TOUT EST DIT

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mardi 10 septembre 2013

Syrie : François Hollande peut-il sortir du piège de l'intervention ?


Exception dans un monde qui rechigne de plus en plus à intervenir en Syrie, François Hollande semble s'obstiner. Pourquoi ?
Aujourd’hui, suite aux preuves dont le gouvernement disposerait sur la responsabilité de Bachar El-Assad dans les attaques à l’arme chimique survenues le 21 août dont ont été les cibles trois faubourgs à l’ouest de Damas, le débat fait rage en France sur l’opportunité d’intervenir ou non militairement en Syrie. Contrairement au Mali, où un large consensus fut obtenu pour l’intervention lancée, la classe politique Française semble cette fois-ci très divisée à droite comme à gauche et l’opinion publique est à 68 % hostile à toute forme d’intervention militaire.
Alors que le Parlement Britannique, par son refus de s’associer à une action militaire a infligé un vrai revers à Cameron, et qu’Obama a préféré solliciter d’abord le feu vert du Congrès et du Sénat avant de lancer une quelconque opération, quelles motivations poussent le Président Français à persévérer tout seul dans l’affirmation de sa détermination à punir le régime en place. Au-delà des intérêts dits ou cachés ou des arguments brandis, justifiés ou non, se trouve-t-il piégé par… lui-même ? De quoi s’agit-il ?

Les pièges de la décision

Suite à la mise en attente par une standardiste, fusse-t-elle accompagnée d’une belle musique, qui n’a pas été confronté au dilemme suivant : est-il temps que je raccroche mon téléphone ou dois-je continuer à patienter ? La prise de conscience du coût en temps perdu, doublée de l’espoir que cette attente devrait bientôt s’achever, pousse à persister dans celle-ci augmentant, du même coup, le coût déjà supporté.

Et cet étudiant ayant choisi une filière qui découvre rapidement qu’elle ne correspond aucunement à ses attentes, va-t-il décider, comme le bon sens le supposerait, d’interrompre les études entreprises ou va-t-il, sous prétexte d’être « quelqu’un qui va toujours au bout de ce qu’il entreprend » ou pour satisfaire à une exigence parentale, les poursuivre jusqu’à leur terme, quitte d’ailleurs ensuite à se réorienter dans une autre direction ?
Dans ces deux exemples, la personne est confrontée à un piège classique de la prise de décision qui s’intitule : « Je me suis trop engagé pour faire machine arrière ». Si je raccroche ou si je change de cursus en cours de route, la prise de conscience que tout le temps déjà consacré l’aura été pour rien, pousse à persévérer dans une direction qui, en définitive, accroît le coût dont je me plains. Ils relèvent tous d’un même processus d’adhésion des personnes à leurs décisions dans le seul besoin d’attester du bien-fondé de celles initialement prises et d’en affirmer le caractère rationnel.
Les choix politiques n’échappent malheureusement pas à la règle. Qu’il s’agisse de grands travaux (le concorde, les abattoirs de la Villette et bien d’autres) ou du déclenchement d’une guerre (Vietnam pour les américains, Afghanistan pour les Russes), le piège de l’engrenage est tout aussi enfermant pour les décisionnaires. Quand les prévisions budgétaires pour achever tel ou tel projet sont largement dépassées ou quand le nombre des victimes atteint des sommets intolérables, face aux voix qui s’élèvent afin d’arrêter la gabegie ou de stopper l’enlisement militaire, d’autres voix vont, sous prétexte que l’argent déjà dépensé ou les lourdes pertes en soldats et en matériel déjà subies l’auront été pour rien, réclamer d’accorder les rallonges budgétaires nécessaires et d’engager davantage les armées dans la guerre.
Si le politique persiste, ce n’est pas simplement par consistance comportementale (montrer qu’il est fiable, ce qui en soi est louable), mais parce qu’il s’était engagé à le faire. Les chercheurs en psychologie sociale* ont mis au jour, qu’après avoir pris une décision, qu’elle soit justifiée ou pas, « les gens ont tendance à persévérer dans un cours d’action, même lorsque celui-ci devient déraisonnablement coûteux et ne permet plus d’atteindre les objectifs fixés ». Ceci devient plus vrai encore quand les décisions s’accompagnent d’un sentiment de liberté c’est-à-dire que les personnes ont le sentiment d’avoir elles-mêmes librement décidé du comportement à tenir. Ces chercheurs parlent alors de « soumission librement consentie ».

Intervenir, mais pour quels intérêts ?

