TOUT EST DIT

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mardi 17 décembre 2013

1973-2013 : 40 ans de marasme... Faut-il se résoudre à faire le deuil de la croissance ?


La croissance de la France, qui s'établissait à 5,6% en moyenne par an dans les années 1960, est en moyenne de 0,8% depuis 2010. La chute a débuté dès les années 1970 et pourrait bien continuer, à moins d'un sursaut de l'Europe.

- En ces temps de morosité économique, les vieux pays développés n'en finissent plus de se rappeler l'âge d'or des Trente Glorieuses, époque où la croissance oscillait entre 5 et 7% dans de nombreux pays développés. En dépit de nombreuses politiques de relances, de Reagan à Obama en passant par Jospin en France, les statistiques n'ont jamais retrouvé depuis les niveaux idylliques des années 1960. Pourra-t-on un jour y revenir ou faut-il une bonne fois pour toute faire le deuil de temps déjà anciens ?

Olivier Berruyer : A court et moyen terme il appraît déjà évident que ce deuil doit déjà être fait, et ce n'est d'ailleurs pas aussi dramatique que l'on pourrait le penser. La fin de la croissance, quelle que soit sa nature (économique, biologique...), est naturelle à partir du moment où elle s'inscrit dans un environnement fini. Les Trente Glorieuses se sont achevées par une multiplication par cinq de l'énergie consommée sur l'ensemble de la planète, et l'on imagine bien qu'une telle progression finirait par devenir impossible si elle restait constante. La fin de tels taux de croissance s'explique assez aisément puisqu'en passant d'une société industrielle à une société de consommation, nous avons logiquement réduit notre potentiel même de développement. La définition même d'une croissance constante s'appelle en mathématiques une exponentielle, et cette exponentielle est de fait impossible lorsque nous vivons sur des ressources et des potentiels de consommations qui ne sont pas infinis. Cela peut durer très longtemps si l'on est douze, mais moins si l'on est 7 milliards (9,7 milliards en 2050 d'après l'INED, ndlr).
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Nicolas Goetzmann : Ce que vous décrivez ici correspond au discours décliniste qui devient de plus en plus populaire. Ce discours est basé sur l’acceptation d’une croissance faible, phénomène qui serait inéluctable et auquel nous devrions nous adapter. Le fait est que cette logique est totalement fausse, la faible croissance que nous connaissons n’est pas subie, elle est un choix. Pour un pays comme la France qui compte 5 millions de chômeurs dans les différentes catégories, qui compte également un grand nombre de personnes en situation de sous-emploi, c’est-à-dire engagés soit à temps partiel contraint, soit en deçà de leurs capacités, vous pouvez déjà estimer que le réservoir de croissance est très important. La population active est en croissance en France, contrairement à l’Allemagne par exemple. De plus, les investissements en recherche et développement, les dépenses d’innovations sont faibles, ce qui est également un facteur de faible croissance car les gains en productivité pourraient s’améliorer. Cette situation montre clairement qu’aujourd’hui la France évolue très largement en deçà de son potentiel. La cause de cette perte potentielle est simple, la politique monétaire de la BCE qui consiste à ne permettre qu’un faible niveau d’activité pour éviter toute pression inflationniste. Dans les années 70, il y avait trop d’inflation parce qu’on voulait accélérer l’économie au-delà de son potentiel, aujourd’hui c’est l’inverse. Nous tournons à mi régime tout en constatant la précarisation de la société, et c’est le choix que nous avons fait en adoptant une politique monétaire stricte.
Source : Nouvelledonne.fr
Quels signes viendraient d'ores-et-déjà corroborer dans les faits cette fin de la croissance ?
Olivier Berruyer : On peut déjà remonter aux années Pompidou, sachant que depuis le taux de croissance français n'a cessé de baisser (5,69 en moyenne dans les années 60, 3.68 dans les années 70, 1.13 dans les années 2000). Lorsque votre conjoint est parti depuis quarante ans... ce n'est plus vraiment la peine d'espérer qu'il revienne. Idem pour la croissance à 5%. L'enjeu raisonnable est donc aujourd'hui pour la France de maintenir une croissance positive au début des années 2020, et ce n'est clairement pas gagné d'avance. Je ne me risquerais évidemment pas à donner un chiffre précis, je ne le connais pas, mais une estimation de 0/0.7% me semblerait plus proche de la réalité que les estimations habituelles. Cela changerait du principe d'imprudence qui a été le nôtre pendant près de trente ans. Ainsi, depuis 2000, "l'erreur moyenne" du gouvernement dans sa prévision de croissance (pour l'année suivante) a été d'un point, ce qui n'est pas rien... Nos dirigeants ont tendance à voir double et il faut dire que cela peut arranger en minimisant le besoin de réformes coûteuses politiquement.
