mardi 30 juillet 2013
Publicis et Omnicom se marient: une mega-fusion qui pose des questions
Nom de code: opération " Color ". Le projet de fusion dévoilé ce week-end entre le groupe français Publicis et l'américain Omnicom a fait l'objet d'une préparation secrète pendant six mois par une équipe réduite de moins de 10 personnes. Il s'agit en effet rien moins que de créer le nouveau n°1 mondial de la publicité. Mais cette opération particulièrement complexe pose de nombreuses questions.
L'objectif affiché est de grossir suffisamment pour pouvoir discuter d'égal à égal avec "les géants du net" comme l'explique Maurice Lévy, le patron de Publicis, dans un entretien au Figaro. Selon lui, cette course à la taille est en effet " imposée " par les entreprises du web "qui bénéficient d'une croissance exponentielle et qui disposent de trésor de guerre pour faire de grandes acquisitions". Et de conclure: "le risque, dans ce contexte, c'est que les agences de communication soient marginalisées". Une analyse confortée par la banque d'affaires Morgan Stanley : "Le nouveau groupe aura du poids dans les marchés émergents et le marketing digital, et constituera une alternative forte face aux géants digitaux tels Facebook ou Google", souligne-t-elle.
Un mouvement de concentration est d'ailleurs engagé dans l'ensemble du secteur publicitaire, avec le rachat récent du britannique Aegis par le japonais Dentsu. Une consolidation que Martin Sorrell, le PDG de WPP, l'actuel n°1 mondial, juge "inévitable", annonçant déjà être à l'affut "de nouvelles opportunités". Cette course à la taille ne convainc toutefois pas tout le monde. Le patron d'Havas, David Jones, pourfend ce qu'il appelle une stratégie de "walmartisation". "Aujourd'hui les clients nous veulent plus rapides, plus agiles et avec un esprit plus entrepreneurial, ils ne nous demandent pas d'être plus gros, plus bureaucratiques et complexes", affirme-t-il..
Omnicom est l'actuel n°2 mondial de la publicité avec un chiffre d'affaires de 11,1 milliards d'euros en 2012, dont plus de la moitié aux Etats-Unis. Publicis est le n°2 avec des ventes de 6,6 milliards. Si la fusion aboutit, elle créera un nouveau leader mondial de 17,7 milliards de chiffre d'affaires, soit 5,7 milliards de plus que WPP.
En dépit de tailles différentes, les deux futurs mariés ont des valorisations boursières sensiblement équivalentes. Publicis compense en effet par une rentabilité plus forte : soit une marge opérationnelle de 16,1% contre 12,6% à son partenaire. Au final, la capitalisation cumulée s'élève à 26,5 milliards d'euros.
Chacune des deux parties apportera dans la corbeille des réseaux d'agences publicitaires : Publicis Worldwide, Saatchi & Saatchi, Leo Burnett, côté français ; BBDO, DDB et TBWA côté américain. Et, bien sûr, les budgets de très grandes marques qui vont avec : Nike, LVMH ou Nestlé pour le groupe des Champs-Elysées; Volkswagen, Unilever ou ExxonMobil, pour son partenaire de Madison Avenue.
Au total, le nouveau mastodonte de la pub mondiale emploiera 130.000 personnes, dont 71.000 issus d'Omnicom.
Ni française, ni américaine mais européenne, "puisqu'il aura son siège social à Amsterdam", explique Maurice Lévy au Figaro. Une localisation qui n'aurait pas été choisie pour des raisons fiscales mais par souci de neutralité par rapport à la nationalité d'origine des deux groupes , affirme-t-il. Moyennant quoi, Publicis Omnicom maintiendra deux directions opérationnelles à Paris et New York. Et son titre sera coté sur les places boursières de ces deux villes. Si sa maison-mère est européenne, "Publicis demeure français" martèle donc Maurice Levy.
Il met en avant le fait que les actionnaires de Publicis détiendront 50,3% de la nouvelle entité, traduisant cette idée de "fusion entre égaux". Elisabeth Badinter, la fille de Marcel Bleustein-Blanchet, le fondateur de Publicis dont elle possède 9% du capital, détiendra quant à elle 4,5% de la future entité. Elle-même s'est engagée à conserver ses actions mais la question de l'attitude des autres actionnaires reste posée. Le rapport de force actionnarial pourrait donc évoluer tout comme il est déjà prévu que la gouvernance évolue.
Le groupe Publicis Omnicom Group sera en effet codirigé au départ par Maurice Lévy (71 ans) et John Wren (58 ans). Cependant, au bout de 30 mois, le premier passera les rênes au second, et se contentera d'un rôle de président non exécutif.
Les autorités de la concurrence des différents pays vont bien sûr se pencher sur cette opération qui associe deux des plus grands groupes publicitaires de la planète. Ils se donnent d'ailleurs jusqu'à la fin 2013-début 2014 pour finaliser leur fusion. Selon une note du courtier Oddo Securities, le "seuil critique des complications antitrust se situera autour de parts de marché de l'ordre de 40%", en terme d'achat d'espaces publicitaires. Or c'est effectivement le cas en Chine (44%) et aux Etats-Unis (42%). Cela dit, Oddo estime que les risques antitrusts ne sont pas bloquants et peuvent se résoudre via la cession éventuelle de quelques actifs. Les directions de Publicis et d'Omnicom se veulent d'ailleurs confiantes. "Il y a beaucoup de concurrence" dans le secteur, notamment du fait de l'émergence de nouveaux acteurs comme Google et Facebook, a notamment plaidé M. Wren.
L'opération va unir sous le même toit les budgets com' d'entreprises concurrentes. L'exemple emblématique concerne le secteur du soda avec Coca-Cola géré par Publicis et son rival Pepsi pris en charge par Omnicom via sa filiale BBDO. Les deux fiancés veulent croire qu'ils maîtrisent ce genre de conflit d'intérêt potentiel puisqu'ils se sont constitués par agrégation d'agences indépendantes, lesquelles s'occupent déjà de comptes de marques concurrentes. Reste qu'un tel mariage mutliplie les risques de voir partir des clients. La fusion "est une opportunité pour les groupes de faire le point avec leurs agences afin de renégocier un meilleur contrat, et Publicis Omnicom ne pourra pas tous les gagner, estiment ainsi les analystes de la banque Barclays. Cette situation devrait bénéficier à Havas, Interpublic et WPP, à moins qu'ils ne décident de s'engager dans une fusion à leur tour".
L'opération pourrait permettre aux deux sociétés de dégager des synergies évaluées à 377 millions d'euros à un horizon non précisé. En clair, des doublons de structure seront supprimés. "Je pense que si nous faisons bien notre travail, nous serons probablement créateurs d'emplois, même si nous passerons peut-être par une petite phase d'ajustement", a assuré Maurice Lévy. Ce qui ne convainc toutefois par les syndicats. Les économies d'échelle que cette fusion va permettre "vont générer pour les salariés des licenciements, des restructurations, des harmonisations par le bas des statuts ou des accords", prédit par exemple la CGT, première organisation chez Publicis et Omnicom. Elle critique "une méga-opération financière plutôt qu'une fusion pertinente et complémentaire", et réclamé "une intervention du gouvernement et des autorités de la concurrence pour éviter toute situation de monopole en France et outre Atlantique".
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