TOUT EST DIT

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mardi 18 juin 2013

Généralisation de la complémentaire santé : un conseil constitutionnel schizophrène


Le Conseil Constitutionnel censure les clauses de désignation de la complémentaire santé, mais avec une argumentation douteuse.
Si les polémiques suscitées par l’accord national interprofessionnel depuis le 11 janvier 2013 viennent de cesser par une décision du Conseil constitutionnel en date du 13 juin 2013 ; d’autres polémiques d’ordre plus théorique pourraient naître chez les libéraux.
En effet, même si la liberté contractuelle et la libre concurrence servent de fondement constitutionnel à la censure des clauses de désignation, leurs restrictions ont clairement été affichées.
Restriction de libertés comme fondements de la censure des clauses de désignations.
Le Conseil constitutionnel, saisi par voie d’action, devait se prononcer sur la constitutionnalité de la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Il s’agissait alors pour les sages de savoir si l’article 1 de la loi relative à la sécurisation de l’emploi prévoyant la généralisation des contrats collectifs d’assurance de complémentaire santé via les fameuses clauses désignation était constitutionnel ; notamment au regard de la liberté contractuelle et de la liberté d’entreprendre : libertés fondamentales garanties par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, elle même ayant valeur constitutionnelle.
Le travail des sages était donc de mettre en balance la liberté de contracter et d’entreprendre face au contenu de l’article 1 de la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel estime que le premier alinéa du A du paragraphe I de l’article 1er de la loi qui prévoit que chaque entreprise soit obligée de souscrire un contrat de complémentaire santé collectif offrant plus de garanties du risque santé que celles de l’Assurance Maladie, n’est pas contraire à la Constitution. En revanche, le Conseil Constitutionnel censure dans un second temps les fameuses clauses de désignation dont le but était qu’à défaut d’accord dans les entreprises, un accord de branche décide du contrat collectif et s’impose à l’ensemble des entreprises de la branche.
Mais la censure intervient de façon originale puisque la décision prend la peine de restreindre au préalable les mêmes libertés à valeur constitutionnelle qui permettent in fine de censurer les clauses de désignation. Les formulations sont claires, le Conseil constitutionnel établit très précisément que le législateur peut porter atteinte aux libertés d’entreprendre et de contracter afin de satisfaire d’autres exigences d’ordres constitutionnelles ou des raisons d’intérêt général. Après cette restriction de libertés, le Conseil constitutionnel prend la peine de qualifier la généralisation des complémentaires d’intérêt général, mais il estime que si un assureur est déjà désigné par une entreprise, alors, imposer un nouveau contrat par un accord de branche est constitutif d’une atteinte trop forte à la liberté contractuelle. En conséquence, les clauses de désignation sont censurées.
Dangers d’une telle décision.
Si finalement c’est une bonne chose dans les faits que soient censurées les clauses de désignation, il ne faudrait pas se réjouir trop vite d’une telle décision. En effet, le raisonnement qu’adopte le Conseil constitutionnel comporte quelques dangers.
D’abord sur la substance de la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, le Conseil profite de cette décision pour préciser à nouveau les cas de restrictions de ces libertés ô combien fondamentales. Même s’il est très courant que dans le contentieux des libertés fondamentales, le Conseil constitutionnel hiérarchise certaines libertés garanties constitutionnellement, (notamment droit de grève et continuité du service public par exemple) n’est-il pas inadmissible que la liberté de contracter et d’entreprendre puissent être restreintes dans un pays qui en aurait pourtant le plus besoin aujourd’hui ? La restriction de ces libertés n’est pas nouvelle, le doyen Josserand écrivait déjà en 1933 « Le Contrat dirigé » où il s’insurgeait contre un dirigisme contractuel croissant, restreignant les fondements du droit normalement libéral des contrats en France.
