut astucieusement démontrée par son compatriote Gérard Debreu(2). Mais l’existence d’un équilibre n’implique pas qu’il soit atteint et l’apparition de bulles ou de krach enterre de manière définitive la loi de l’offre et de la demande dans son implication classique qu’elle aboutirait « par tâtonnement » à l’équilibre. Cette loi, intuitive mais fausse, se retrouve pourtant au début des manuels d’économie comme prolégomènes aux errements intellectuels qui en découlent.
De nos jours, les faits décidément têtus, comme aimait le rappeler un autre économiste français, Maurice Allais (3), à propos de la mondialisation (4), infirment prévisions et modèles macroéconomiques. On a beaucoup commenté l’« erreur » d’appréciation qu’aurait faite le FMI quant à l’efficacité des politiques d’austérité imposées dernièrement à certains pays du Sud de l’Europe (5). Je crois que la situation est beaucoup plus grave : il ne s’agit pas d’une simple erreur ou d’une manipulation. Les modèles utilisés commencent à montrer leurs limites. Des divergences sont constatées. Partout, les prévisions sont démenties de trimestre en trimestre.
Qui observe les données macroéconomiques des pays de l’OCDE s’en rend compte facilement : les dernières « poches » de croissance s’expliquent ou par des déficits abyssaux (rendus possibles grâce à l’intervention massive et non-conventionnelle de la FED aux USA, par exemple) ou par des excédents commerciaux très importants (Allemagne). Ni les déficits, ni les excédents ne peuvent se poursuivre éternellement car l’un comme l’autre sont générateurs, en dernière instance, de dettes : endettements public et privé qui ne cessent de gonfler, l’un prenant parfois le pas sur l’autre. Inexorablement, depuis quarante ans, la dette s’accroît exponentiellement, toujours plus rapidement et ne trouvera comme limite que le défaut inéluctable de l’emprunteur. Les arbres ne montent pas au ciel, c’est bien connu. L’austérité ou la fuite en avant ne sont plus des solutions. Le point de non-retour est franchi depuis longtemps avec ou sans l’Euro (et même si l’échec de ce dernier est patent, son abandon, sans doute souhaitable, ne suffira malheureusement pas à résoudre nos problèmes). Nous avons vécu collectivement une illusion : nous pensions qu’un jour les dettes seraient remboursées, qu’elles étaient viables, que leur montant atteindrait une sorte de proportion constante en rapport avec le reste de l’économie, qu’un régime stationnaire de croissance serait établi. Les évènements contredisent cette croyance. Et la virtualité de la monnaie qui n’est qu’une créance sur l’économie, sur notre expansion future, apparaîtra bientôt au grand jour. Le roi sera nu et tout le monde l’admettra.
Comment sera organisé le défaut ? Dépréciation extrême des monnaies provoquée comme en Autriche en 1920 ou en Allemagne en 1922-1923 (avec hyperinflation comme corollaire) ou cessation de paiement pure et simple des débiteurs ? L’un ou l’autre est inéluctable. Avec des conséquences catastrophiques pour les épargnants (qui ne sont pas toujours des riches : aux USA ou au Royaume Uni, par exemple, le quidam cotise dans des fonds de pension qui collectent et investissent cette épargne, notamment sur le marché de la dette) et son cortège de faillites bancaires.
Difficile d’imaginer le monde lorsque le scenario se sera produit. L’histoire ne bégaie pas. L’individualisme forcené dont on se demande s’il est à l’origine du système ou une conséquence de celui-ci, a isolé l’homme et l’a privé des repères sociaux ou moraux des sociétés traditionnelles. La situation est inédite. L’ « homo oeconimicus », libéral et libertaire, dont l’essence de consommateur insatiable et de jouisseur compulsif, a été façonné pour les besoins du système. Besoin effréné de consommateurs, d’abord, pour absorber une production en constante augmentation. Besoin d’un homme conforme au modèle, ensuite, et dont « l’utilité marginale de consommation est nécessairement positive ».
Comment réagira l’individu moderne dans un monde en faillite ?
On peut imaginer l’avènement d’un monde orwellien, tel qu’il est décrit dans le chef d’œuvre 1984. Le processus est déjà enclenché et depuis longtemps. « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». La citation, certes usée jusqu’à la corde mais rarement galvaudée de l’auteur britannique correspond si bien à notre monde. Avec son anglais en 500 mots, appauvri à l’extrême, épuré de ses nuances et utilisé maintenant par des francophones pour enseigner à l’université (!) comme novlangue. Avec Al-Qaida, sorte d’Emmanuel Goldstein qu’il aurait fallu inventer. Certains y voient un complot, un Nouvel Ordre Mondial en vue d’asseoir la domination d’une oligarchie déjà aux commandes. Le mensonge permanent comme arme, servi par un système médiatique acquis dans un monde où règnent l’inversion des valeurs et du sens des mots.
Mais le système ne tiendra probablement pas. Il se lézarde à droite, il se fissure à gauche ; Le référendum de 2005 n’est qu’un avant goût de la défiance qui gagne. Un Etat ruiné et déconsidéré n’aura plus les moyens financiers, ni la légitimité morale pour rétablir l’ordre. Le chômage de masse, les inégalités croissantes, le scandale de la faillite, la ruine des épargnants sont autant d’éléments qui achèveront de faire basculer les pays (et le nôtre en particulier) dans la violence et dans l’anarchie.
Le problème du quotidien sera alors celui de la survie. Boire, se nourrir, se chauffer ou se soigner sont des conforts que permet le monde moderne. Mais sans banque, sans monnaie, sans police, sans Etat, l’effondrement économique sera total. Une organisation sociale qui a mis l’argent au centre ne peut pas survivre à sa disparition. Et chacun devra subvenir par lui-même à ses propres besoins vitaux. Un système qui s’est construit sur la compétition de tous avec tous, a creusé sa tombe. La jungle et ses lois sont notre futur.
Fantasmes penseront certains, peut être. L’exemple de l’effondrement du bloc soviétique devrait pourtant inciter à la prudence. Les civilisations peuvent disparaître, l’histoire le montre. En Grèce, certains jeunes chômeurs désœuvrés ont déjà fui les villes pour la campagne, où la survie est plus facile. Le pire n’est jamais certain, mais chacun d’entre nous ferait bien de se préparer au moins intellectuellement au cataclysme imminent.


(1) Léon Walras (1834-1910), économiste français, théoricien de l’équilibre général qui fonde ses travaux sur le raisonnement marginal.
(2) Gérard Debreu (1921-2004), mathématicien et économiste français et américain, « prix Nobel » d’Economie* en 1983. Démontre l’existence d’un équilibre général en utilisant des outils mathématiques complexes (topologie algébrique).
(3) Maurice Allais, économiste français, « prix Nobel » d’Economie* en 1988.
(*) En fait, il n’existe pas de prix Nobel d’économie mais un prix de la Banque Royale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel.

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