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mercredi 2 octobre 2013

Démocraties sans ligne rouge

Démocraties sans ligne rouge


« Fermé. » C'est ce qu'on pouvait lire, hier, sur les grilles du Memorial Lincoln, à Washington. Impossible de venir rendre hommage à un des pères de la nation américaine. Motif ? Tous les parcs nationaux sont fermés en raison du fameux Shutdown, la « fermeture » du gouvernement fédéral.
Dommage. Dans son film sur Abraham Lincoln, l'an dernier, Steven Spielberg nous avait montré un curieux mais instructif principe politique. Pour obtenir, de haute lutte, le vote du Congrès pour abolir l'esclavage, Lincoln ne négligea aucun moyen, pas même la corruption d'élus, pour arriver à ses fins. Morale : c'est grâce aux pires compromissions, mais au nom d'un intérêt supérieur, que le Congrès américain put, in fine, écrire une des pages les plus nobles de son histoire.
Pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui à Washington, il faut tout simplement renverser ce théorème. En refusant le moindre compromis avec la Maison-Blanche, les élus républicains ont d'abord servi un intérêt particulier. Celui de leur propre reconduction, l'an prochain, lors des élections de mi-mandat. La bataille des primaires à droite s'annonce si féroce dans de nombreuses circonscriptions acquises aux républicains, que les positions se radicalisent.
L'angélisme, bien sûr, n'est pas, et n'a jamais été, le bien le plus répandu sous la coupole du Congrès. Et les républicains ont des raisons de contester la politique d'Obama. Des raisons de fond. Des raisons de forme. Tout le monde prend acte, d'ailleurs, de la faiblesse de l'actuelle administration.
Mais le clash de lundi soir n'est pas tout à fait comme les autres. Dans un contexte de crise, il va d'abord avoir un coût. Près d'un point de croissance d'ici à Noël, disent les économistes. C'est beaucoup, au sortir de plusieurs années noires.
Paralysie chronique
Surtout, il confirme la paralysie désormais chronique dont souffre la démocratie américaine. On l'a constaté, l'an dernier, sur le budget. Comme si les intérêts partisans n'avaient plus de frein. Comme si la culture institutionnelle, le respect des institutions au-dessus et au-delà des partis, n'avait plus de voix. Plus de place. Plus de passeurs, d'un camp à l'autre.
L'Amérique n'est pas le seul théâtre où la démocratie met en scène ce type de dérive partisane. L'Italie, depuis samedi, en offre une autre grande illustration. Un homme, Berlusconi, dicte à des élus de la Nation ce qu'ils doivent faire pour endiguer sa disgrâce. Et ils le font !
Comme si la culture du calcul politique ne connaissait plus aucun barrage. Sous la pression des extrémistes du Tea Party, l'élu républicain de base tire la barque encore plus à droite. Et comme l'évaluation de ces calculs est désormais objet des analyses médiatiques, sur la place publique, le frein de la notoriété n'existe même plus.
Difficile de ne pas voir, au-delà de la droite américaine, une crise plus structurelle de nos fonctionnements démocratiques. À trop plaquer la démocratie sur le seul exercice comptable du vote, ou sur la mécanique institutionnelle des poids et contrepoids, on a perdu de vue la nécessité d'une ligne rouge. Non pas celle qu'un camp impose à un autre camp, ou qu'une élection inflige au sortant. Mais la ligne rouge qu'un élu (et avec lui chaque électeur) s'impose à lui-même pour ne pas miner la hiérarchie des intérêts. La grande question éthique n'est pas théorique. Depuis hier, en butant sur les grilles du Memorial Lincoln, on la touche des deux mains.
Laurent Marchand

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