TOUT EST DIT

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vendredi 11 novembre 2011

Les Etats désunis d'Europe

Seules les crises font avancer l'Europe. Telle est la bouée à laquelle s'agrippent ses partisans, en pleine mer démontée. Pourtant, la situation est paradoxale : la solution fédérale recueille un assentiment inédit chez les dirigeants et les experts, alors même que la confiance des peuples dans l'Union européenne se disloque et que sa renationalisation se confirme. Certes, l'idée d'une discipline budgétaire est enfin admise sur le continent entier, pour que le feu grec ne s'étende pas. Mais derrière ce consensus subi, voici la réalité : les grandes capitales ont repris la main, les institutions européennes sont inaudibles.

La crise ne se résume pas à une affaire de dettes. Elle a un coeur politique. Les nations - surtout deux d'entre elles, l'Allemagne et la France - ont décidé de répondre à la plus grave remise en cause de la maison commune en confisquant les clés. C'est la victoire par KO du Conseil sur la Commission, au mépris de la pratique du consensus à Vingt-Sept.
L'opposition entre "ancienne" et "nouvelle Europe" (les derniers entrants à l'Est) est périmée. L'orthodoxie budgétaire dresse le Nord contre le Sud. Une Europe à dix-sept, celle de la zone euro, se détache en silence. Ce mouvement tectonique improvisé ne résoudra pas les défauts structurels de l'UE, sans une vraie ambition politique et une pédagogie sans précédent.
On dit que l'Allemagne a gagné ; elle a aussi perdu. La ligne Merkel - l'austérité - s'est imposée à tous. Mais la chancelière se retrouve à la barre d'une petite Europe, celle de la zone euro, plombée par des pays aux déficits abyssaux et des banques au pouls incertain. Les nations proches politiquement de Berlin, comme la Suède, la Lettonie ou la Pologne, restent à la porte, avec leur propre monnaie.
Face à ces tensions internes, cristallisées par le sauvetage de la Grèce, Paris et Berlin ont choisi de parer au plus pressé, sous l'oeil sévère des marchés, afin de contourner la règle paralysante du vote à l'unanimité. Mais aucune solution durable n'émergera tant que les Européens n'auront pas affronté un paradoxe historique. Depuis vingt ans, ils construisent une maison sans plan d'architecte.
Les Européens n'ont jamais répondu au dilemme entre élargissement et approfondissement. La chute du mur de Berlin aurait dû provoquer ce rendez-vous. Mais on a préféré poursuivre l'extension vers l'Est et le Sud-Est sans définir les frontières ultimes de l'UE. "On avance en marchant", nous disait-on. Malgré la réussite éclatante de l'élargissement en 2004 (Pologne, République tchèque, etc.), un sentiment de fuite en avant s'est imposé.
Quant à l'approfondissement, on s'est arrêté à l'euro. Le pari était que l'intégration politique suivrait forcément, par paliers. Faux. Les intérêts nationaux ont repris le dessus. Aujourd'hui, dans la fébrilité générale, la France et l'Allemagne essaient d'imposer un simili de gouvernance économique, une camisole passée aux Etats en faillite. Quelle ironie de voir la France "délinquante", qui a si peu respecté les critères de Maastricht sur l'endettement, se métamorphoser en gendarme !
C'est justement lors du débat sur le traité de Maastricht, signé en 1992, que ce défaut de fabrication dans l'Europe politique avait émergé. Il était remonté à la surface lors du référendum français sur le traité constitutionnel en 2005. Pour une majorité d'électeurs, l'Europe ressemblait davantage à une soumission qu'à une espérance. Les pères fondateurs de l'Europe avaient voulu la paix et la prospérité sur le continent. Que faire lorsque la première paraît acquise, et la seconde déjà perdue ?
Depuis, l'idée même d'un référendum sur l'Europe suscite l'effroi. Les dirigeants ont peur de leurs peuples aux abois, laminés par la crise. Seuls les gouvernements polonais et estonien ont été reconduits lors d'élections législatives en 2011. Une tendance prospère : le repli sur soi, sur sa famille, sur son identité.
Pour éviter cette impasse, l'Europe a besoin d'institutions plus souples, confortées par le vote des citoyens. Les capitales ne pourront reporter sans fin l'enjeu de la légitimité démocratique de Bruxelles. La Commission européenne, invisible dans cette crise, ne souffre pas seulement de la pâleur de son président, José Manuel Barroso, et de son orientation libérale. Son premier handicap est son mode de désignation indirect.
Alors, faut-il des Etats-Unis d'Europe ? Méfions-nous des slogans. Ce dessein paraît inaccessible. Il existe une limite à ne pas dépasser dans l'intégration politique, sous peine d'accentuer les crispations identitaires. La nation ne sera jamais une bannière ringarde.
Chaque pays a ses traditions, sa mentalité. Il ne serait pas réaliste, par exemple, de vouloir imposer une législation unique en matière de moeurs. Mais on peut avancer ailleurs ; créer une police aux frontières communes, ou encore harmoniser la vie publique (statut des élus, financement des partis, etc.).
Surtout, l'intégration doit se concrétiser en matière économique. Cela concerne aussi bien la préparation des budgets, la lutte contre les paradis fiscaux, l'harmonisation de la fiscalité, les grands chantiers et la révision de la politique agricole commune. Faut-il avancer à vingt-sept Etats, à dix-sept, à deux ? Si l'avenir de l'Union européenne réside dans la constitution de plusieurs cercles, plus ou moins intégrés, disons-le clairement. Cela nécessitera une modification des traités et une refonte des institutions.

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