TOUT EST DIT

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lundi 13 juin 2011

Pourquoi l'affaire DSK nous invite à changer de République

Dans le débat sur la vie privée, relancé par l'affaire Strauss-Kahn, inculpé pour le viol d'une femme de chambre à New York, les Français oublient souvent l'effet du fondement de leur vie politique : les institutions. Pourtant, la Ve République et sa personnalisation du pouvoir portent en germe la dérive actuelle.


Un jour de février, 509 ans avant notre ère, Sextus Tarquin, fils du roi de Rome Tarquin le Superbe, surgit dans la demeure du noble Collatin et abusa par la violence de sa femme Lucrèce. Meurtrie, cette dernière se donne la mort quelques jours plus tard. Ôtant alors, selon le récit de Tite-Live, le poignard de son corps fumant, Lucius Brutus jure alors « d'abolir à tout jamais la monarchie ». Le drame privé était devenu une crise d'État qui finit par « rendre à Rome le nom de monarchie odieux », rappelle Plutarque. Instinctivement, le peuple romain ne fit aucune distinction entre le geste de Sextus et le régime personnel de son père. Ce dernier, nous dit encore Tite-Live, fut le premier à « gouverner avec des conseillers privés, sans demander l'avis du peuple et du Sénat ». La personnalisation du pouvoir, inédite jusqu'alors, avait conduit à ce que les actes privés du roi et des siens étaient devenus des actes politiques.
Deux millénaires et demi plus tard, la France peut à son tour ressentir ce fait : dans un régime poussé à l'extrême de sa personnalisation comme celui de la Ve République, la distinction entre vie privée et vie publique n'a guère de sens. Depuis qu'en 2001 a été instauré le quinquennat et, surtout, la préséance de l'élection présidentielle sur l'élection législative, le pouvoir exécutif n'est guère limité : le Parlement est une chambre d'enregistrement et il est loisible au président de « gouverner avec des conseillers privés ». Du reste, cette personnalisation, par le canal du scrutin majoritaire, irrigue l'ensemble de la vie politique française. Partout, il faut voter pour un homme, c'est-à-dire d'abord pour une apparence. Le début de la campagne présidentielle actuelle, qui s'annonce déjà comme l'une des plus déplorables que la République ait connue, n'a-t-il pas montré qu'un bon candidat doit renoncer à tout embonpoint pour convaincre les Français. Car, enfin, comment le peuple confierait-il son destin à un personnage légèrement enveloppé ?
Dans un tel système, rien n'est plus logique que la volonté du peuple d'en savoir le plus possible sur les hommes et les femmes qui sollicitent son suffrage. La vie privée d'un candidat est une part de sa personnalité et puisque celui qui deviendra le chef suprême n'aura guère de contre-pouvoirs en face de lui, il ne semble pas scandaleux que l'électeur en ait une connaissance exhaustive. Avant de donner des pouvoirs quasi illimités à un candidat, ne doit-on pas juger pleinement de son courage, de ses lâchetés, de ses forces et de ses faiblesses de caractère ? Si l'élection présidentielle est réellement, comme le prétendent les candidats, une « rencontre entre un homme et le pays », n'est-il pas légitime que le pays exige de l'homme qu'il se mette à nu ? Ne doit-on pas avoir connaissance de sa réalité intime pour faire contrepoids à la propagande de l'apparence ? L'examen de la vie privée devient alors une défense contre les stratégies publicitaires des candidats. Aussi pourra-t-on établir toutes les thèses savantes que l'on voudra sur la moralité, le respect de la vie privée ou la spécificité « latine » de la France, la logique des institutions de ce pays mène à un dévoilement de la vie privée des candidats à la fonction suprême, justement parce qu'elle n'a jamais été aussi suprême.
Le débat sur la vie privée ne doit donc pas faire l'impasse sur l'essentiel : la superstructure institutionnelle. Le peuple romain, après la mort de Lucrèce, ne voulut plus entendre parler de rois, il donna le pouvoir exécutif à deux consuls dont les pouvoirs, égaux entre eux, étaient surveillés et encadrés par le peuple, le Sénat et les tribuns. L'historien grec Polybe a fait de cette constitution la source de la conquête romaine du monde connu. Et pourtant, les consuls étaient élus chaque année. Mais la France est encore engluée dans la propagande gaulliste de l'après-guerre qui veut que, sans pouvoir personnel, l'État soit inefficace et décadent. Pourtant, c'est bien le régime parlementaire de la IIIe République qui parvint à redresser par deux fois, en 1871 et 1918, une France épuisée par la guerre. Malgré l'instabilité ministérielle chronique, malgré des scrutins de listes, malgré l'absence de pouvoir personnel ! Son échec de 1940 est militaire et moral plus que politique. Plutôt donc que de se lamenter sur les unes des médias consacrés aux historiettes érotiques des uns et des autres, les Français devraient donc s'interroger sur les institutions qui nous ont conduits à ces excès. Car Régime polyarchique ou parlementaire, les alternatives existent, que la France se soucie désormais d'abord de ses immenses défis économiques, sociaux et politiques.

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