TOUT EST DIT

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vendredi 15 juillet 2011

Euro : le bon, la brute et le truand

Quand la tragédie grecque rencontre la réalité, ce n'est pas du cinéma. Pourtant, c'est toute la zone euro qui se prend au jeu, avec trois Etats-membres qui jouent les premiers rôles : celui qui réagit, celui qui subit et celui qui en profite. Happy end non garantie...

Les rencontres internationales de Paris Europlace se tenaient la semaine dernière. L’occasion d’entendre – une fois encore – des grands responsables économiques issus des institutions européennes, des banques privées et tant d’autres réitérer leur confiance, leur foi dans la monnaie unique. Mais, plus encore, cette conférence fut l’occasion de revisiter un classique du western américain.

Le bon polonais

Dans le rôle du bon, le casting a retenu Varsovie. La Chine de l’Europe, en chiffres, 3,8% de croissance, et tout cela au cœur de l’Union européenne, rendez-vous compte, de quoi (enfin) bomber le torse. La stagnation ne serait donc pas une composante naturelle du marché unique.
Mais que peut donc bien partager la Pologne avec la République Populaire, mis à part d’avoir troqué les joies de l’économie dirigée pour une économie de marché ? Un drôle de calibre, un sacré revolver dans l’arsenal de la politique économique : la dévaluation. La Pologne a en effet lancé dès l’automne 2008 un processus de dévaluation de la monnaie nationale, le zloty, face à l’euro, la baisse se stabilisant à environ moins 25%[1]. Les produits polonais sont donc moins chers que les productions réalisées en zone euro et, par conséquent, la Pologne améliore ses exportations et réduit ses importations.
Cette arme, les pacifistes de la zone euro l’ont rangée au placard, soit. C’est leur choix. Mais il ne faudrait pas ensuite aller s’extasier sur les performances du voisin qui lui dégaine plus vite que son ombre.

Le truand grec

Pendant ce temps là, à Athènes, le truand, falsifie ses comptes, ne collecte pas les impôts et a l’outrecuidance de manifester pour ne pas voir son salaire amputer d’un quart. Le truand en chiffres, c’est un déficit de 10,5% en 2010, une récession économique de 4,5% du PIB et une dette qui représente 1,3 fois la production annuelle de l’ensemble du pays. La balance des paiements, différence entre les importations et les exportations, a atteint -12,5% de la production intérieure en moyenne sur les cinq dernières années[2].
Pourtant la productivité en Pologne n’est pas supérieure à celle de la Grèce. Pourtant, les Polonais ne travaillent pas plus, ni mieux que les Hellènes. En effet, le nombre moyen d’heures travaillées par personne atteint 2034 en Grèce, soit 19% de plus que la moyenne des pays de l’OCDE et 3,5% de plus qu’en Pologne. La productivité par heure travaillée en dollar est de 34,2 contre 23,1 pour la Pologne[3].Les tireurs joueraient donc bien à armes égales si l’un des deux n’avait pas les poches lestées de plomb.
Mais que fait le truand grec alors ? Un an et demi déjà qu’il braille et gesticule, autant le faire définitivement payer ce mécréant des finances publiques. Préparez le goudron et les plumes. La Grèce ne respecte plus les critères pour être dans la zone euro, ne les respectera pas avant très longtemps, et ne les respectait d’ailleurs pas lors de son entrée dans l’euro.

La brute allemande

Mais le scénario dérape. Là n’est pas l’intérêt de la brute qui sera interprétée avec brio par notre voisin d’Outre-Rhin. L’Allemagne, modèle de vertu, chantre du productivisme, de la rigueur budgétaire et des efforts, endosse étonnement le costume de la brute. Ils sont pourtant déjà bien généreux d’aider la Grèce, persiflent les plus précautionneux d’entre nous. C’est vrai que Berlin a plusieurs fois agité la menace de ne pas aider les pays de la zone euro en délicatesse avec leurs comptes publics ces derniers dix-huit mois : accord in extremis obtenu pour le sauvetage de la Grèce, promesses répétées aux électeurs que l’argent public avancé sera remboursé…
La brute, fière de ce qu’elle a accompli en dix ans de réformes sur le marché du travail et de modération salariale, cherche à imposer son modèle aux autres pays de la zone. Objectif louable, partager la vertu n’est jamais néfaste. Là où le bât blesse, c’est qu’on donne seulement la moitié de la potion aux Grecs, la plus amère, or le truand semble moins bien supporter le whisky frelaté que son illustre compagnon. La Grèce essaye de ramener son déficit primaire, c’est à dire avant paiement des intérêts issus de la dette, à zéro. Mais elle n’y arrivera pas si elle reste dans la zone euro. A cause de la cure d’austérité - nécessaire, rappelons-le -, la croissance sera nulle ou très faible dans les prochaines années. De tels efforts doivent être accompagnés d’une contrepartie, d’un nouvel élan et la dévaluation monétaire est susceptible de redonner cette impulsion.

La bourse ou la vie

Mais la brute ne veut pas que le truand abandonne l’euro. Elle lui remplit donc sa bourse avec parcimonie piécette par piécette tout en sachant bien que ces solutions de court terme ne permettent pas de résoudre le problème. Mais alors pourquoi vouloir sauver l’euro dans ces pays « qui ont beaucoup de vacances » dixit la chancelière Merkel [4] ? Parce que, la brute a profité de l’euro. A tel point que le dernier rapport du Conseil d’Analyse Economique [5] affirmait que « la croissance allemande a été principalement alimentée par la demande extérieure, notamment européenne » et que « cette expérience semble [donc] difficile à généraliser à l’ensemble des pays européens » [6].
L’euro est un bienfait, il est un symbole fort d’intégration politique et un avantage économique pour les pays qui partagent les économies les plus intégrées et les plus proches. Mais l’euro n’est pas d’airain, la politique n’est pas une fiction et le monde ne se divise pas en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent. Au rythme où vont les événements, la Grèce creuse certainement son tombeau et celui de l’Europe toute entière.
Qu’attendons-nous, poursuivre le rapport de force revolver au poing, pousser la Grèce dans les bras d’un populisme qui saisira la première occasion pour faire défaut intégral de la dette, sortira de la zone et plus sûrement de l’Union Européenne ? La zone euro vivra sans la Grèce tout comme la République hellénique vivra sans l’euro, veillons donc plus sagement à lui redonner de quoi redémarrer un cycle économique sur des bases saines tout en nous assurant que les contribuables français, allemands ou italiens cessent d’être mis à contribution pour des plans de sauvetage aussi inutiles qu’improductifs.
Aux persifleurs, le déficit du budget de l'Etat français est ressorti à 68,4 milliards d'euros en mai 2011, soit pire qu’en mai 2010, en raison de la dégradation du solde des comptes spéciaux de 12 milliards d'euros, suite au prêt octroyé à la Grèce [7].
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[1] D’après l’INSEE, l’euro s’échangeait contre 3,2 zlotys à son plus bas en juillet 2008, et vaut 4 zlotys en moyenne sur les deux dernières années
[2] Statistiques de l’OCDE pour les années 2005 à 2010
[3] Statistiques de l’OCDE pour l’année 2009
[4] Discours du 2 mai 2011 à Berlin
[6] Voir aussi Floyd Norris, "Euro Benefits Germany More Than Others in Zone", New York Times, 22 avril 2011
[7] Ministère du budget, des comptes publics et de la reforme de l’Etat, Situation mensuelle budgétaire au 31 mai 2011, 8 juillet 2011

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