Ensuite, le Conseil constitutionnel érige la généralisation des complémentaires santé au grade « d’intérêt général ». Ainsi il faut entendre que le Conseil constitutionnel estime qu’avoir une complémentaire santé est une bonne chose pour les individus. Si dans les faits c’est véritable, il est absolument indigne de la part d’une juridiction –qui plus est la plus haute– d’oser savoir mieux que les individus ce qui est bon pour eux. Ce coup de force du Conseil constitutionnel passe totalement inaperçu puisque les français sont habitués et admettent un tel dirigisme. L’exemple le plus marquant demeure le très fameux arrêt du Conseil d’Etat du 27 octobre 1995 dit Morsang sur Orge, où le Conseil d’Etat s’était permis d’intégrer la notion de dignité humaine comme fondement de l’ordre public, s’autoproclamant ainsi mieux à même de savoir qu’un nain ce qui était bon pour lui de faire de sa vie professionnelle. Un tel raisonnement est un danger dans la mesure où des juges qui ne jugent plus en droit mais qui estiment savoir mieux que les individus ce qui est bon pour eux c’est tout simplement la plus élémentaire caractéristique d’un Etat totalitaire et la conception la plus antilibérale de l’homme.
Conséquences sur le marché de l’assurance santé.
La censure des clauses de désignation pour la désignation des contrats de complémentaires santé emporte plusieurs conséquences de taille sur le marché de l’assurance santé.
D’abord c’est la fin des contrats de complémentaire santé individuels. En effet, du fait de l’obligation de souscrire, ces contrats individuels n’auront plus d’intérêts économiques pour les salariés nouvellement équipés. Mais annoncer leur mort reste une erreur, c’est peut être leur transformation en contrats de sur-complémentaire santé qu’il faut annoncer, dans la mesure où il est très probable que les contrats collectifs ne parviennent pas à couvrir l’ensemble des risques de santé et suscitent un besoin de couverture supplémentaire.
C’est aussi l’occasion de tester la performance réelle des IPs (Institutions de Prévoyance) qui soutenaient durant les mois précédents que les clauses de désignations étaient bonnes et que, peu importe leur proximité évidente avec les syndicats, les IPs seraient choisies par les entreprises quoi qu’il arrive. En effet, sur ce segment de l’assurance santé, la concurrence va être rude, les enjeux financiers sont colossaux et les IPs devront rivaliser avec la réactivité et la performance à toute épreuve des courtiers-grossistes en assurance santé tel que April Prévoyance et Santé par exemple.
Enfin, va aussi se poser la question de l’extension des nouvelles règles européennes relatives à l’intermédiation en matière d’assurance. La directive dite DIA2, préconiserait une extension massive de la qualité d’intermédiaire d’assurance, et par voie de conséquent, les obligations qui découlent de cette qualité. Ainsi, il serait question que les comparateurs d’assurances tout comme les entreprises qui proposent à leurs salariés des contrats santé collectifs revêtent la qualité d’intermédiaire en assurance.
Finalement, la décision du Conseil constitutionnel ne sonne en rien la fin des problèmes liés à l’assurance santé en France. Le problème de fond reste non résolu : malgré les directives 92/49 et suivantes mettant fin au monopole de la Sécurité Sociale, celui-ci reste dans les faits. Finalement, on pourrait voir la généralisation de la complémentaire comme un moyen de sauvegarder la branche maladie de la Sécurité Sociale en déplaçant la charge des remboursement dus aux sinistres issus des risques de santé à de vrais assureurs qui eux sont soumis aux contrôles de solvabilité de l’ACP (Autorité de Contrôle Prudentiel). D’autant plus que la généralisation de la complémentaire doit se faire avant 2016 : c’est un an avant les élections présidentielles de 2017, ce qui permettra à la gauche en campagne de se prévaloir du « sauvetage de la branche maladie » pour tempérer un bilan qu’on sait déjà désastreux.
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(*) Simon Le Grill est étudiant en assurances à l’École Nationale de l'Assurance (ENASS) et en même temps en droit à la Sorbonne.

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