vendredi 15 novembre 2013
"Parler de déflation est excessif"
Alors que l'inflation dans la zone euro est tombée à 0,7 % fin octobre, certains économistes estiment que l'Europe est désormais menacée par la déflation. Une crainte que ne partage pas Jean-Marc Daniel, professeur à l'ESCP Europe. Il explique pourquoi il juge excessif le débat actuel sur la baisse des prix.
Craignez-vous que le Vieux Continent tombe dans une spirale déflationniste à la japonaise ?
Les prix augmentent peu, d'abord parce que l'arbitrage de Phillips, entre l'inflation et le chômage, fonctionne. Dans cet arbitrage, autant l'inflation n'est pas le moyen de réduire le chômage, autant le chômage freine l'évolution des prix.
En outre, la faible inflation est le fruit positif de notre choix de la concurrence, tant au niveau européen qu'au niveau international. Quant au Japon, on ne comprend pas ce qui s'y passe si on n'intègre pas la composante démographique. Pour un pays, d'importants excédents extérieurs correspondent à un effort significatif d'épargne. L'appréciation du yen et la faible inflation y ont correspondu au souci defavoriser l'épargne face à son vieillissement.
Les chiffres sont inquiétants encore au Portugal et en Grèce, où les prix sont désormais en recul. Que faire si seule une partie de la zone euro tombe en déflation ?
Les prix baissent dans ces pays et on parle de dévaluation interne, barbarisme qui permet de ne pas employer le mot "maudit" de déflation. On retrouve les recettes qui furent celles du XIXe siècle, dont la croissance moyenne fut du même ordre de grandeur que celle du XXe siècle qui préféra à la déflation le couple inflation-dévaluation.
Auparavant, la Grèce ou l'Espagne avaient des taux d'inflation supérieurs aux autres pays, et c'est la correction de cette divergence qui se met en place.
En quoi la situation de la zone euro est-elle différente de celle du Japon des années 1990 ?
La zone euro partage avec le Japon un problème de vieillissement auquel la bonne réponse est de mobiliser le plus d'épargne. L'Allemagne, qui a un fort excédent extérieur, l'a compris. La question est : pourquoi les Allemands préfèrent investir leur épargne en Pologneou en Turquie plutôt qu'en Grèce ou en France ?
En outre, les performances du Japon depuis vingt-cinq ans sont heurtées mais ne sont pas aussi catastrophiques que ce que l'on décrit. Ce qui y est préoccupant, c'est l'accumulation de dette publique. Mais l'Europe, avec l'adoption du nouveau traité sur les financespubliques - le TSCG -, en limitant l'action budgétaire au lissage du cycle a fait preuve de sagacité économique.
La Banque centrale européenne (BCE) a-t-elle réagi de façon adaptée en baissant son taux directeur ? Devrait-elle en faire plus ?
Il ne faut pas tout attendre de la politique monétaire. L'enjeu est deredresser notre croissance potentielle et cela suppose un redressement du niveau des investissements.
Dans un pays comme la France, les prêts à long terme de la BCE aux banques [LTRO] ne feront rien pour des entrepreneurs dont les impôts augmentent sans cesse, dont le taux de marge est durablement installé en dessous de 30 %. Il faut baisser les impôts sur les entreprises pour leur redonner les moyens de leur développement.
N'est-ce pas aussi aux gouvernements de réagir face à un éventuel risque de déflation ?
Les gouvernements doivent se préoccuper de la croissance potentielle. Quand ils se réunissent pour agir sur le chômage des jeunes qui touche 5 millions de moins de 25 ans dans l'Union européenne, alors même que l'Europe vieillit et devrait mobiliser au maximum sa jeunesse, ils sont dans leur rôle. Qu'ils baissent pour y parvenir les dépenses publiques et les impôts sur les entreprises ! La croissance reviendra et plus personne ne se souciera de la déflation.
La politique accommodante de la BCE, et plus encore celle de la Réserve fédérale américaine (Fed), risquent-elles de créer de l'inflation à moyen terme ?
Pour l'instant, la masse monétaire augmente peu. Les banques centrales changent la nature de la monnaie en la transformant de plus en plus en monnaie banque centrale mais elles en ont assez peu changé la quantité. Quoi qu'il en soit, la période Alan Greenspan[président de la Fed de 1987 à 2006] a montré la nocivité des politiques monétaires outrancièrement expansionnistes.
En outre, les bas taux d'intérêt permettent aux Etats de se financer à bon compte et de retarder les ajustements indispensables dans leur politique budgétaire.
Quels sont les dangers que font courir les politiques monétaires non conventionnelles ?
Je pense de fait que ces politiques, au nom de la menace de déflation, préparent la crise de demain. Il faudrait remettre de l'ordre dans les systèmes bancaires, en partant d'une idée simple que la banque est une activité commerciale et qu'en tant que telle, elle doit être soumise à la sanction de la faillite en cas d'échec et de pertes accumulées.
Le "too big to fail", [trop gros pour être mis en faillite] qui garantit l'impunité aux banques est en train de transformer les banques centrales en des sortes de "bad bank" de l'irresponsabilité des années Greenspan. Cela atteint ses limites.
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