TOUT EST DIT

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mardi 29 novembre 2011

Les Grecs ébranlés dans leur dignité

Qu'ils galèrent, qu'ils résistent ou qu'ils ne soient pas vraiment touchés par la crise, les Grecs - tous milieux confondus - se sentent ébranlés dans leur dignité, rapporte l'ethnologue Panagiotis Grigoriou.
  Catherine a invité beaucoup de monde chez elle samedi soir. C'était pour fêter la Sainte-Catherine du 25 Novembre. Par tradition, on se retrouve ainsi, entre parents et amis. Jadis, et du temps de l'après guerre (de 1940), on faisait dans la frugalité. Une sucrerie, un verre de liqueur et des vœux sincères. Et sans invitation, de toute façon, même le téléphone fixe, n'existait pas pour tout le monde. Il suffisait sinon, de se rendre à la demeure concerné de l'ami ou du parent, au soir de sa fête et frapper à la porte. Au fil des années, notre sociabilité s'est enrichie. Après tout, nous nous sommes élevés au rang des nations prospères et développées. « La Grèce désormais puissante ...», selon les déclarations légendaires du Crime Minister Simitis, au moment de l'entrée dans l'euro. Entre temps, il y a eu le téléphone, la télévision et la voiture garée devant la porte.


Pendant même la courte période de notre hystérie historique (eniron 1989-2009), autrement dit, nos …. vingt foutaises, ces invitations à la fête, y compris chez Catherine, se transformèrent presque en potlatch, la cérémonie en moins. Plus précisément, les dons et les contre-dons, les échanges ostentatoires sont devenues monnaie courante. Pour les foyers qui invitaient, c'était à chaque fois le casse-tête. Proposer le meilleur repas, le plus riche, calories inclues, le plus cher, dans la mesure du possible et souvent aussi, de la carte bancaire. Les invités quant à eux, apportaient à l'occasion, des cadeaux à la très grande hauteur des faux enjeux. Entre convives, on comparait alors les cadeaux entre eux, puis les tenues vestimentaires, les plats et les vins. Agapes illusoires, moments comestibles, histoire courte. On finissait par s'en rendre compte à force. Déjà certains optaient pour ne pas fêter. Se retrouver en famille nucléaire, ou entre deux bons amis seulement, et c'est tout. Sauf Catherine.

Je me souviens de cette même fête, il n'y a pas si longtemps. La millésime 2008 de chez Catherine se consommait encore sans modération. Repas et vin de qualité, discussions et classe assez moyennes. La dernière voiture de la cousine, gérante d'un magasin de vêtements, les dernières vacances d'été dans les Cyclades de la pharmacienne, Noël suivant à Paris pour Catherine et son mari kinésithérapeute, et l'embauche (non déclaré) de la nouvelle femme de ménage chez Mr et Mme A….poulos, tous deux, commerciaux dans une concession automobile. Et bien-sur, docteur Stratos, le voisin gynécologue se trouvant entouré de toutes les femmes de la soirée en quête scientifique : « Connaissez-vous un confrère qui pratique la chirurgie esthétique peut-être ? ».

En 2011, Catherine est au chômage et les affaires du kinésithérapeute sont bien coincées. Elle a donc préparé un buffet froid. Les convives ont apporté des objets usuels et leurs vœux sincères. Le vin fut certes petit, mais les discussions étaient grandioses. La cousine vient de faire appel à un service de genre nouveau pour sa voiture de 2008. L'homologation en sous-motorisation. Il y a désormais des bureaux New Age de défiscalisation. Car les derniers papandréismes, ont imposé aux voitures de plus de deux litres de cylindrée, une vignette avoisinant les mille euros, et d'une taxe dite exceptionnelle de 270 euros en plus. Toutefois, la législation permet de passer à une sous-motorisation jusqu'à 25% de celle d'origine, après homologation et évidemment après contrôle technique. La cousine prétend que cela vaut le coup. Ce nouveau commerce … dans les arbres à cames de la crise, se voit facturé environ deux mille euros. Mais souvent, la sous-motorisation est tout simplement fictive. Tout comme le contrôle technique, faisant office de passage aux mines. Sauf les certificats, en règle authentique. Les réseaux, se mettent en place apparemment en collaboration avec les tenants ou les employés des centres du contrôle technique. Le gouvernement entend donc poser des cameras pour prendre en photo et de tous les côtés, les véhicules passant le C.T. et ceci dès l'été 2012. Et alors ?

En outre, le magasin de vêtements de la cousine de Catherine a fait faillite en septembre. Plus personne n'achète dans son quartier ses vêtements chers. Elle redémarre, une tentative de la dernière chance, nous explique-t-elle. Changement de nom commercial et de marchandise. Désormais, elle vend de la lingerie coquine et des accessoires. « Vous savez, les femmes n'iront pas faire leurs courses dans les sex-shop des quartiers du centre, et par les temps qui courent elle ont des besoins formels ». La pharmacienne a baissé son regard et le gynécologue a ri.

