Mal typiquement français
vendredi 7 septembre 2012
Présentéisme : l'autre visage (inquiétant) de l'absentéisme
Faut-il se réjouir du recul de l'absentéisme relevé par l'étude du
cabinet Alma Consulting Group ? Ces bons scores traduisent en filigrane
un phénomène apparu depuis quelques années qui inquiètent les
psychologues du travail : le présentéisme ou "démission intérieure".
Présent mais...totalement absent. Voilà le paradoxe que traduit
le présentéisme. Envers de l'absentéisme, il illustre à bas bruit
souvent une situation de « burn out » ou de démission intérieure. Le
salarié est présent physiquement mais psychiquement absent. Certains
s'efforcent même de donner l'impression qu'ils travaillent alors qu'en
réalité ils en font le moins possible. Une présence qui traduit plus un
désengagement qu'une réelle motivation. Le taux d'absentéisme n'est donc
plus un indicateur très fiable de la motivation des troupes en ces
temps chahutés. D'ailleurs, la barre des 3 millions de chômeurs franchit
depuis quelques jours risque fort d'amplifier ce phénomène. Crainte de
perdre son emploi, angoisse de la précarité, difficulté à boucler les
fins de mois, pression galopante au bureau, fermeture de sites, fusions
et restructurations, tout concourt aujourd'hui à considérer son travail
plus pour sa feuille de paye que pour une satisfaction personnelle. Et
l'on craint désormais plus de se faire remarquer par son absence et de
perdre le fil de l'information interne qui permettra en cas de coup dur
de se repositionner. En clair : perdre du terrain. D'autant que nombre
de consultants en ressources humaines conseillent aujourd'hui aux
salariés de soigner leur « visibilité ».
Facteur de risque pour la santé au travail
D'où la sonnette d'alarme tirée par les médecins du travail qui
voient dans le présentéisme un facteur de risque pour la santé des
salariés. Travailler même quand on ne se sent pas bien ou qu'on est très
fatigué, au bout du rouleau, ce n'est en effet pas sans risques. Au
même titre qu'un sportif de haut niveau peut se retrouver sur le banc de
touche pour avoir trop forcé, un salarié qui dépasse trop ses limites
verra ses symptômes s'aggraver. Sans compter qu'il y a une forte
adéquation entre l'état psychologique d'une personne et son état
physiologique : une personne souffrant de fatigue émotionnelle aura une
santé plus fragile. Enfin le présentéisme a un effet non négligeable
sur la productivité : n'étant pas au mieux de leur forme ceux qui jouent
la carte du présentéisme ne sont guère rentables. Mieux vaut donc qu'un
salarié s'absente deux jours pour se reposer que six mois pour
dépression, fait valoir le corps médical. Des études américaines ont
ainsi montré que le présentéisme peut coûter cher aux organisations :
on impute environ 60% des coûts du stress au présentéisme et 40% à
l'absentéisme. En Europe le présentéisme coûterait en moyenne 20
milliards d'euros par an. Et une enquête de l'Université de Fribourg
estime à près de 15% le taux d'employés en « démission intérieure ». Une
moyenne plus faible dans les PME mais supérieure dans les
administrations, les banques, et les compagnies d'assurance.
Mal typiquement français
La France reste encore la championne toute catégorie de ce phénomène.
En Allemagne, en Suisse ou aux Etats-Unis, celui qui reste au bureau
tard le soir est soupçonné de surfer sur Internet ou au pire d'être très
mal organisé. A l'inverse, chez nous, celui qui part à 18 heures se
verra apostrophé en blaguant d'un « bon week end ». Contredisant la
croyance patronale qui voudrait qu'au moindre petit bobo un salarié
s'absente, une étude menée au Canada par la chaire en gestion de la
santé et de la sécurité au travail de l'Université de Laval a d'ailleurs
montré que le présentéisme se nourrissait essentiellement à la source
de la loyauté et du professionnalisme: ne pas laisser tomber les
collègues, assurer sa charge de travail. L'étude souligne ainsi que la
plupart se présente au travail même lorsque leur santé est défaillante.
Quand on sait combien le sens de l'honneur et du travail bien fait
dominent largement les affects des salariés français, on comprend aussi
mieux pourquoi le présentéisme marque des points dans l'Hexagone.
Ceux-ci attendront que leur productivité s'érode pendant plusieurs
semaines voire plusieurs mois, avant de se retrouver contraints et
forcés à prendre...un congé maladie. Si l'on s'en tient au bon vieil
adage "mieux vaut prévenir que guérir", diminuer l'absentéisme comme le
présentéisme reviendrait donc à améliorer l'hygiène de travail, son
organisation et son ambiance. La clef restant la qualité des relations,
des réunions d'équipe et de la gestion.
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