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samedi 17 août 2013

Pourquoi Manuel Valls a "torpillé" Christiane Taubira

Pourquoi Manuel Valls a "torpillé" Christiane Taubira


La politique est souvent mensonge. Il y a différentes formes de mensonge. L'entourloupe est l'une d'elles. La polémique Taubira-Valls en fournit l'exemple. Elle est une sorte de leurre. Un simple psychodrame qui se joue entre une femme caractérielle, attachante et totalement dévouée à ses convictions idéologiques, un jeune ministre pragmatique, au caractère bien trempé et terriblement ambitieux, et le président de la République, un homme malin qui gouverne au doigt mouillé. 

Clash inévitable 

Parmi les réformes promises par François Hollande figurait celle de la procédure pénale. Elle était indispensable. La justice et la sécurité étant des sujets majeurs de clivage entre la gauche et la droite, il fallait pour répondre à l'attente des familles de gauche que la nouvelle loi pénale s'inscrivît résolument en rupture avec l'esprit répressif dont on accusait la droite. Christiane Taubira, renommée pour sa générosité humaniste, serait l'artisan idéal des nouveaux textes. On minimisa le risque. C'est ainsi que la garde des Sceaux confia l'élaboration du projet à une "conférence du consensus" composée d'experts de sensibilité homogène. On négligea le principe élémentaire d'une large concertation démocratique, grave erreur s'agissant d'un sujet particulièrement sensible à l'opinion, justement au moment où l'on assistait à une recrudescence de la délinquance. Et enfin on oublia Manuel Valls, lui-même, sa fonction, sa culture et celle de la police dont il est le chef, son éthique de l'autorité, son crédit politique et surtout sa popularité, telle qu'une très grande majorité de Français se reconnaît en lui concernant le problème en cause. 
Le clash était inévitable. Qu'on en juge : Valls met lui-même en cause "la quasi-totalité des dispositions de ce texte". Valls veut des prisons, Taubira n'en veut pas. Taubira veut supprimer les peines planchers, Valls ne veut pas. Valls est pour une exécution ferme des peines de prison, même les plus courtes, Taubira dit que la prison doit être une exception pour les délinquants condamnés à une courte peine. Taubira veut accompagner les récidivistes condamnés, les encadrer, Valls veut les enfermer. Etc, etc. Et Jean-Marc Ayrault appelle cela "de simples divergences d'appréciation" ! On est, dit-il, "dans une phase normale d'échange préalable aux arbitrages". C'est nous prendre pour des imbéciles. 

Torpiller le projet Taubira

Nous, nous appelons cela un désordre grave. Cette profonde mésentente entre deux ministres importants du gouvernement sur un sujet qui les concerne directement est un nouveau signe de la fracture idéologique qui divise la gauche et qui, comme un péché originel, marquera jusqu'au bout le sort de l'actuelle majorité. Il fallait une parade à la menace que représente la prochaine mise au point définitive du projet Taubira et l'ouverture du processus parlementaire et des débats qu'elle va entraîner. Déjà on avait reculé ces échéances. Le risque approchait d'un déballage qui aurait ébranlé la majorité elle-même. Ce n'était pas seulement l'intérêt de Valls qui était en cause, mais bien celui du gouvernement et surtout celui de François Hollande. Il fallait donc, avant qu'il ne fût trop tard, torpiller le projet Taubira, qui allait bien au-delà de ce que souhaitait le président de la République, bien au-delà de ses propres convictions, pour autant qu'on sache ce que sont au juste ses convictions, en la matière comme en d'autres. 
Torpiller le projet Taubira, c'était faire en sorte qu'il soit ajourné. Eh bien, c'est fait. La lettre privée-publique du ministre de l'Intérieur au président de la République a été l'instrument de cette manoeuvre. De là à imaginer que l'auteur et le destinataire de cette missive assassine aient été de mèche, pourquoi pas, l'hypothèse n'est pas insensée. Quoi qu'il en soit, ils sont débarrassés pour un temps de cette ministre encombrante et de son projet sulfureux. On verra cela après les municipales, puisqu'il semble acquis que le texte de la réforme ne sera pas présenté au Parlement avant un an. D'ici là, bien des choses peuvent se passer. La réforme attendra donc. Elle ne sera pas la seule. Et avec elle les progrès en matière de sécurité. 

Défier le président

Qui aura profité de cette opération ? Le ministre de l'Intérieur, de toute évidence. Non seulement il aura neutralisé sa collègue de la Justice, mais il s'est offert le luxe de défier le président de la République. En lui demandant "une clarification de nos orientations politiques", il renverse en sa propre faveur le rapport de forces qui le lie à lui. En échange, il l'exonère pour un temps du souci de trancher publiquement entre deux options idéologiques. Il le dispense d'un acte d'autorité ! La chose est assez savoureuse, si l'on sait que Valls chevauche volontiers depuis un certain temps le thème de l'autorité. 
Le 29 juillet dernier, il donnait au journal Le Parisien une interview publiée sous le titre : "Il faut restaurer pleinement l'autorité". "Nous vivons, disait-il, une crise de l'autorité." Il ne rapportait pas seulement son propos à la justice et à la police, mais il l'élargissait à la famille, à l'école... et à la politique. Ainsi le ministre de l'Intérieur se pose-t-il résolument en champion de la valeur première qui fait depuis trop longtemps défaut non seulement à notre système politique, mais à notre organisation sociale. On ne lui donnera pas tort. Il y avait une droite qui se voulait décomplexée. Il y a désormais une gauche décomplexée. On souhaite bon courage à Manuel Valls. Il a contre lui l'esprit du temps, où se mêlent la légèreté, la lâcheté, la mode, le relativisme, la compassion... Ses pires ennemis sont dans son camp.

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