TOUT EST DIT

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dimanche 8 septembre 2013

Syrie. Comment l’intox républicaine se joue des chiffres

Les jours passent et l’angoisse syrienne est loin de diminuer. On croyait finir par s’habituer aux lâches versatilités des autorités actuelles françaises, mannequins d’une politique qui se joue bien au-delà de l’Atlantique. C’est peine perdue.

Ce tumulte vaniteux des peuples n’est pas sans rappeler les prophéties d’Isaïe dont l’un des oracles clamait ceci : Voici, Damas ne sera plus une ville. Elle ne sera qu’un monceau de ruines. Les villes d’Aroër sont abandonnées (…). C’en est fait de la forteresse d’Ephraïm, Et du royaume de Damas, et de la Syrie : Il en sera comme de la gloire des enfants d’Israël, Dit l’Eternel des armées. En ce jour, la gloire de Jacob sera affaiblie, Et la graisse de sa chair s’évanouira (…). Oh ! Quelle rumeur de peuples nombreux ! Ils mugissent comme mugit la mer. Quel tumulte des nations ! Elles grondent comme grondent les eaux puissantes (…). Quand vient le soir, voici, c’est une ruine soudaine ; Avant le matin, ils ne sont plus ! Voilà le partage de ceux qui nous dépouillent, Le sort de ceux qui nous pillent » (Isaïe, 17).
Je ponctue ici cette citation du prophète pour me demander, une fois de plus, jusqu’où le déraisonnement de la coalition anti-syrienne pourrait bien aller, jusqu’où, en principe, le mensonge peut aller quand la majeure partie de ceux qu’on essaye de tromper de la façon la plus effrontée se savent leurrés.
Les chiffres sont peut-être d’une éloquence on ne peut plus plate du moment qu’on se dispense de les interpréter sous un angle profitable aux médias mainstream. C’est ainsi que M. Jérôme Fourquet, Directeur du Département Opinion et Stratégie d’Entreprise de l’IFOP, explique le clivage social des opinions quant à une éventuelle frappe contre Damas par le niveau d’études des sondés, estimant que les mal instruits (car le contexte est bien celui-ci) sont excessivement focalisés sur leurs difficultés sociales et le bien-être matériel de toute une société qui risquerait de se retrouver sous le coup. Aucun sens des valeurs démocratiques chez eux. Côté clivage politique, le Front National se prononce contre l’ingérence française en Syrie parce que l’extrême-droite a toujours été hostile à l’envoi des troupes françaises en terre étrangère. Merveilleux ! M. Fourquet, aurait-il oublié que Mme. Le Pen avait applaudi notre engagement au Mali au nom de la France, au nom du peuple malien, en proie aux hordes islamistes et aux tribus touaregs enfin menues de renforts ? Les termes choisis dans l’exposé sont eux aussi tendancieux puisque, peut-on lire, les Français seront forcément plus nombreux à rejoindre la cause de l’Etat par « réflexe patriotique » (Flag effect ou effet du drapeau) comme ce fut le cas à l’époque de l’intervention libyenne où les avis favorables sont passés de 30 % avant le début de la campagne à 66 % une fois celle-ci entamée. Or, si ce chiffre a en effet doublé, M. Fourquet préfère expliciter la nature du phénomène par un simple réflexe (condescendance avérée à l’égard des masses amoindrissant leur degré de responsabilité consciente) plutôt que par la désinformation croissante des médias après les premières frappes en Lybie, désinformation crédible pour qui ignorait les véritables motifs du gouvernement Sarkozy.
Bref, l’intox fait parler les chiffres nous gavant de jugements aussi dénigrants vis-à-vis des Français eux-mêmes que partiaux. M. Greffe Louis-Benoît, journaliste indépendant, nous donne son appréciation de la longue campagne de désinformation menée par le gouvernement français et ses médias féaux.
La VdlR. « M. Greffe, je viens de prendre connaissance du compte-rendu de M. Jérôme Fourquet (IFOP). Selon lui, l’analyse des ventilations du sondage fait ressortir des clivages de deux ordres. Tout d’abord, il relève un clivage sociologique reflétant la part de conscience des cadres supérieurs (51 % se prononcent pour une ingérence en Syrie) et le désintéressement presque coupable des classes ouvrières (seules 37 % d’entre elles approuvent la politique syrienne de M. Hollande), car cette catégorie très terre-à-terre perçoit la libération du peuple syrien « comme une dépense de moyens et d’énergie injustifiée alors que le chômage et la dégradation du pouvoir d’achat sévissent ». Est-ce que vous rejoignez M. Fourquet dans ses explications ? Ce clivage qu’il évoque est vraiment ce qu’il est à l’image des chiffres présentés ?
