TOUT EST DIT

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vendredi 6 janvier 2012

La Grèce, laboratoire de la crise…


Comment les Européens les plus touchés gèrent-ils la crise ? Assommés par les baisses de salaires, la hausse des impôts et les prix qui restent élevés, les Grecs s’en sortent comme ils peuvent, quitte à tricher. Contraints par les mesures d’austérité, certains inventent une nouvelle forme d’économie, basée sur les ressources locales.


Athènes fin 2011. Au premier abord, la crise ne se voit pas. L’aéroport, le métro et les bus fonctionnent, la circulation encombre les rues, les passants semblent affairés et les cafés demeurent aussi animés et enfumés que dans n’importe quelle autre ville méditerranéenne. Puis, on remarque les taxis vides, les restaurants fermés et surtout, en plein centre, des dizaines de boutiques inoccupées, désertées et garnies d’un petit autocollant jaune sur lequel figure le mot Enoikiazetai, « à louer ». Il faut parler avec des Athéniens pour comprendre l’angoisse : des fonctionnaires dont le salaire a pratiquement été réduit de moitié, des cadres intimés de travailler le week-end sous peine d’être licenciés, des chercheurs auxquels on refuse des crédits, des avocats qui peinent à se faire payer, des médecins qui ont tiré un trait sur les remboursements de la sécurité sociale. Depuis quelques mois, on cesse de dîner au restaurant, on limite les achats de vêtements au strict nécessaire, on explique aux enfants qu’il n’est pas bon de posséder trop de jouets. Seuls quelques produits se vendent mieux qu’avant : les antidépresseurs, mais aussi les tickets de loterie que de vieilles personnes proposent timidement aux groupes attablés dans les cafés. Les prix, notamment des produits importés, n’ont pas baissé, tandis que de nouvelles taxes sont désormais exigibles. Les professions libérales se plaignent de devoir remplir des formulaires compliqués. Dans l’administration, il est devenu pratiquement impossible d’embaucher, même temporairement, une personne pour effectuer un travail jugé indispensable. Le carburant, le ticket de métro et les passages en bateau pour les îles ont subitement augmenté. Un soir, dans un quartier chic, une locataire d’une confortable résidence explique qu’elle n’a entendu aucun de ses voisins mettre en route les radiateurs, malgré le froid piquant. Elle-même préfère depuis peu se chauffer à l’aide d’un poêle à fioul dont elle peut maîtriser la consommation.Les Grecs semblent vivre sans aucune perspective, ni collective, ni personnelle. Dans cette société marquée par le matérialisme, certains ne sortent plus, ne voient plus leurs amis, honteux de ne pouvoir dépenser autant qu’avant. « Le nombre de mariages, comme celui des divorces, a baissé ; le taux de natalité diminue », assure l’ethnologue Panagiotis Grigoriou, qui tient un blog régulier sur la vie quotidienne en temps de crise.

Tricherie généralisée

Qui est responsable ? « L’Etat », répondent en chœur les Grecs, qui n’accordent aucune confiance à leurs responsables politiques. « Les financiers », ajoutent-ils parfois. « Les Allemands », lâchent même d’autres, dans un élan de xénophobie qui ne choque plus grand monde. La tricherie généralisée, pourraient-ils ajouter. Car tous peuvent témoigner de pratiques illégales, de comptes falsifiés, de documents oubliés. Qu’elle ait pour but de s’enrichir, de contrer un nouvel impôt ou comme unique réponse à la baisse du pouvoir d’achat, la fraude s’insinue partout. Des propriétaires de yachts abandonnent soudain le pavillon grec pour celui d’une île des Caraïbes. Des quidams conservent « un compte en euros, mais dans un autre pays », au cas où. Des cadres supérieurs se font licencier tout en continuant de travailler pour leur employeur, mais sans payer de charges. Des étudiants obtiennent leurs examens en copiant ouvertement sur leurs voisins. Des responsables politiques monnaient leur influence tout en conservant leurs seize salaires mensuels par an. Des passagers du métro circulent systématiquement sans ticket. Rares sont ceux qui se risquent à prédire l’avenir. La Grèce restera-t-elle dans la zone euro ? Les plans de rigueur successifs auront-ils raison de la récession ? La population patientera-t-elle encore longtemps ? Un scénario tel que l’a connu l’Argentine en 2001, brutale dévaluation, paupérisation et accession au pouvoir d’une majorité nationaliste et protectionniste, est-il envisageable ? « La Grèce conservera l’euro, parce que l’Europe ne peut pas faire autrement », croit savoir Christos Vardikos, un avocat d’affaires spécialisé dans le droit maritime. Le praticien s’autorise même un optimisme inattendu en affirmant que le pays « va rebondir d’ici un ou deux ans » grâce aux mesures de restriction budgétaire. Pour Constantinos Lambadarios, également avocat d’affaires, c’est « la privatisation des actifs, notamment dans les secteurs minier, immobilier, portuaire ou de l’énergie » qui permettra au pays d’arborer un budget sans déficit « dès l’année prochaine ». Cette analyse demeure minoritaire. « La seule solution consiste à quitter l’Union européenne », affirme ainsi Kostas Doukas, ingénieur à la retraite et membre de Spitha, un mouvement hostile aux mesures d’austérité, créé par le compositeur Mikis Theodorakis.

Nouvelle économie de crise

En attendant, les Grecs s’organisent, inventant parfois une nouvelle forme d’économie. Le pays, souvent décrit comme dépourvu de ressources naturelles, commence à exploiter des atouts jusque là négligés, comme le montrent ces quelques exemples, isolés mais significatifs. Sur l’île de Sifnos, dans les Cyclades, les propriétaires des champs d’oliviers se sont mis à l’huile. Le gérant du pressoir de cette terre de 2 000 habitants croule sous le travail. « Habituellement, on presse les olives pendant un mois à partir de la fin octobre ; et cette année, il y a des commandes jusqu’à Noël », raconte-t-il. En Crête, un producteur de vin, lâché par les chaînes nationales de supermarché qui lui achetaient sa marchandise, a recréé son propre circuit de distribution, s’adressant directement aux restaurants et aux magasins des alentours. Les Athéniens ne laissent plus pourrir les agrumes sur les arbres et en font du jus. Quelques particuliers se mettent à cultiver des légumes sur le toit-terrasse de leur immeuble. La crise génère des velléités de retour à la terre. Des citadins, las de ne pas trouver d’emploi, rentrent dans leur village natal et se mettent à l’agriculture. D’autres achètent un vélo, mode de déplacement moins coûteux qu’une voiture. Dans un immeuble du centre d’Athènes, des militants écologistes enseignent aux riverains la manière de confectionner des panneaux photovoltaïques, des éoliennes ou des fours solaires. Cette petite association, qui existe de longue date, rencontre cette année un succès inespéré. « Des trentenaires sans emplois souhaitent produire leur propre énergie », explique une activiste. La Grèce serait-elle un laboratoire de la crise et de ses conséquences ? « Nous ne sommes pas par magie devenus des adeptes de la décroissance, mais nous devons faire avec 50% de moins », commente le blogueur Panagiotis Grigoriou.

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