Chez les A....poulos les choses vont mal aussi. Ils ont remercié leur femme de ménage, madame Alyona. Sur dix foyers dont elle s'occupait du ménage, les sept ont été perdus. Elle a expliqué aux A...poulos qu'avant Noël, elle retournerait en Ukraine. Elle projette une nouvelle immigration vers la France cette fois, accompagnée de son frère pour l'été 2012. Elle a déjà retiré de la banque ses maigres économies. Dix sept ans de travail dur. Les A...poulos lui ont offert une certaine somme en guise d'indemnités de licenciement, même si elle n'était pas déclarée. L'épouse A...poulos perçoit le quart de son salaire depuis Août, son mari vient d'être licencié. Le concessionnaire qui ne vend quasiment plus rien, a du mal à s'en sortir. Ne pouvant pas verser les indemnités de licenciement, il a proposé comme alternative, soit un chèque antidaté, et potentiellement en blanc, soit une voiture d'occasion. L'époux A...poulos a accepté, le mal au cœur. Il sait que la revente sera difficile, une Ford deux litres et mille soucis.

Ces pratiques, sont connues également par la presse ces derniers mois. Le journal économique Imerisia (27/11/2011), souligne la « nécessité » de ce nouveau type … d'indemnités de licenciement dans le commerce automobile. Ses rédacteurs rapportent, qu'une concession moyenne pour pouvoir fonctionner (frais, fournisseurs, salaires, imposition) a besoin de quarante mille euros par mois au moins, somme difficile à réaliser depuis plus d'un an. Du coup, pour pouvoir verser au moins une partie des salaires aux employés, les entrepreneurs ne versent plus la TVA, ni les cotisations patronales. Les dernières taxes de l'automne, sur leurs biens immobiliers professionnels s'élevant à plusieurs milliers d'euros, les conduisent à mettre la clef sous la porte avant Noël. Le même journal, souligne que selon les chiffres du ministère de l'économie, la vignette automobile durant les sept premiers mois de 2011, a rapporté au Trésor, 118 millions d'euros, au lieu de 518 millions durant la même période de l'année 2010. Les automobilistes circulent soit sans vignette, bravant les autorités, surtout en Grèce rurale, soit en déposant leurs plaques immatriculation aux préfectures, immobilisant ainsi leurs véhicules. Par analogie, plus d'un million deux mille véhicules circulent sans assurance, soit 15% du parc automobile de notre protectorat. Ce qui diminue également les recettes des impôts. En effet, l'effondrement se généralise. Les impôts ne rapportent plus les recettes espérées. Y compris la TVA et la TIPP. Non pas à cause d'une désobéissance fiscale (elle existe aussi et elle prend de l'ampleur), mais parce que les sujets de la Baronnie sont à sec. A tel point que le directeur de la Banque centrale grecque, Provopoulos, ami de Papadémos se voit obligé d'alerter (qui ?) que la capacité d'imposition des citoyens est dépassé. Selon ses informations, les retraits massifs des dernières sommes des livrets et autres comptes des particuliers et des entreprises servent à payer les impôts. Et bien évidement, ceux qui depuis toujours ont escroqué le fisc, ayant des dettes s'élevant à certaines sommes colossales, ne sont guère touchés, hormis certaines arrestations ces dernières semaines.

D'autres pratiques nouvelles se généralisent. Certains de ces profiteurs, parfois en difficultés, se débarrassent de leurs luxueux 4x4 et autres limousines, en versant deux à cinq mille euros … aux bandes de voleurs, afin d'effectuer le travail... proprement. Ensuite, ils se retournent vers les assureurs pour se faire indemniser, sachant que le prix de vente sur le marché réel de l'occasion pour ce type de véhicules s'effondre. Les compagnies d'assurance quant à elles, méfiantes et pour cause, introduisent leurs hommes dans les réseaux des trafiquants et des voleurs, pour obtenir les informations nécessaires et ainsi détecter les vraies-fausses déclarations.

Mais chez Catherine, nous avons surtout commenté, les dernières décisions de la justice, mettant en cause la manière par laquelle, la taxe sur l'immobilier est perçue, c'est à dire par les factures de l'électricité. Le gynécologue en chef, au sein d'une clinique privée, avoue ne pas être vraiment touché par la crise, et ainsi il explique que pour cette raison il a payé sans problème. Mais, il est autant indigné que les autres. « J'ai honte de vivre dans notre pays, ils nous ont enlevé notre dignité..

Justement, le journal Elefterotypia (dimanche 27/110), fait état de ces Robin de l'électricité, ces syndicalistes électriciens, qui dans certains départements en collaboration avec les activistes du mouvement «je ne paie pas», rétablissent le courant, d'abord chez les chômeurs, les retraités et les malades. Vassilis Sarandopoulos, membre du mouvement, explique que ce programme commun d'entente et d'action avec les syndicalistes électriciens, est une obligation citoyenne après la pression ressentie, émanant de la population. « Les gens ont la rage, ils veulent s'organiser et répondre par des actions de résistance, même si nous ne pouvons pas encore parler de Front». En tout cas, ces Robin des poteaux électriques, ont été suivis dans la région Veria (au Nord du pays), par les journalistes de la presse norvégienne et par ceux de l' Associated Press. Les journalistes ont été enthousiasmés.

« C'est de la guérilla urbaine – ont ils dit - et nous avons répondu qu'il s'agit plutôt de la réappropriation de notre propre dignité »(Elefterotypia 27/11/2011).

Les convives de la Sainte Catherine semblaient préoccupés par la situation, mais pas abattus. Finalement, je pense que plus significatif que ces petits et grands moments difficiles ou bien même dramatiques de la classe moyenne, (et bien entendu de l'ensemble du monde du travail), c'est la perte de la dignité, ressentie comme telle par une population de plus en plus large, dépassant pour le moment même, certains clivages de classe.

Allez, bientôt la Saint-Nicolas …. D'autres plongent déjà dans les poubelles.

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