Les responsables français doivent, avant de décider d’une intervention punitive et dissuasive, faire une analyse exhaustive des intérêts de notre pays. Quels sont les intérêts que la France voudrait défendre relativement à la crise internationale qui se joue depuis deux ans en Syrie et qui a déjà provoqué plus de 110.000 morts et autres destructions matérielles de sites et de villes ?
Les intérêts avancés pour justifier une intervention Française sont les suivants :
1- Faire respecter la convention sur l’interdiction des armes chimiques signée par tous les pays de la planète, sauf 5 dont la Syrie, et ne pas créer de précédent d’un recours à ces armes sans sanctions. C’est la fameuse « ligne rouge » à ne pas franchir sous peine de sévères représailles définie par Obama. En effet, cette violation donnerait un signe négatif encourageant à d’autres pays tentés à leur tour de s’en servir ou au pouvoir syrien, s’il est prouvé qu’il l’a fait, de recommencer.
2- Protéger les populations civiles et empêcher le massacre d’innocents au nom des valeurs de défense des droits de l’homme.
3- Bénéficier d’éventuelles promesses de contrats d’armements futurs de la part des deux protagonistes arabes qui sont en faveur d’une intervention militaire mais qui préfèrent la voir conduite par d’autres pays qu’eux, l’Arabie Saoudite et le Qatar.
Il n’y a en Syrie aucun autre des intérêts classiques de la France : contenir les terroristes de Al Qaïda, défendre la sécurité d’Israël, sécuriser ses approvisionnement en pétrole.
Les Intérêts pour ne pas intervenir
1- Risquer de trop affaiblir le pouvoir en place et voir les fondamentalistes islamistes renverser le régime et établir une république islamique. Sur ce plan, il s’agit d’un intérêt divergent avec les États-Unis qui veulent faire tomber Assad pour priver l’Iran d’un allié. Alors qu’il s’agit d’un intérêt convergent avec la Russie qui redoute l’extension de l’islamisme.
2- Protéger les minorités notamment chrétiennes. Les exemples des Chrétiens massacrés en Irak et en Égypte après la chute des dirigeants en place, sont encore présents dans les esprits.
3- Ne pas mettre en danger les forces Françaises stationnées au Liban et menacer gravement la cohabitation, déjà au plus mal, dans ce pays.
A partir de cette analyse, nos décisionnaires doivent définir l’objectif qu’ils poursuivent pour satisfaire les intérêts bien compris de la France. Ensuite, comme tout bon stratège, ils doivent, avant d’agir, définir et évaluer toutes les options qui sont à leur disposition pour mettre fin au bain de sang et aux destructions.
Dans le cas de la Syrie, il y en a cinq :
1-      L’inaction, humainement inacceptable face au nombre de victimes qu’on dénombre chaque jour depuis deux ans.
2-      Intervention militaire lourde destinée à provoquer la chute du régime Assad. Elle  recueille peu d’adhésion dans les opinions publiques.
3-       Intervention « limitée » sous forme de frappes punitives sur des cibles désignées (stocks d’armes chimiques, bases aériennes) dont l’efficacité dissuasive n’a pas été démontrée par le passé.
4-       Armement des rebelles (à condition de bien choisir lesquels) avec le risque de favoriser les radicaux islamistes et une alternative pire que le pouvoir actuel. Toutes les informations semblent indiquer que les États-Unis et la France le font déjà.
5-       Il en reste une, que beaucoup jugeront peut être comme naïve, que peu de voix portent, qui a été envisagée puis repoussée : recourir plus que jamais à la diplomatie tous azimut avec un autre type d’armes, la négociation à partir des intérêts de tous les acteurs. Elle devrait favoriser une alternative politique avec une période transitoire permettant l’émergence d’une opposition représentative capable d’endosser les habits du pouvoir. Elle avait achoppé à cause du préalable posé par la France et les États-Unis exigeant l’exclusion d’Assad de la négociation et provoquant ainsi une crispation de ses positions et une désolidarisation de la Russie.

Chat échaudé craint l’eau froide

Les options 2 et 3 pour acquérir une légitimité doivent normalement se faire sur la base juridique d’une résolution de l’ONU. Or, cette voie était perdue d’avance. Pourquoi ?
Un proverbe oriental dit : « la corde du mensonge est courte ».
Les Russes ont eu le sentiment de s’être fait avoir quand ils s’étaient ralliés il y a deux ans à une motion favorable à une intervention aérienne en Libye. En effet, à aucun moment il n’était question de renverser Khadafi (ce n’est pas qu’il ne le méritait pas) mais uniquement de protection des populations civiles. Et pourtant, une fois l’action déclenchée, et dès que l’objectif initial fut atteint, les forces de la coalition occidentale emmenées par la France ont sur leur lancée élargi leur objectif à celui d’abattre le dictateur.

