TOUT EST DIT

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jeudi 19 avril 2012

Mais pourquoi cette incroyable fascination des médias pour Jean-Luc Mélenchon ?

Le candidat du Front de gauche, en troisième position dans les sondages, apparaît comme la révélation de cette campagne. Mais est-ce vraiment légitime ?
On aura quelque mal à croire le leader du Front de Gauche, lorsqu’il dénonce – anglicisme détonnant dans son discours francophonissime - le Mélenchon bashing  dont il se dit l’objet, car de tous côtés les « compliments » affluent : « campagne remarquable », « recadrage efficace sur des thèmes porteurs », « percée impressionnante», « la surprise de ces élections »,« un style gaullien » et bien sûr l’inévitable « c’est le meilleur orateur ! ».
Certes, voici des remarques d’apparence purement technique, faites souvent par des observateurs chevronnés de notre vie politique ; mais de tels compliments « formels » n’en posent pas moins, au-delà de l’épineuse et éternelle question de la distinction entre « le fond et la forme », trois questions capitales :
1/ Ne tombe-t-on pas dans l’asymétrie caractéristique du débat droite/gauche, en refusant à Marine le Pen la même grille de lecture, laquelle pourrait bien lui valoir exactement les mêmes « compliments » ?
2/ Ne risque-t-on pas d’en oublier le programme, c’est-à-dire les propositions politiques concrètes du candidat, rassemblées dans le document « l’humain d’abord », quelque 38 pages serrées, tout de même ?
3/ Enfin et surtout : est-on bien sûr que ces compliments, aussi « formels » soient-ils, reposent sur des constats solides ? Ne sont-ils pas davantage l’effet de la tactique même du candidat, et notamment de ses stratagèmes rhétoriques ?

Marine Le Pen / Jean-Luc Mélenchon : deux candidats, deux analyses médiatiques

Marine Le Pen a effectué elle aussi un « recadrage » radical de sa campagne pour revenir aux fondamentaux du Front national. Marine Le Pen, elle aussi, exerce à merveille, sur le fond comme sur la forme, la « fonction tribunicienne » ; Marine Le Pen, davantage que M. Mélenchon, peut se targuer du soutien des ouvriers, si sous-représentés dans l’électorat d’un « Front de gauche », au discours si ouvriériste...  Marine Le Pen, elle aussi, peut envisager un excellent premier tour : il y a de fortes chances qu’elle atteigne, voire dépasse, le score historique de son père en 2002… et l’emporte sur le nouveau « prétendant à la troisième place » - Jean Luc Mélenchon justement - auquel trop de commentaires attribue un peu vite « la médaille de bronze » !
En fait, si l’on prend un peu de recul, Mélenchon aura plutôt absorbé la quasi-totalité des voix d’extrême gauche que fait progresser cette mouvance, toujours –sauf en 2007- située autour de 15% des voix. Ajoutée aux partisans de Marine Le Pen, elle constitue une donnée structurelle de la vie politique française : ce tiers de l’électorat qui, presque constamment, choisit le vote protestataire.

Front de Gauche : demandez le programme !

On plaidera avec vigueur pour que cesse l’attitude consistant à minimiser ou à marginaliser les propositions précises du Front de gauche, sous prétexte qu’il ne s’agirait que d’une « posture politique ». On doit aux électeurs un traitement équitable des uns et des autres, et l’examen précis et comparé de leur programme respectifs, avec toutes leurs implications. Voici donc, dans le texte, les principales propositions du Front de gauche :
« Rétablissement des 35 heures, Droit à la retraite à 60 ans à taux plein, Smic à 1 700 euros brut par mois pour 35 heures, Instauration d’un salaire maximum pour toutes les entreprises, Augmentation immédiate des bourses d’études, élargissement des droits sociaux aux jeunes majeurs, Convocation d’assemblées régionales et nationale pour l’emploi, les qualifications et les salaires, Remboursement à 100 % des dépenses de santé Blocage des loyers, Revenu maximum fixé à 360 000 euros par an. Arrêt de la RGPP. Abrogation de la réforme hospitalière, réintroduction des élections paritaires dans les caisses de gestion de la Sécurité sociale. Mesures immédiates contre la précarité et titularisation des 800 000 précaires de la fonction publique, création d’un pôle public financier, appuyé sur la Caisse des dépôts et consignations, pour financer le logement social…d’un pôle public de la construction pour casser le monopole des majors du BTP et permettre l’abaissement des loyers et des charges...une agence nationale foncière et décentralisée au niveau des régions, dotée de fonds d’intervention importants... un pôle public du médicament avec au moins une entreprise publique qui interviendra sur la recherche, la production et la distribution des médicaments. Les directions des entreprises publiques qui se sont acharnées à introduire la logique privée au détriment de l’intérêt général seront remplacées par des cadres compétents et attachés au service public….Le monopole public sera rétabli là où l’intérêt général le commande. »
Nous n’insisterons pas ici sur l’impact financier d’un tel programme, chiffré par l’Institut de l’entreprise –il est vrai à la solde des « superfriqués du CAC 40» (Jean-Luc Mélenchon, 12/04/2012), à 100 milliards d’euros, pour la seule dépense publique. On relèvera d’abord l’immense entreprise d’appropriation de la richesse nationale par le secteur public, réintroduit en force, comme on le constate, dans toutes les sphères de la vie économique et sociale. Avec, parallèlement, l’abrogation de toutes les mesures d’économie, d’évaluation et de rationalisation de son fonctionnement !
On mesure ici tout le poids des agents des services publics dans la clientèle électorale du Front de gauche. On constatera surtout une inspiration inquiétante pour les libertés : liberté d’entreprendre et droit de propriété, cela va sans dire ; mais aussi indépendance de la justice, promise à la politisation et à la confusion des pouvoirs, sous l’égide d’un « Conseil supérieur de la justice à la place du Conseil supérieur de la magistrature, pour moitié élu par les magistrats, pour moitié nommé par le Parlement. Il sera responsable devant le Parlement. » (p.24.). Quant à la liberté d’expression, on frémit au projet de « Conseil national des médias composé d’élus, de représentants des professionnels et des usagers, chargé de veiller au respect de la responsabilité publique et nationale» (p.34). A-t-on assez relevé et dénoncé ces propositions, dont on imagine l’accueil si elles avaient été avancées par tout autre candidat ?

