TOUT EST DIT

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lundi 28 janvier 2013

Néfertiti : l'homme derrière le chef-d'œuvre

Un égyptologue français démontre que Thoutmès, dont il vient de fouiller la tombe, est l'auteur du buste conservé à Berlin.

Mis au jour le 6 décembre 1912 par une équipe allemande, le buste de Néfertiti aujourd'hui conservé au Neues Museum de Berlin est à juste titre surnommé «la Joconde de l'Égypte antique». Cette taille d'un visage en 3D dans du calcaire stuqué et peint relève en effet d'un genre qui n'existe quasiment pas alors, il y a environ 3.400 ans. L'objet tiendrait donc du miracle, et du génie de son mystérieux créateur. Ludwig Borchardt, le directeur de la mission allemande, en avait découvert l'atelier sur le site d'Amarna, la capitale construite par Akhenaton: un certain Thoutmès, pouvait-on supposer sur la base d'un document indirect. Mais cette attribution attendait d'être confirmée et Thoutmès de prendre chair.
Pour célébrer le centenaire de la trouvaille, le Neues Museum présente, depuis le jour anniversaire et jusqu'au 13 avril, une grande exposition autour de Néfertiti . Cela malgré un fond de querelle persistante avec Le Caire au sujet de la propriété de l'œuvre. Mais ce qui va surprendre les deux parties, et tous les amateurs de la civilisation pharaonique, est une nouvelle thèse défendue par Alain Zivie. Pour ce Français, directeur de recherche au CNRS, chef de mission à Saqqarah, le peintre Thoutmès, dont il vient de publier l'étude complète de la ­tombe  après l'avoir découverte et fouillée, n'est autre que le Thoutmès dont on avait trouvé le nom à Amarna.
Son équipe a ouvert l'hypogée le 24 novembre 1996. Il est voisin d'une tombe qui a d'abord monopolisé l'attention puisqu'elle s'est avérée être, selon toutes probabilités, celle de la fille aînée d'Akhenaton et Néfertiti, sœur ou demi-sœur deToutankhamon qu'elle précéda sur le trône comme régente ou comme reine. Après l'avoir analysée de fond en comble, le groupe d'Alain ­Zivie, soit une vingtaine d'Égyptiens et cinq ou six chercheurs français et étrangers, est passé à celle de Thoutmès. «Bien qu'en mauvais état du fait d'infiltrations diverses, elle montre que ce personnage était un artiste fort considéré», résume l'égyptologue. et d'ajouter: «Il était en cour, comme l'indique la proximité de la tombe de la princesse Méritaton. Il était riche, comme l'indiquent les dessins de colliers et bracelets en or. Il se trouvait à la tête d'un puissant atelier familial, comme on le constate en découvrant les images de son père et de ses enfants. Tous avaient pour fonction la décoration des grandes tombes de la Vallée des Rois.»

À l'instar d'un Michel-Ange

Fait exceptionnel, Thoutmès a lui-même peint et gravé au moins une bonne partie de sa tombe. Et, chose encore plus étonnante, il s'est représenté. Son profil en pied, où il tient une palette de plus de vingt couleurs, peut être vu comme le plus ancien autoportrait de l'histoire. Enfin, dans le dernier pan de fresques et gravures murales, il a peint un double sarcophage, peut-être une preuve d'amour à son épouse. L'objet à deux têtes est représenté… de face!
Pour Alain Zivie il s'agit là d'une tentative de représentation en trois dimensions. «Thoutmès y est parvenu plus tard, avec le buste de Néfertiti, ­affirme-t-il. On traduit littéralement les hiéroglyphes de son titre par “directeur des scribes des contours”, alors qu'il s'agit avant tout de peintres. Les plus doués pouvaient être aussi graveurs, voire modeleurs ou même sculpteurs, à l'instar d'un Michel-Ange. Le Thoutmès de Saqqarah est donc bien un artiste “qui fait vivre” ou “revivre”, pour reprendre le titre de celui d'Amarna. C'est en effet au maître-peintre que revenait le soin de peindre la pièce, une fois celle-ci réalisée, éventuellement modelée par lui. Par ce geste naturaliste final, il conférait la vie à l'œuvre».
On objectera que Saqqarah, principal cimetière de Memphis, à trente-cinq kilomètres au sud-ouest du Caire, se trouve bien loin de l'atelier d'Amarna. Environ 350 kilomètres. «Mais comment penser que les artistes d'une telle notoriété ne voyageaient pas?» rétorque le spécialiste. «Thoutmès a accompagné la famille royale dans sa nouvelle résidence d'Amarna, y compris dans l'au-delà, puisque la tombe de la princesse Méritaton est venue se loger tout contre la sienne». Au moins un élément matériel rapproche la tombe du buste: des analyses préliminaires des matériaux utilisés par Thoutmès dans sa tombe ont été effectuées par Philippe Walter, chimiste au CNRS ; elles révèlent une grande similitude avec les techniques mises en œuvre dans la partie peinte de l'effigie de Néfertiti. Ainsi le maître de Néfertiti est-il bien un maître exceptionnel nommé Thoutmès, à qui désormais sa tombe vient conférer un visage, une histoire et une personnalité.

La Tombe de Thoutmès, directeur des peintres dans la place de Maât, d'Alain Zivie, Éditions Caracara, 238 p., 65 €.



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