TOUT EST DIT

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mercredi 23 novembre 2011

Et maintenant, allemand pour tous

"L'Europe parle allemand !", se réjouit le député allemand Volker Kauder. Attention à l’excès de confiance, met en garde la Berliner Zeitung. Ce n’est pas à cela que ressemble une fédération de démocraties libres. 

Quand Gerhard Polt a sorti au cinéma son formidable “Man spricht deutsh”, en 1988, on pouvait rire de bon cœur, et en toute innocence, de cette caricature des touristes allemands en Italie. Deux ans avant la réunification, il était indéniable que le chauvinisme empreint de condescendance des Allemands était certes monnaie courante dans les campings et autour des Stammtische [grandes tables réservées où se retrouvent des habitués], mais aussi que la politique de la RFA était profondément européenne, en pensée comme dans la pratique, et n’avait rien d’hégémonique.
Aujourd’hui, l’essayiste britannique Timothy Garton Ash préconise l’introduction d’un nouveau verbe dans la langue anglaise : to kauder. La définition : tenir des propos de comptoir sur la scène politique européenne. Il faisait ainsi référence au discours du chef du groupe CDU-CSU [au Bundestag] Volker Kauder le jour du congrès du parti. Ce proche de la chancelière Angela Merkel avait évoqué les événements de la semaine avec éloquence : “Aujourd’hui, tout d’un coup, l’Europe parle allemand !”

La satire devenue réalité

Volker Kauder ne faisait pas allusion au projet auquel s’accroche vainement la CDU de faire de l’allemand la langue d’usage à Bruxelles, mais au diktat de l’Allemagne imposant à ses voisins de mener une politique d’épargne et de stabilité, en d’autres termes une politique d’austérité. Moins de vingt-cinq ans après le film, la satire est devenue réalité.
L’Europe redoute l’hégémonie allemande quand les Allemands n’y trouvent rien à redire. Pour leurs dirigeants, c’est un succès. La conclusion des touristes du film de Gerhart Polt – l’Italie serait un beau pays s’il n’y avait pas les Italiens – est désormais reprise dans le quartier du gouvernement, à Berlin.
Après les désastres de la politique hégémonique allemande, que nous devons à Bismarck, Guillaume II et Hitler, et qui ont finalement conduit à une déchéance politique et morale totale de la nation allemande, l’intégration de la RFA dans la communauté européenne (occidentale) a toujours eu deux objectifs : le retour du pays dans la communauté internationale et une assurance contre ses ambitions hégémoniques.
C’est le mérite historique de Konrad Adenauer, de Willy Brandt et de Helmut Kohl que d’avoir conduit cette politique de manière à la fois crédible et fructueuse sur plusieurs décennies. Mais, lorsqu’on a entrevu, en 1990, qu’une Allemagne unifiée nettement plus puissante que les deux fragments d’Etat qu’étaient la RFA et la RDA allait émerger au cœur de l’Europe, les voisins de l’Allemagne, et certains cercles allemands, se sont demandé si cette politique allait pouvoir durer.
Helmut Kohl et les siens ont répondu avec Thomas Mann : “Nous ne voulons pas d’une Europe allemande, mais d’un Allemagne européenne.” Comme en gage de bonne volonté, ils ont même renoncé au mark, symbole aimé et choyé du miracle allemand de l’après-guerre.
Cependant, cette évolution s’est accompagnée d’un changement de mentalité qui, insidieux au départ, n’est apparu concrètement pour la première fois qu’avec le jugement de la Cour constitutionnelle sur le traité de Lisbonne en 2009. Celle-ci a souligné la souveraineté de l’Etat allemand comme si l’objectif était une Europe allemande. Mais il a fallu attendre la crise de l’euro pour que cette interprétation juridique ne devienne une pratique politique nettement plus rigide que toutes les décisions des juges de Karlsruhe.

Angela Merkel a une passion pour l'Europe

D’une certaine manière, il faut reconnaître à Volker Kauder le mérite de s’être affranchi des formules diplomatiques compassées avec ses fanfaronneries arrogantes et péremptoires. Peut-on encore parler d’Europe démocratique, égalitaire et diverse quand, sous la houlette de l’Allemagne, on impose aux pays du Sud de la zone euro, comme s’ils n’avaient pas le choix, la politique d’austérité échafaudée à Berlin et mise en œuvre par de prétendus gouvernements d’experts ? Et puis comment concilier la pression politique exercée par Berlin sur la Banque centrale européenne avec l’indépendance que celle-ci ne cesse de proclamer ?
Au crédit d’Angela Merkel, on peut dire qu’elle n’a pas cherché à endosser ce rôle directeur. Pourtant la puissance économique de l'Allemagne, qui a été d’abord le fruit d’un euro prospère, puis d'une politique d’austérité ces dernières années, oblige désormais la chancelière à exercer un leadership selon les intérêts allemands.
C’est ainsi que le projet de référendum en Grèce a été qualifié de menace, que la France a été poussée à emboîter le pas de l’Allemagne, et que la voie suivie débouche finalement sur un noyau dur d’inspiration allemande, composé des pays de la zone euro – et peut-être bientôt des seuls pays les plus solides de la zone euro.
Le fait qu’Angela Merkel vienne de se découvrir une passion pour l’Europe est une bonne nouvelle. Mais il s’agit d’une tout autre Europe que la fédération de démocraties libres et égales dont ses précurseurs avaient rêvé jadis.

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