Louis-Benoît Greffe. Les explications de M. Fourquet sont liées à un contexte politique assez particulier. Cela fait quand même deux ans en France que les médias français font la promotion, voire la propagande honteuse et injustifiée d’une intervention en Syrie. Un autre aspect est à relever. En général, la population française est partagée entre deux réactions assez typiques ces derniers temps : d’une part, la Syrie, mais quel Bachar ?!, de l’autre, en parallèle, pourquoi aller mourir pour Damas ? On a déjà eu le Mali, on a déjà eu l’Afghanistan, ça suffit. Etant donné qu’il existe un bon proverbe français qui s’y applique, ventre affamé n’a pas d’oreilles, en l’occurrence, c’est bel et bien le cas. Le pays est en crise, on ferme une usine par jour, le pouvoir, quel qu’il soit, droite ou gauche, ne sait pas comment pallier la crise. On est à la remorque de l’UE et de l’Amérique et là, au surplus, on nous colle la Syrie. On en est réduit à une situation où une partie de notre armée qui est au Mali n’a plus de quoi assurer son ordinaire et doit échanger ses rations sèches contre des munitions, des vêtements et de la nourriture auprès des populations civiles maliennes qu’ont est censées aider. C’est merveilleux, on est à la remorque des Maliens.
La VdlR. Mais à quoi songe M. Hollande à ce moment-là ? Serait-il schizophrène ?
M. Louis-Benoît Greffe. M. Hollande n’a pas le sens des priorités mais cette tendance est celle des gouvernements qui savent très bien qu’ils ne peuvent pas répondre à la crise sans entreprendre de grandes démarches pour lesquelles ils ne sont tout simplement pas taillés, notamment, remettre à plat tout le système des taxes et des aides à l’entreprise ! On donne 200 milliards d’euros aux entreprises chaque année, si on additionne toutes les aides données par l’ensemble des collectivités locales (merci au « mille-feuilles » territorial), ce qui fait des entreprises françaises un secteur presque entièrement subventionné. C’est le cas pour certaines entreprises. D’autres au contraire se retrouvent complètement abandonnées. On a un pays où il y a une foultitude de choses à mettre à plat et un gouvernement qui n’est pas fait pour. Du coup, on opte pour des aspects sociaux qui ne sont en aucun cas prioritaires comme le mariage gay, par exemple. Alors pendant qu’on en parle ou qu’on parle d’intervenir en Syrie, l’ensemble des sujets cruciaux mis de côté demeurent occultés. Les Français en ont parfaitement conscience tout comme ils comprennent très bien qu’il y a une forte manipulation médiatique autour de la Syrie. Ils le comprennent d’autant mieux qu’une grande partie des Français, notamment jeunes et même d’ailleurs la génération des 30-40 ans, ne lisent plus la presse quotidienne, regardent peu la télé et quand bien même ils la regardent, c’est pour voir ce qui se passe et non pas pour le comprendre. Pour avoir un peu plus de compréhension, ils vont consulter des sites spécialisés, ils vont lire les médias sur internet, surtout que quelqu’un uns d’entre eux sont indépendants et connus comme tels, quoique même ces derniers – comme Canard enchaîné ou Mediapart – se montrent plutôt pro-bellicistes par rapport à la Syrie. Il n’y a que Rivarol qui est parfaitement indépendant, proche des idées de l’extrême droite et contre l’ingérence. Il y a donc plus de diversité sur internet, or, c’est elle qui est recherchée.
La VdlR. Côté clivage politique, on relève que jamais les partis n’ont été à ce point divisés sur la question de l’intervention. Par exemple, comment expliquer cet éclatement au sein même de ce parti à l’époque va-t-en guerre qu’est l’UMP ? N’y aurait-il pas un certain essoufflement de leur bellicisme suite aux effets secondaires de la Libye tel que la campagne malienne ?