Les Russes ont ainsi été victimes d’une technique de manipulation bien répertoriée, « le pied-dans-la-porte » qui consiste à obtenir d’abord l’accord pour une petite chose avant de demander un service plus grand. Du coup, les portes d’une résolution à l’ONU sans veto Russe, même pour des frappes limitées, étaient cette fois définitivement closes. Le manipulé a de la mémoire, et on ne lui fait pas deux fois le même coup.
Quant aux sondages, pourquoi montrent-ils des opinions publiques non seulement en France mais surtout en GB et aux EU, hostiles à toute intervention militaire et réclamant avant tout la publication des preuves des experts de l’ONU ?
Hormis la crise économique dont ils souffrent et les coûts pour leurs pays qu’ils anticipent, c’est le précédent Irakien qui ici a joué à fond. Rappelez-vous, des soi-disant preuves brandies par Colin Powell agitant une fiole contenant de l’anthrax lors d’une réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU en janvier 2003. Le mensonge ayant été depuis avéré sur l’ensemble des arguments avancés par Bush pour justifier la guerre lancée en Irak – détention d’armes de destruction massive (on les cherche encore), soutien aux terroristes (Saddam Hussein était l’ennemi juré de al-Quaïda), soustraire un peuple à un tyran (combien d’attentats et de morts depuis qu’il a été écarté) et instaurer la démocratie (demander au peuple Irakien s’il se sent plus libre)- la crainte de se faire une fois de plus manipulé sème le doute et la suspicion.

La France peut elle encore éviter le piège en privilégiant une solution politique ?

Les chercheurs qui ont théorisé les pièges de la décision recommandent, pour éviter de tomber dans l’engrenage, que ça ne soit pas la même personne qui prenne une décision et qui en évalue les effets en vue de son éventuelle reconduction. Tout le monde le dit, la Syrie, ce n’est pas le Mali.
Dès lors, n’est-il pas dommage que le Gouvernement n’ait pas opté exceptionnellement de recourir au vote du parlement pour se donner une voie de sortie honorable de l’engagement d’intervenir qu’il s’était empressé de prendre ? Il aurait évité de se retrouver piégé tout seul dans une intervention dont on peut se poser la question de son adéquation et sa pertinence par rapport aux intérêts bien compris de la France.  Car la diplomatie qui veut modifier les réalités du terrain, sauf à être utopique, ne peut être guidée uniquement sur des considérations morales relatives aux Droits de l’Homme. La France ne peut de surcroît se permettre d’être la seule à les porter même si, pour exister sur la scène internationale, la seule frappe dont elle dispose, vu son rang sur le plan économique qui recule année après année, est désormais d’ordre politique.
Il est vrai qu’en Syrie comme ailleurs au Proche Orient, il n’y a pas d’un côté les bons et de l’autre, les méchants. La multiplicité des puissances régionales (Israël, Iran, Turquie, Arabie Saoudite, Qatar) et internationales (Russie, Chine, États-Unis) qui interfèrent pour faire avancer leurs intérêts propres, oh ! combien contradictoires, rendent la situation, et donc sa résolution, toujours plus complexe et le terrain plus miné qu’on veut bien le dire.
Dès lors, s’il apparaît que la guerre n’est pas la solution, la diplomatie devient la voie. Ce ne sont pas les émotions, fussent-elles plus qu’appropriées, qui règlent les affaires internationales. C’est la capacité, en fonction d’un rapport de forces donné, à concilier les intérêts contradictoires et multiples. Compte tenu de la détérioration des relations entre Russes et Américains, la France pourrait être en pointe sur le plan d’une solution diplomatique négociée en favorisant la prise en compte des intérêts des Russes en Syrie :
1- Commerciaux : préserver leur client en armes le plus important ;
2- Militaires : protéger leur base navale à Tartous ;
3- Économiques : barrer la route à la concurrence potentielle du Qatar qui projette, en passant par la Syrie, de fournir l’Europe en gaz ;
4- Politiques : freiner l’extension de l’islamisme et ne pas à leur tour risquer d’être accusés de non respect des droits de l’homme en Tchétchénie ou ailleurs.

En conclusion

Il ne s’agit aucunement d’être naïf en niant le caractère répressif ou violent du régime syrien. Il s’agit encore moins de ne pas être conscient, que dans la « nouvelle guerre froide » que se livrent la Russie et les États-Unis, Poutine cherche à engranger des avantages tactiques face à Obama. Mais le dialogue et la coopération internationale pour régler les crises doivent inlassablement être poursuivis et tentés.
Avec sa lettre au président du G20 pour promouvoir une solution pacifique grâce à une conférence de paix pour la Syrie, l’appel du Pape François a-t-il une petite chance d’être entendu sans hâtivement être repoussé comme le soutien à un dictateur ?
Et vous, si vous étiez à la place de Hollande, quelle serait votre décision ?
*Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, par Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, éd. PUG.




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