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samedi 29 juin 2013

"L'Europe" et ses "élargissements": stop ou encore?


L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne (UE) et l'entrée annoncée de la Lettonie dans la zone euro redonnent un peu de vigueur au débat européen sur "l'élargissement" et fournit l'occasion de quelques utiles rappels à la fois civiques, diplomatiques et politiques.
1. Les "élargissements" confirment que "l'Europe" demeure attractive, malgré la crise
La volonté d'adhésion de pays comme la Croatie et la Lettonie confirme tout d'abord que, si la crise européenne en cours a indubitablement affaibli l'image de "l'Europe" auprès de ses citoyens et à l'extérieur, "l'Europe" demeure un authentique pôle d'attraction.
Cinq pays sont actuellement considérés par les autorités européennes comme "candidats" à l'adhésion à l'UE : la Macédoine, le Monténégro, la Serbie, l'Islande et la Turquie, les négociations n'étant à ce stade ouvertes qu'avec les deux derniers. Trois autres sont considérés comme "candidats potentiels", l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Pour ces pays, l'UE conserve un énorme attrait en tant qu'espace de réconciliation et de stabilité d'abord, comme espace d'échanges économiques également, enfin comme espace historique et géographique incarnant la "famille européenne" aux yeux du monde, et à laquelle il est logique d'appartenir. Seuls des pays aussi périphériques que l'Islande et la Turquie semblent désormais plus réservés quant à la perspective d'aboutir à une adhésion pleine et entière à l'UE, qui demeure en revanche particulièrement mobilisatrice pour les pays de l'Europe du Sud-Est.
La volonté lettonne de rejoindre la "zone euro" traduit une réalité politique du même type : face à une crise financière de dimension mondiale et à des stratégies d'investissement et attaques spéculatives tout aussi globales, l'appartenance à l'union monétaire constitue un point d'ancrage bienvenu d'un point de vue économique et politique. Il faudra naturellement que les tensions liées à la gestion de la crise de la zone euro s'apaisent davantage pour que d'autres pays puissent s'engager sur le chemin de la Lettonie - la Lituanie étant sur les rangs à l'horizon 2015. Pour autant, il est concevable que les citoyens de ces pays pourront faire un calcul comparable à celui récemment opéré par les Européens déjà membres de la zone euro, tous très conscients des avantages d'appartenir à une union monétaire et très majoritairement opposés à un hypothétique retour à leur monnaie nationale.
2. La politique d'élargissement est l'un des principaux outils de la politique étrangère de l'UE

L'adhésion à l'UE de la Croatie rappelle également que la politique d'élargissement est l'un des principaux outils de l'introuvable "politique étrangère et de sécurité", si difficile à faire émerger sur d'autres enjeux. Cette politique a d'ores et déjà permis à l'UE de contribuer à la stabilité et au développement économique de nombre de ses voisins, notamment en Europe centrale. Elle a d'abord pour but de faire entrer l'Europe chez ses voisins, avant que ce ne soit l'inverse, et est à ce titre un vecteur d'influence-clé pour l'UE.
La Croatie a ainsi dû consentir d'intenses efforts tout au long de ses négociations d'adhésion afin de respecter les conditions juridiques, économiques et politiques requises, et être ainsi en mesure de rejoindre l'UE près de dix ans après son voisin slovène. Des efforts comparables ont été engagés par la Serbie, qui a par exemple été conduite à conclure récemment un accord avec le Kosovo dans l'espoir d'obtenir l'ouverture de telles négociations. De même, c'est la perspective d'une adhésion à l'UE qui a conduit les pays de l'ex-Yougoslavie à livrer la quasi-intégralité de leurs criminels de guerre présumés au Tribunal pénal international de La Haye, et donc à créer les conditions d'une réconciliation durable dans cette région.
À l'inverse, l'influence de l'UE vis-à-vis de la Turquie semble avoir décru en proportion des difficultés et atermoiements entourant les négociations ouvertes avec ce pays - d'où la décision récente de les relancer. Si la perspective d'adhésion ne saurait certes constituer l'unique instrument de la politique européenne de "bon voisinage" qu'il s'agit de développer au niveau du continent tout entier, il est donc plus que jamais utile de souligner qu'elle n'a pas encore épuisé toutes ses vertus politiques.
3. La stratégie d'élargissement de l'UE doit être réajustée sur plusieurs points
La stratégie européenne d'élargissement sera d'autant plus efficace et légitime qu'elle sera ajustée d'un point de vue juridique, social et politique.
Ajustement juridique d'abord, dès lors que, pour des raisons diverses, la situation de pays comme la Bulgarie, Chypre, la Grèce, la Hongrie et la Roumanie suscite d'intenses controverses, au point de nourrir un questionnement sur le "voile d'insouciance" qui a parfois pu recouvrir les précédentes vagues d'adhésion. Il s'agit donc désormais d'assortir la stratégie d'élargissement d'un contrôle extrêmement strict du respect des conditions liées aux adhésions au moment des négociations autant qu'après leur conclusion ; cette exigence vaut pour les adhésions à l'UE et à la zone euro tout comme à l'espace Schengen ; elle pourra paraître un peu injuste pour les nouveaux pays candidats, mais c'est le prix à payer pour garantir la cohésion et la solidité des "clubs" qu'ils entendent rejoindre.
La stratégie d'élargissement doit également être ajustée d'un point de vue social, dès lors que l'Europe n'est pas seulement un lieu de réconciliation, mais aussi un espace de délocalisations, aussi limitées dans leur ampleur que coûteuses pour leurs victimes et pour l'image de l'UE. Il convient dès lors d'organiser une prise en charge européenne claire et explicite des Européens qui pourraient pâtir des prochaines adhésions, quand bien même leur impact sera réduit (le PIB de la Croatie représente ainsi 0,3 % du PIB total de l'UE). Si l'entrée de l'Espagne et du Portugal a donné lieu à la mise en place de Programmes intégrés méditerranéens, rien de comparable n'a été établi à l'occasion du "grand élargissement" de 2004. Il est essentiel, à la fois symboliquement et concrètement, que de telles "dépenses d'ajustement" soient prévues dans la perspective de l'adhésion des pays de l'ex-Yougoslavie, et impératif qu'une application étriquée du principe de subsidiarité en matière sociale ne fasse pas obstacle à un tel accompagnement.
La stratégie d'élargissement doit enfin être ajustée d'un point de vue politique, ce qui suppose de tenir un discours clair sur les nouvelles frontières de "l'Europe" afin d'éviter l'impression d'une fuite en avant sans limites. Pour l'UE, cela doit conduire à clarifier rapidement le statut de l'ensemble de nos voisins, qui ne sont pas tous destinés à la rejoindre, notamment en Europe orientale. Pour la zone euro, qui a théoriquement vocation à accueillir la quasi-totalité des pays de l'UE (sauf les deux ayant négocié des clauses d'exemption), il s'agit de préciser à quelles conditions et à quels rythmes de nouvelles adhésions pourraient être envisagées, à la lumière des enseignements de la crise en cours.
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C'est sur de telles bases politiques que les autorités européennes pourront le plus aisément entretenir les dynamiques interne et externe en matière d'élargissement, aussi bien au niveau de l'UE qu'à celui de la zone euro. Tout comme c'est en envisageant ces élargissements à cette double échelle qu'elles pourront le mieux concilier élargissement et approfondissement de l'intégration européenne à court et moyen termes.

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