Nicolas Goetzmann : Encore une fois, il s’agit d’un choix. Et ce choix d’une croissance faible qui rime avec inflation faible se traduit par un chômage de masse, la hausse de l’emploi partiel, des bataillons de jeunes surdiplômés qui ne trouvent pas d’emploi à leur niveau de qualification, des salaires qui stagnent, les inégalités, et l’incapacité de lutter efficacement contre la pauvreté. C’est ce que Philippe Séguin appelait le Munich social, c’est-à-dire cette lâche attitude qui consiste à faire croire que le chômage est la préoccupation première de nos gouvernements. Ce n’était pas le cas, et aujourd’hui il semblerait qu’ils ne comprennent même plus les causes de cette situation. Il est totalement erroné de croire qu’il s’agit d’une fatalité, la France a le potentiel pour encaisser 3 à 4% de croissance pendant plusieurs années sans avoir de problème d’inflation, revenir au plein emploi, et permettre au salaires de progresser. Ce qui permettrait également de lutter contre les dépenses publiques, et de contenir le niveau de dette. Une telle situation ne dépend que du bon vouloir de la BCE, et donc de la capacité de nos dirigeants à réorienter l’Europe vers la croissance.
 Les Trente Glorieuses ont émergé dans un contexte particulier puisque l'Europe entière, ou presque, était alors à reconstruire tandis que la société de consommation commençait tout juste à s'imposer. Nos économies peuvent-elles encore s'appuyer sur des leviers de développement aussi puissants actuellement ? Lesquels ?
Olivier Berruyer : Il y a eu effectivement une reconstruction du pays entre 1945 et 1950, mais cela ne saurait être le véritable facteur des Trente Glorieuses. La véritable cause est à voir dans la mécanisation de l'agriculture, puis de l'industrie, qui a su apporter des gains de productivité sans précédents. Une fois que le tracteur a remplacé 10 paysans et le robot 10 ouvriers à la chaîne, vous vous retrouvez contraints de basculer vers une économie de services où il est bien plus difficile d'obtenir ces mêmes gains de productivité. De nouveaux eldorados économiques ont été promis (bulle internet) et continuent de l'être (Big data) sans que nous retrouvions les taux de croissance des décennies précédentes. Dans certains cas ce sont des ressorts économiques crédibles qui nous permettent d'avoir chaque année 1% de croissance, mais jamais plus. Au delà des nouvelles technologies, le reste de l'économie de services est composé d'enseignants, de policiers, d'infirmiers, de baby-sitters, autrement dit par des fonctions que l'on ne sera pas capable de mécaniser d'ici peu.
Nicolas Goetzmann : Ce sera aux entrepreneurs d’écrire cette histoire. Ce dont je parle, c’est de donner aux entrepreneurs la cadre macroéconomique optimal pour qu’ils puissent investir, innover, créer. Aux Etats Unis, un cadre macro un peu plus efficient permet de développer des entreprises qui sont devenues géantes en quelques années. La croissance de demain va se bâtir sur le niveau d’éducation, de compétences de la jeunesse, et sur le cadre macroéconomique que nous leur donnerons. Je ne suis pas pessimiste au point de croire que nous sommes au bout de l’histoire économique, que tout aurait été inventé, et que nous devons nous résigner à la stagnation. C’est bien cette mentalité qui est destructrice. Il convient donc de réaligner nos politiques publiques vers cet objectif de croissance. Le Japon revient fort depuis un an avec un programme appelé « Japan is back », le retour du Japon, et affiche des taux de croissance que nous n’avons pas connu en Europe depuis la bulle des technologies. Encore un exemple qui démontre qu’il ne s’agit que de volonté politique. 

En parallèle, la montée en puissance des pays émergents s'annonce comme une importante manne économique d'ici les prochaines années, d'aucuns estimant que la classe moyenne sera représentée par 5 milliards de personnes en 2050. Les prochaines Trente Glorieuses seront-elles finalement celle de l'ancien Tiers-Monde ?

