TOUT EST DIT

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lundi 7 janvier 2013

L'aveuglement volontaire

L'aveuglement volontaire


« Mon père était communiste, il écoutait Radio Moscou », c'est avec cet argument que Gérard Depardieu a justifié sa démarche auprès de Vladimir Poutine pour obtenir un passeport russe. Après quoi, joignant le geste à la parole, il s'est rendu à Sotchi, la station balnéaire des bords de la mer Noire, pour y rencontrer le président russe. Ce dernier ne peut que se frotter les mains des déclarations du comédien affirmant que « la Russie est une grande démocratie ». Dans un pays qui manifeste de longue date une grande vénération pour les acteurs populaires français, les dernières sorties de Gérard Depardieu sont du pain bénit pour un régime dont le caractère autoritaire ne cesse de s'affirmer.
Quelle est donc la grande démocratie que célèbre l'acteur tout en maniant l'argument de la nostalgie communiste dont Poutine sait user et abuser ? C'est un pays où la corruption de la justice permet de condamner sans coup férir celui que le pouvoir désigne. Un pays qui fait des innocents des coupables, comme le dit le titre du livre récent de la journaliste Zoïa Svetova (1). Un pays où Zara Mourtazalieva, une jeune étudiante tchétchène vivant à Moscou, a pu être condamnée à neuf ans de camp dans un procès monté de toutes pièces, accusée d'avoir préparé un attentat qui n'a jamais existé que dans l'imagination de ceux qui avaient besoin d'une condamnation pour leurs états de service. Un pays où l'avocat Serge Magnistki est mort en prison pour avoir dévoilé les malversations commises par des fonctionnaires russes contre son client.
Dans la Russie qu'aime tant Depardieu, le FSB, héritier de l'ancien KGB, règne en maître, tenant sous surveillance tous les « ennemis » potentiels du régime, et les libertés fondamentales sont, chaque jour, davantage limitées. On vient d'y interdire aux titulaires d'un double passeport de diriger des ONG, et le Kremlin soutient encore le régime de Bachar al-Assad, empêchant ainsi que prenne fin une guerre civile effroyable qui a déjà fait plus de 60 000 morts.
La « culture » dont Gérard Depardieu se réclame, en évoquant son père qui écoutait Radio Moscou, était celle d'un aveuglement qui ne voulait pas voir les crimes du régime communiste. Cet aveuglement volontaire lui permet, aujourd'hui, d'ignorer le sort réservé à Mikhaïl Khordorkovski - emprisonné depuis 2003 et condamné à la détention jusqu'en 2016 au terme de deux procès qui furent une parodie de justice - et le fait que les commanditaires de l'assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa, en 2006, n'ont jamais été inquiétés.
Cette même culture, qui n'a honte de rien, lui a permis de flatter Islam Karimov, dictateur sans états d'âme d'Ouzbékistan, de se rendre à Grozny pour célébrer l'anniversaire de Ramzan Kadyrov, qui règne sans partage sur la Tchétchénie.
Il ne manque à Gérard Depardieu pour parfaire son sinistre « tableau d'honneur » que d'aller serrer la main d'Alexandre Loukachenko qui a fait de la Biélorussie une sorte de Jurassik Park du socialisme réel. Il pourrait aussi féliciter les chefs du parti communiste chinois pour le bonheur qu'ils imposent au Tibet et la douceur de leurs geôles dans lesquelles moisissent entre autres les écrivains Liu Xiaobo - prix Nobel de la Paix 2010 - et Li Bifeng - récemment condamné à douze ans de prison - et où l'on prélève le sang ou les organes des condamnés à mort avant leur exécution.

(1) Zoïa Svetova, Les innocents seront coupables, coll. « Les moutons noirs », Paris 2012, François Bourin Éditeur.

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