Louis-Benoît Greffe. Il y a en effet un sentiment d’essoufflement au cœur de l’UMP et puis, il faut garder en vue que ce parti est coincé dans l’image que s’est forgé le sarkozysme car le bilan du mandat UMP sous Sarkozy a été assez catastrophique pour la France, bilan qui explique assez bien la situation économique actuelle et les difficultés dans lesquelles se débat François Hollande, car on ne peut pas mettre tous les malheurs du pays sur le dos des socialistes. Par ailleurs, Sarkozy a lui aussi demandé à ce qu’il y ait une intervention en Syrie en se basant sur son exemple libyen. Le problème, c’est que même avec l’immense autocensure qui régit la presse, les informations qui ont été diffusées par les médias russes il y a presque deux ans et même, un peu plus tardivement par quelques médias indépendants en France il y a un an et demie-un an, commencent à gagner la presse nationale. J’ai récemment trouvé dans des médias comme Le Monde que la Libye après l’intervention sarkozyste devait être ramassée à la petite cuillère. Il n’y a plus une Libye, il y a des régions qui se font la guerre, un état central qui n’arrive pas à rattraper tout le reste, qui n’arrive pas à intégrer les miliciens, l’arsenal libyen est parti à travers toute l’Afrique, enfin, bref, on a abouti au désordre le plus complet. L’UMP en a conscience. Cet aspect retient bien les catégories « instruites » qui ignorent ce qui va se passer à la longue si on rentre en Syrie. Si la Syrie est à ramasser à la petite cuillère, c’est le chaos dans tout le Moyen-Orient. Il y a donc une conscience assez pointue du fait que la Syrie, c’est un peu la Yougoslavie du XXIème siècle.
La VdlR. Y-a-t-il en ce moment une recrudescence des mouvements de protestation en France ? Quid de la Bretagne où vous vous trouvez ? Quelle est la réaction du gouvernement à ces mouvements ?
Louis-Benoît Greffe. Le gouvernement ne tient compte de rien. Cela fait environ neuf mois qu’il y a des protestations contre le mariage gay avec un million de manifestants hostiles à la loi Taubira. Les ministres, dès qu’ils se rendent quelque part, se font bien souvent accueillir par des huées. Malgré cela, le gouvernement persiste à ne pas vouloir prêter l’oreille à son peuple. Je ne vois donc pas pourquoi le gouvernement écouterait ses citoyens au niveau de la Syrie quand il s’est gardé de le faire avec l’adoption de la loi sur le mariage pour tous, de la PMA et du reste. Cela dit, il n’y a pas vraiment de grands mouvements de protestation rassemblant des milliers de personnes. Il y a eu en revanche des manifestations à l’appel de l’organisation de gauche, notamment de la CGT, d’une partie des Verts qui refuse cette intervention ne voulant pas être à la remorque du gouvernement. Ces manifs restent cependant très locales. Il y a en outre une autre manif, bien plus importante, qui est prévue le 7 septembre à l’appel du Printemps Français et de l’Action Française, place Dauphine à Paris. Par contre, il faut remarquer une chose que j’ai pue récemment constater, Jean-Marc Ayrault étant venu à Orléans. Il y avait la CGT. Entre autres. Celle-ci donnait à qui lui semblait bon sa pétition à signer contre la guerre en Syrie. Il y a aussi trois sites d’information catholiques, la Riposte catholique, l’Observatoire de la christianophobieet le Salon Beige qui ont lancé leurs propres pétitions. Il y a en fait pas mal de pétitions qui circulent en général et on peut dire que dans la réalité – je ne veux pas dire dans le monde politique de Paris qui vit de façon assez déconnectée de la France – même parmi les gens et les mouvements qui sont politisés, il n’y a pas vraiment de clivage. De l’extrême-gauche à l’extrême-droite, on relève une certaine méfiance, si ce n’est un refus complet, de l’intervention en Syrie, soit parce qu’ils sont formellement contre toute intervention quelle qu’elle soit (ce qui est la cas d’une certaine partie de la droite ou des classes populaires), soit parce qu’ils ne veulent pas intervenir en Syrie dans ces conditions-là, estimant comme les républicains américains que les conditions récoltées ne sont pas suffisantes ou que le processus va trop vite »
Le tumulte de nos gouvernements fait pendant à leur état de délire incurable. Les USA échappent au diagnostic dans la mesure où, se croyant loin des événements et par conséquent invincibles, ils ont leur propre vision du remodelage moyen-oriental. Le seul problème, c’est qu’Israël payera l’addition au même titre, à terme, que les puissances occidentales. La France, vassalisée, espère récolter les quelques miettes que lui laissera peut-être Washington. Et même à supposer qu’elle festoiera à ses côtés … le prix, en vaut-il la peine ?

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