Olivier Berruyer : C'est évident en théorie, mais on peut hélas se demander s'ils réussiront à atteindre un tel seuil de développement, et ce pour des raisons géopolitiques. Aux Etats-Unis, le nombre de voitures/habitant est de 900 pour 1000 alors qu'en Chine ce chiffre vient de passer en deux ans de 30 pour 1000 à 55 pour 1000. S'il finit par atteindre le même chiffre qu'aux Etats-Unis, il est clair qu'il deviendra impossible de satisfaire la demande mondiale en pétrole. Si l'on parle beaucoup de ce future manque de ressources énergétiques, ce n'est clairement pas la seule pénurie qui se profile pour les prochaines années. Entre autres, il apparaît ainsi que nous allons aussi bientôt manquer de sable ! Cela semble idiot dit de cette manière, mais c'est pourtant bien une réalité. Ce matériau est le troisième le plus utilisé au monde et ces réserves s'épuisent, le sable du désert étant totalement inutilisable. Sans sable marin, la production de verre, de béton, ne pourra pas continuer sa production. Il ne s'agit là que d'une des nombreuses barrières physiques sur lesquelles viendront buter les pays émergents dans un développement qui deviendra de plus en plus difficile au fur et à mesure que les prix de matières clés augmenteront de par leurs raréfactions.
Nicolas Goetzmann : Je pense au contraire que le temps est plutôt au retour des grands pays industrialisés. Encore faudrait-il que l’Europe se bouge, parce que les Etats Unis, le Japon, l’Australie, le Canada, sont en train de préparer leur retour en force.Evidemment les pays émergents vont continuer à se développer et permettre à leur population d’atteindre des niveaux de vie supérieurs, ce qui est quand même l’objectif primaire, mais je suis plutôt très confiant sur la capacité des « occidentaux » de tenir leur rang. Mais il va vraiment falloir que l’Europe modifie sa façon de voir les choses, et cette thématique est devenue le marronnier des G20. Les autres zones économiques demandent à l’Europe de s’engager vers la croissance, et l’Europe ne comprend pas de quoi on lui parle. Il y a une sorte de confort intellectuel des Européens à raisonner selon d’anciens schémas macroéconomiques qui se sont avérés désastreux pendant la crise. Et l’Europe ne s’en est pas encore rendu compte, ce qui est navrant.

Quelles leçons devraient en tirer nos dirigeants en termes de modèle économique s'il s'avérait effectivement que la croissance restait atone sur plusieurs décennies ?

Olivier Berruyer : Je me permettrais de me défausser en disant qu'il est étonnant qu'aucun économiste n'ait réellement travaillé sur cette excellente question. S'il s'avère effectivement que la croissance reste faible pour une trentaine d'années, des mesures d'adaptation se doivent d'être prises sans quoi l'on rentrera dans des phases de chômage très douloureuses. Il n'existe d'après moi aucune règle intangible qui consiste à dire que la catastrophe nous attend de fait si l'on cesse de croître. Cela nous pousse dans des logiques rigides puisque l'on compense aujourd'hui la perte des gains de productivité des Trente Glorieuses par la destruction d'emplois afin de maintenir une compétitivité optimale.
On pourrait commencer par donner une réponse théorique, en partant du principe que la croissance est la productivité multipliée par la quantité de travail. Si l'on est à croissance nulle, il faut donc diminuer le travail  (nombre d'emplois ou temps de travail) lorsque l'on a des gains de productivité. Cela est cependant totalement inopérant si dans le même temps le reste de la planète ne le diminue pas. Une réponse concrète à un tel problème engage donc une remise en cause de la part de nombreux acteurs politiques et économiques, sans quoi tout effort restera assez vain. 
Nicolas Goetzmann : Non. Croissance faible signifie chômage élevé, déficits publics et dette en hausse. Ce n’est pas un avenir possible car il s’agit d’un suicide économique.La Grèce, l’Espagne et le Portugal, entre autres sont en train d’en faire l’expérience. Il y a aura toujours un moment où la population va demander de changer de politique. C’est ce qui s’est passé au Japon…après plus de 20 ans de stagnation totale de leur économie.
Il ne peut y avoir qu’une croissance faible plus ou moins durable si la démographie de la population active ne progresse pas, comme cela était le cas au Japon, ou comme cela est la cas sur de nombreux pays en Europe aujourd’hui. Mais pas à long terme. Il ne s’agit pas de revenir à des taux des 8 ou 9% annuels, car notre potentiel ne nous le permet pas, mais de revenir à une croissance moyenne d’environ de 2% à 3% après une première étape beaucoup plus soutenue qui nous permettrait de rattraper notre retard accumulé pendant la crise, c’est-à-dire environ 20% de croissance. Nous avons le temps de voir venir.

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