Jean-Luc Mélenchon est-il vraiment un "génie rhétorique" ?

Ah, le fameux « génie rhétorique » de notre grand tribun aux accents désormais si « gaulliens » !
« Génie rhétorique » ? Il faut tout de même une certaine candeur littéraire pour s’extasier devant des phrases comme celle-ci : « le printemps est pour dans trois jours, et chaque matin qui se lève, la lumière étend son domaine dans la journée, la nuit se replie, viennent le temps des cerises et des jours heureux » (discours de la Bastille) ; ou encore : « les bourgeons gonflés de vie éclatent déjà en fleurs » (Toulouse) : Victor Hugo, lui-même, le grand modèle, aurait-il osé ?
Pour le reste, assurément, Jean Luc Mélenchon connaît et maîtrise à merveille sa palette rhétorique, ou tout du moins une partie de celle-ci : le pathos, l’hyperbole, l’apostrophe, et surtout l’assertion et l’attaque ad hominem, sont ses registres et figures préférés. Comme elles le sont de Marine Le Pen. Et pour cause, elles signent la rhétorique populiste. Dans le cas de Jean-Luc Mélenchon, une rhétorique ampoulée par l’accumulation des procédés et les effets de rythme ; et une rhétorique surannée, comme le montre son faible retentissement auprès des jeunes. Avouons-le : si un politicien de droite parlait dans les mêmes termes, n’entendrait-on pas, dans les commentaires autorisés, les mots de « ringard » et de « ridicule » ?

Quid des "accents gaulliens" ?

La voix et la pose, il est vrai, se font chaque jour plus, « gaulliennes » : mais la référence est-elle vraiment gage de modernité ? Et qu’en est-il sur le fond ? Qu’on en juge à ces deux citations prises dans son propre blog, le 12 avril dernier.
Sur le Front national : « Cela me rappelle le tract que fait circuler depuis des mois l’extrême-droite qui m’attribue soixante mille euros de revenus mensuels. C’est tout ce que le parti des alcoolos bourrés qui font des descentes dans les bars, comme à Clermont, a trouvé pour essayer de faire oublier la fortune de la fille à papa qui leur tient lieu de chef ».
Sur le journaliste Laurent Joffrin : « A l’heure où j’écris, il est le patron de l’autre organe de presse des sociaux-libéraux, le prétendu « Nouvel Observateur ». Sous sa houlette et haine recuite, l’hebdomadaire  se prépare à me vomir dessus ».
Gaullien ?

"Jusqu'à quand enfin, Catilina, abuseras-tu de notre patience ?"

En tout cas, tout l’art de Mélenchon est bien là : dans l’impossibilité où il met l’adversaire de riposter, sous peine de tomber à son tour dans l’excès. Redoutable double bind dans lequel il nous emprisonne, nous condamnant soit au silence, qui lui sera bénéfique, soit à la surenchère polémique, où il sera toujours gagnant.
Double bind, d’où l’on ne pourra sortir qu’en appelant le « phénomène Mélenchon » de son vrai nom : une entreprise liberticide servie par une rhétorique d’intimidation. Ce qui ne retire rien à la sincérité de nombre de ses sympathisants, qui expriment une très juste revendication de dignité. A la fois sociale et politique. Mais ce qui aggrave le cas d’un tribun qui instrumentalise une aspiration légitime. Comme en son temps, un autre démagogue, cet « aristocrate républicain », le Catilina de la Rome antique, qui savait si bien flatter le peuple . Quodusquem Catilina, abutere patientia nostra ? Jean-Luc Mélenchon connaissant ses classiques, on ne lui fera pas l’affront de traduire…

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