TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

dimanche 29 avril 2012

La menace fasciste à nos portes ?

Le pétainisme, nouveau point Godwin de la vie politique française...

Le point Godwin, c'est ce théorème empirique qui établit que dans toute discussion qui s'échauffe, celui qui manque d'arguments caricature son adversaire en lui lançant une accusation de nazisme ou de fascisme au visage. L'Humanité, Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon : tous victimes ? Le quotidien communiste l'Humanité a publié ce mercredi une photo du maréchal Pétain à côté celle du président de la République. Eva Joly a repris ces accusations de pétainisme. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a accusé Nicolas Sarkozy d'emprunter au vocabulaire de la Collaboration et d'"extrême-droitiser la droite" en France.
Pierre Rigoulot, vous travaillez sur un livre qui touche à la Collaboration. Que pensez-vous de la polémique lancée contre Nicolas Sarkozy dont certains de ses adversaires assimilent les idées au pétainisme ?
Pierre Rigoulot : Permettez-moi, justement, de ne pas entrer dans cette polémique, que je trouve indécente. 
Indécente parce que la droite n’est pas l’héritière de la Collaboration ni la Gauche celle de la Résistance. Les D’Estienne d’Orves, les Leclerc ou le général de Gaulle lui-même n’étaient pas très portés sur la Gauche, que je sache ! Pas plus qu’elle n’a le monopole du coeur, la gauche n’a le monopole de la Résistance.
Ensuite, les amis de M. Mélenchon devraient se souvenir que s’il y eut des gens admirables dans les rangs de la Résistance communiste (j’en sais personnellement quelque chose : nous venons de perdre dans la revue que je dirige le Dr Arthur Kriegel, qui a été un jeune résistant communiste magnifique), cette Résistance communiste n’a vraiment commencé qu’après l’attaque de l’URSS par les nazis en juin 1941.

Quelle fut l’attitude des socialistes pendant la guerre ?

Les socialistes ont eu aussi dans leurs rangs de vrais résistants. On peut parler de Pierre Brossolette, Daniel Mayer et Christian Pineau. Guy Mollet, un des plus connus d’entre eux, a été membre de l’OCM. Mais il est vrai que c’est aussi de leurs rangs que sont issus des gens qui ne se sont pas contentés de soutenir Vichy mais qui ont souhaité franchement la victoire de l’Allemagne comme Marcel Déat, Ludovic Zoretti, Georges Dumoulin, Georges Albertini  et quelques autres, qui confondaient allégrement socialisme national et national socialisme. Certes, Déat a quitté la SFIO quelques années avant la guerre avec le courant dit « néo-socialiste », en 1933, mais les autres que je cite en étaient encore membres en 1939 !
Il y a une autre raison pour parler d’indécence : Vichy, c’est le statut des Juifs, c’est la Collaboration avec les nazis, c’est une idéologie violemment hostile à la démocratie parlementaire et au multipartisme. Qu’a donc Nicolas Sarkozy à voir avec tout ça ?
C’est plutôt la gauche qui, dans cette campagne, tourne le dos au pluralisme nécessaire à toute démocratie, en reprochant à Sarkozy de « diviser les Français ». L’idéal, ce n’est pas l’égalité de fait mais l’égalité de droit, et ce n’est pas non plus un « bloc national uni ». Merci bien ! Laissons cela au Front National et aux communistes et reprenons plutôt le débat électoral, en évitant, justement toute indécence...

Nicolas Sarkozy a-t-il bien répondu aux insultes qui lui ont été lancées ?

Il n’a pas mâché ces mots, notamment en s’adressant à l’Humanité. Mais la formule qui lui est venue [Nicolas Sarkozy a qualifié de "stupidité" la Une de l'Humanité, NDLR] est très compréhensible. Elle est même évidente pour le fils d’un Hongrois : il faut dire que l’Humanité désignait comme « fascistes » les Hongrois qui s’étaient soulevés à la fin du mois d’octobre 1956 contre le pouvoir communiste. Ces choses-là ne s’oublient pas !
Vous êtes en famille en Espagne. Comment réagissent les Espagnols à ces polémiques ? 
Ils ont d’autres soucis ! On leur a annoncé hier que le taux de chômage atteignait 24,5%, que l’Espagne allait emprunter à des taux plus élevés que jamais... Certes, ils n’ont pas apprécié que Nicolas Sarkozy les donne en contre-exemples, mais c’est plutôt par un regain de fierté nationale que parce que le Président français se trompait. La situation est en Espagne vraiment inquiétante. Le plus désolant est sans doute l’attitude du journal de centre gauche, El Pais, un bon journal, notamment pour ses pages culturelles. Son correspondant à Paris, déchaîné, a prétendu que Nicolas Sarkozy approuvait le fascisme ! Dire que, pour ce dernier, il y a les « bons », les Français d’origine chrétienne et de droite passe encore. Personne ne fait dans la dentelle actuellement ; mais ajouter qu’aux yeux du président français, il y a de ce « bon côté » là le fascisme, je trouve cela scandaleux.[1] Ca ne gêne pas non plus ce monsieur de parler des tics du président. Et pourquoi ne pas reparler – d’autres le font régulièrement – du fait qu’il n’est pas grand ? La gauche crie toujours au délit de faciès, mais là, ça ne la gène pas d’attaquer un homme sur ses caractéristiques physiques... Elle trahit ses idéaux et M. Miguel Mora, le correspondant d’El Pais trahit ceux de son journal.

Y a-t-il une conclusion à tirer, en tant qu’historien de tout cela ?

Ces soi disant références historiques ne rehausseront pas le prestige de la gauche ni, en général, celui de cette campagne électorale. Il serait temps de penser en termes historiques, en périodisant : les communistes entre 1939 et 1941 dénoncent de Gaulle comme agent de l’impérialisme britannique. Ils donnent ensuite à la France des héros de la Résistance. Après 1941, la droite résistante « oublie » ces deux ans liés au pacte germano-soviétique et lutte avec eux contre les collabos, qu’ils soient à l’origine de droite ou de gauche. Après la guerre, en tout cas après 1947, c’est la guerre froide. Les forces politiques anticommunistes « oublient » alors leurs affrontements pendant la guerre et anciens collabos et anciens résistants se retrouvent du même côté contre les communistes et la menace soviétique. Tout cela n’est pas très moral, mais c’est de la politique et de l’histoire. Je suis fatigué de toutes ces images d’Epinal que l’on s’envoie à la figure. Et c’est coller à ces images d’Epinal que de chanter le Chant des Partisans dans une réunion électorale de gauche. Je suis désolé, mais la menace fasciste n’est pas à l’ordre du jour. Si c’était le cas, nous serions, vous et moi, au côté de la gauche pour y faire face !

[1]           Historien. Dernier ouvrage paru : La véritable histoire d’Ernesto Guevara, Larousse, 2011.
[2]           C’est à la page 4 du numéro d’El Pais du 27 avril. 2012


0 commentaires: