TOUT EST DIT

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samedi 11 juin 2011

Ni à l’Est, ni à l’Ouest, mais vers le haut

Contrairement à l’Union européenne en plein marasme économique et politique, c’est un pays sûr de lui et en plein essor économique qui se rend aux urnes le 12 juin. Une puissance émergente érigée en modèle par les démocraties moyen-orientales naissantes que l'UE n'a pas su garder dans son giron. 

Cela faisait des années qu'on se demandait si la Turquie était européenne ou asiatique, si elle était tournée vers l'Occident ou vers l'Orient, et on a enfin trouvé la réponse. En fait, la question était mal posée. La Turquie ne va ni vers l'est ni vers l'ouest, elle va vers le haut. En seulement une décennie, la Turquie a vu son PIB multiplié par quatre, passant de 200 à 800 milliards de dollars (550 milliards d'euros); elle a triplé son revenu par habitant, qui est passé de 3 000 à 10 000 dollars; elle a réduit sa dette publique de 75 % à 40 % du PIB et ramené sa prime de risque très en dessous du niveau de la plupart des pays du Sud de l'Europe.
Entre-temps, l'Union européenne stagne, et beaucoup se demandent si elle n'a pas cessé de progresser, si son avenir n'est pas marqué par le déclin, si les Européens ne sont pas résignés à un recul de leurs niveaux de vie.

Les calvinistes islamiques

Alors même que l'Europe débattait sur l'adhésion de Turquie, s'offrant le luxe de négliger ce pays, voire de le mépriser ouvertement, les Turcs ont battu en brèche tous les stéréotypes et ont volé de succès en succès. Certains parlent même de "calvinistes islamiques" pour décrire la nouvelle classe d'entrepreneurs turcs, apparue dans les villes les plus dynamiques d'Anatolie. Cette Turquie pauvre et analphabète qu'on nous a si souvent dépeinte, qu'on disait peuplée de paysans anatoliens ignorants, avides de prendre d'assaut la forteresse du bien-être européen, appartient au passé.
Dans les rues de Rabat, de Tunis ou du Caire, l'Europe a cessé d'être le modèle à suivre au profit de la Turquie, un pays qui démontre qu'il peut être à la fois musulman, démocratique et prospère, et même avoir une politique extérieure indépendante, non soumise aux diktats de l'Occident. Apparue dans un espace méditerranéen sous le joug de dictatures serviles, la Turquie [du Premier ministre] Recep Tayyip Erdogan laisse présager un avenir où de nombreux régimes indépendants et fiers n'hésiteront plus à montrer du doigt l'Europe quand elle appliquera deux poids, deux mesures face à Israël, à l'ouverture des marchés, aux droits de l'homme, à la prolifération nucléaire ou à l'immigration.
On le voit, les Turcs n'ont jamais connu un meilleur niveau de vie ni envisagé l'avenir avec autant d'optimisme. Dès lors, rien d'étonnant à ce que personne ne doute de la victoire du Parti pour la justice et le développement (AKP) aux élections législatives de dimanche prochain: le seul doute (et source d'inquiétude) est de savoir s'ils obtiendront les 367 sièges (sur un total de 560) qui permettront au parti d'Erdogan de modifier unilatéralement la Constitution sans devoir organiser de référendum, et d'accentuer à ce que beaucoup perçoivent comme une dangereuse dérive autoritaire qui se manifesterait depuis quelques années.

Erdogan pourrait s'inspirer du modèle russe

Jusqu'à présent, la perspective d'adhésion à l'UE a eu des répercussions très favorables sur la politique intérieure de la Turquie: pour les islamistes, l'Europe était la garantie que les militaires n'interviendraient pas dans la vie politique, comme ils l'avaient souvent fait par le passé; pour les militaires, les laïques et les libéraux, que la majorité islamiste ne leur impose pas leurs valeurs et ne restreigne pas les droits de l’homme et les libertés individuelles.
Mais au fur et à mesure que le lien avec l’Europe s’affaiblit – les négociations d’adhésion sont complètement bloquées et le nombre de Turcs persuadés que la procédure d’adhésion va aboutir est chaque fois moins important – les islamistes de l’AKP augmentent leur marge de manœuvre.
C’est pourquoi, même si la Turquie d’aujourd’hui est infiniment plus démocratique, plus riche et plus stable que celle qui avait obtenu une promesse d’adhésion en 1999 et qui avait entamé les négociations en 2005, d’aucuns craignent qu’une majorité aussi forte ne permette aux islamistes de se détacher du poste démocratique auquel l’Europe les avait ancrés.
Si pour de nombreux Arabes, la Turquie est un modèle, la référence des islamistes du AKP n’est pas nécessairement notre idéal européen: certaines mauvaises langues vont même jusqu’à dire qu’Erdogan pourrait bien vouloir s’inspirer d’un autre archétype européen: la Russie de Poutine, un autoritarisme déguisé en démocratie, avec des médias et des entreprises complètement assujettis au pouvoir politique.
Si cette dérive autoritaire venait à s’imposer, l’Union Européenne (qui a fait preuve de maladresse et de myopie dans ses relations avec la Turquie) aura laissé passer une occasion stratégique unique de faire de la Turquie un pays phare de la démocratie qui aurait pu rayonner dans toute l’Asie Centrale et le Caucase, le Proche-Orient et le nord de l’Afrique.

Elections

Super Erdogan vers un troisième mandat

Au cours de cette dernière législature, des inquiétudes concernant [le Premier ministre Recep Tayyp] Erdogan s'expriment de façon croissante. L'excès de confiance d'Erdogan qui se voit comme "le seul homme de la situation" suscite de craintes. A fortiori lorsqu'il évoque la possibilité que la Turquie évolue vers un système présidentiel inspiré du modèle français voire russe. Le gouvernement AKP, qui considère le développement non pas comme un moyen mais comme une fin en soi et qui considère que "la croissance doit se faire à n'importe quel prix", ne prête par exemple aucune attention à la défense de l'environnement. 
Malgré tout cela, grâce à ses succès sur le plan économique et parce qu'il a réussi à faire reculer le système imposant la tutelle d'une oligarchie bureaucratique sur la société, il est évident que l'AKP va rempiler pour une troisième législature.
Mais pour qu'une démocratie puisse fonctionner correctement, il faut une opposition conséquente et attachée aux principes démocratiques. Les tentatives menées par Kemal Kiliçdaroglu, nouveau président du Parti républicain du peuple [CHP, kémaliste, opposition parlementaire], pour que son parti ne soit plus systématiquement associé à l'appareil d'Etat, de même que ses tendances désormais affichées à vouloir défendre les libertés, permettent d'envisager que le CHP puisse un jour véritablement incarner cette opposition démocratique. 
La possibilité par ailleurs que le Parti pour la paix et la démocratie [BDP, pro-kurde] puisse cette fois être représenté à l'Assemblée nationale par un groupe plus important [il dispose actuellement de 20 députés] représente un autre enjeu de taille de ce scrutin dans la mesure où cela permettrait aux Kurdes d'exprimer leurs revendications dans un contexte démocratique. Sahin Alpay, Zaman, Istanbul (extraits) 
Une version inégrale et en français de cet article est disponible sur le site de Courrier international.

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