TOUT EST DIT

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mercredi 29 septembre 2010

Air France ou la tentation du low cost

Il est rare qu'une entreprise de plus de 70.000 personnes, leader dans son secteur, en vienne à s'interroger collectivement sur son modèle économique. C'est ce qui est en train de se passer chez Air France. Depuis plusieurs mois, un débat interne agite en effet la compagnie aérienne autour d'une question centrale : doit-elle se doter d'une filiale à bas coûts pour riposter aux compagnies low cost ?

Officiellement, la question ne se pose pas. La direction d'Air France-KLM l'a encore réaffirmé récemment dans un communiqué interne : « La création d'une compagnie low cost n'est pas d'actualité et la direction continue de privilégier la recherche de solutions en interne. » Toutefois, une réflexion est en cours « pour trouver les voies et moyens d'une croissance rentable », qui passerait par une réorganisation du réseau domestique d'Air France autour de bases régionales, avec des personnels dédiés et une utilisation plus intensive des avions (« Les Echos » du 3 septembre). Cette réflexion est déjà bien avancée puisqu'un premier projet sera présenté aux partenaires sociaux « dans le courant du mois d'octobre ».

Chez les salariés, inquiets face à l'attrition constante du réseau moyen-courrier, l'attente est forte. Au cours des dernières années, Air France a enchaîné les plans d'économies, sans jamais parvenir à enrayer l'érosion de sa part de marché sur le trafic intra-européen, passée de 8 % en 2005 à 5,5 % en 2010, quand Ryanair progressait de 8 % à 14,5 % et Easyjet, de 8 % à 11 %. Et sur les dix dernières années, le réseau intra-européen d'Air France a connu seulement deux années bénéficiaires, en 2005 et 2006. La crise n'a fait qu'amplifier la tendance.

La première réponse de la direction a consisté à tailler dans les coûts, en lançant en mars dernier sa nouvelle offre européenne (NEO) : un service remanié, censé mieux répondre aux attentes de la clientèle, mais qui reste avant tout un plan d'économies. Il devrait améliorer le résultat d'exploitation de 350 millions d'euros sur l'exercice 2010-2011 et de 560 millions sur 2011-2012. De quoi ramener le moyen-courrier à l'équilibre, mais pas de quoi reprendre le terrain perdu, ni combler l'écart de productivité avec les low cost. Dans le meilleur des cas, NEO se traduirait par un gain de productivité de 20 %. Mais Easyjet a des coûts 50 % moins élevés que ceux d'Air France. Un écart tel que même si les équipages de la compagnie franco-néerlandaise volaient demain gratuitement, cela ne suffirait pas à la ramener au niveau de coût de sa concurrente britannique !

D'où la tentation de repartir de zéro, en créant une nouvelle structure low cost. Après tout, Air France l'a déjà fait, en créant de toutes pièces en 2007, Transavia France, pour revenir sur le marché charter. Trois ans plus tard, Transavia France est proche de l'équilibre, et est la seule filiale dont le chiffre d'affaires a augmenté l'an dernier. Les pilotes y sont aussi bien payés qu'à Air France, même s'ils volent davantage : 800 heures par an environ contre 560 heures en moyenne sous pavillon Air France. Mais surtout, Transavia ne supporte pas les mêmes coûts d'escale, de catering et de distribution. Ainsi à Marseille, Transavia n'a pas hésité à s'installer dans l'aérogare MP3 dévolu au low cost, plutôt que de faire appel aux agents d'escale Air France.

Dès lors, pourquoi ne pas étendre l'expérience aux lignes intérieures et européennes ? Pas si simple. Si le modèle low cost permet une productivité optimale sur les vols courts et sans correspondance, il est totalement inadapté à l'alimentation des « hubs » de Roissy-Charles-de-Gaulle et Amsterdam-Schiphol, principale raison d'être du réseau moyen courrier d'Air France, qui exige de caler les horaires sur les cinq plages de correspondance et toute une série de choses coûteuses, comme un système de réservation sophistiqué, des agences de voyages, du personnel d'escale nombreux, un service différencié…

L'activité purement « point à point » d'Air France, comme les vols au départ d'Orly et les lignes interrégionales non reliées au « hub », serait, en revanche, bien adaptée au modèle low cost. Mais sauf à vouloir déclencher un conflit so-cial majeur, un transfert d'activité d'Air France vers une structure low cost ne pourrait s'envisager que sur la base du volontariat. Ce qui suppose des conditions au moins aussi attractives que celle de la maison mère, au risque d'y importer une partie des surcoûts. Et que faire de ceux qui ne voudraient pas être transférés ? La seule possibilité serait de les recaser sur le réseau traditionnel d'Air France au départ de Roissy-CDG, au risque d'aggraver encore la perte de productivité liée aux transferts d'activité. A moins d'envisager un nouveau plan social, de type « départs volontaires », dont le coût financier risquerait d'obérer pour longtemps les bénéfices attendus de la création d'une filiale low cost.

Quant à limiter le champ d'action de cette dernière aux lignes abandonnées ou non desservies par Air France, cela reviendrait à l'obliger à boxer avec une main dans le dos, en lui interdisant l'accès aux axes les plus rentables. Et surtout, cela ne résoudrait en rien le manque de productivité d'Air France sur les lignes les plus rentables, les plus susceptibles d'être attaquées par les compagnies à bas coûts.

Autant d'obstacles à la création d'une filiale low cost, qui semblent donner raison à la formule consacrée, selon laquelle « on naît low cost, on ne le devient pas ». British Airways en avait fait la douloureuse expérience avec sa filiale GO, revendue en 2002 à Easyjet. Même les grandes compagnies américaines, qui ont presque réussi à ramener leurs coûts au niveau des low cost, au prix de dizaine de milliers de licenciements et d'un endettement colossal, ne sont pas parvenues à reconquérir une once du terrain perdu. Restent les solutions alternatives, jamais mises en oeuvre , comme une alliance stratégique avec une low cost ou le rachat pur et simple de l'une d'entre elles. L'idée n'est pas absurde, mais elle est peut-être déjà hors de portée d'Air France-KLM, dont la capitalisation est désormais inférieure à celle de Ryanair.

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