TOUT EST DIT

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lundi 3 mai 2010

Jean-Louis Dumas, ancien PDG du groupe de luxe Hermès

Arpenteur de continents, petit carnet de croquis et mini-boîte d'aquarelles en poche, chasseur de rêves, Jean-Louis Dumas, le charismatique PDG du groupe Hermès, retiré pour raison de santé en 2006, est mort à Paris, samedi 1er mai, à 72 ans.
Homme de synthèse, également doté du sens des affaires et du talent du poète, marchand et stratège avisé, artiste accompli, Jean-Louis Dumas a propulsé l'entreprise familiale au rang de multinationale présente sur les cinq continents. Après avoir été directeur général d'Hermès durant sept ans, sous la houlette de son père, il a tenu seul pendant près de trente ans les rênes de l'ancien sellier du 24, faubourg Saint-Honoré, à Paris, devenu la griffe emblématique de l'excellence du "fait main" français, créé par son arrière-arrière-grand-père, Thierry Hermès, en 1837.

Mais c'est moins de cette place unique qu'il s'est taillé dès les années 1980 dans l'univers du luxe dont il aimait parler, que de cette volonté de maintenir l'artisanat au coeur de l'entreprise Hermès. Par-dessus tout, c'était la magie de l'objet qui l'occupait, et ces savoir-faire qu'il a su faire vivre en dépit de la machine à broyer industrielle.

Jean-Louis Dumas aura assuré l'indépendance et la réussite financières de l'entreprise comme la cohésion familiale. Sept cousins et cousines occupent encore des postes-clés, dont son fils, Pierre-Alexis, à la direction artistique générale du groupe Hermès. La famille détient 74 % du capital après l'introduction en Bourse que Jean-Louis Dumas mena avec succès en 1993. La valeur corrigée de l'action équivalait alors à 5 euros ; elle est à 100 aujourd'hui. En dix-sept ans, le chiffre d'affaires a été multiplié par quatre, le bénéfice net par dix.

Jean-Louis Dumas a veillé à équilibrer les présences à l'étranger autour de trois grands pôles : l'Asie, l'Europe et les Etats-Unis. Déjà trente-six boutiques sont ouvertes en Chine, dans le sillage du Japon, où Hermès, présent dès 1961, avait implanté une trentaine de magasins en 1989.

L'INDE, PAYS D'ADOPTION

Né à Paris en 1938, Jean-Louis Dumas passe sa licence en droit et sciences économiques (Paris, 1959) et son diplôme de sciences politiques Paris (IEP, section Ecofi, 1960). Il est brièvement sous les drapeaux en Algérie, juste avant les accords d'Evian.

Son premier grand voyage, en 1959, pour l'Inde, via l'Afghanistan, à bord d'une 2 CV, un Paris-Katmandou sponsorisé par Citroën, le marquera à vie. L'Inde est son pays d'adoption, vers lequel sans cesse il revient et où il ne compte pas les amis. Jusqu'à Indira Gandhi, qu'il aide à organiser, en 1985, l'Année de l'Inde en France.

En 1962, il épouse la Grecque Rena Gregoriadès. De la Grèce, il aime tout : les gens, la mythologie, la culture dans ce qu'elle a de généreux et de spontané. Sa maison d'Egine est toujours pleine d'amis et d'enfants. L'hospitalité était du reste une de ses grandes qualités : ses deux enfants, Pierre-Alexis et Sandrine, ont souvent pesté, à Paris, de devoir laisser leur chambre aux amis de passage.

Cinquante ans durant, jusqu'à la mort de Rena, voilà tout juste un an, le couple, fusionnel, partage un amour complice et la même obsession pour la perfection de l'ouvrage : Rena, architecte d'intérieur et designer, a conçu et meublé les 300 magasins Hermès à travers le monde, dont ce beau pavillon de verre construit en 2001 à Tokyo par Renzo Piano, devenu un intime.

Ce 1er mai 2010, Jean-Louis Dumas serait parti porter du muguet à sa femme, comme il le faisait chaque année, se console Pierre-Alexis. C'est ce fils cadet, né en 1966, marié, père de trois enfants, entré chez Hermès en 1992, qui lui emboîte le pas. Sandrine, sa fille aînée, née en 1963, mariée, deux fils, est comédienne et réalisatrice : en 2005 elle mettait en scène Anouk Aimée et Philippe Noiret dans Love Letters, d'A. R. Gurney. Elle tourne actuellement L'Invention des jours heureux, avec Katia Golubeva et Tien Shue.

Après une année passée à New York comme "assistant acheteur" chez Bloomingdale's, Jean-Louis Dumas arrive chez Hermès, en 1964. A 26 ans, quatrième de six enfants, il est baigné par l'aura de son grand-père, Emile Hermès, par son charisme, sa bonté, son raffinement, sa droiture, sa manière de marier fantaisie et réflexion. Des traits de caractère dont il a hérité.

En 1971, il est nommé directeur général, sous la coupe de son père, Robert Dumas, l'un des trois gendres d'Emile Hermès, lequel avait quatre filles, qui dirige l'affaire. Déjà Jean-Louis veut développer Hermès partout à l'étranger, imposer son style, avec une énergie débordante.

En 1978, il devient président du groupe Hermès. Très vite, il est présent sur tous les continents. Il fait sien le dicton Meiji : "Secouons la tradition pour la nourrir." Il redéploie les activités de la soie, du cuir, du prêt-à-porter, ajoute de nouveaux métiers aux techniques traditionnelles. Jean-Louis Dumas crée la filiale horlogère La Montre Hermès SA, à Bienne, en Suisse. Il lance l'émail et la porcelaine, acquiert le bottier anglais John Lobb, le cristallier Saint-Louis et l'orfèvre Puiforcat. Son choix de Jean Paul Gaultier, le trublion de la mode, pour dessiner les collections féminines fut aussi détonnant que concluant : quand Gaultier commence à jouer avec les cuirs et soies de la griffe, sa fantaisie fait mouche, et les ventes de ce secteur explosent.

SAGESSE ÉCONOMIQUE

Patrick Thomas, que Jean-Louis Dumas a nommé gérant d'Hermès International, en 2006, avant son retrait, salue "sa très grande sagesse économique : il veillait à l'indépendance plus qu'à la rentabilité, avec une trésorerie positive. La presse, qui le lui reprochait, aujourd'hui l'encense. Les événements lui ont donné raison".

Excellent homme d'affaires, à la fois gérant et directeur artistique, Jean-Louis Dumas avait les deux fonctions. "Avisé et prudent, il a pris le pouvoir en 1978 et su donner à cette grosse maison d'artisanat qu'était Hermès une dimension internationale, alors que le marché du luxe n'existait pas encore. Il a été l'artisan de la maîtrise des métiers." Aujourd'hui, Hermès fabrique 80 % des objets et produits vendus sous son nom. Les savoir-faire qu'il a acquis en passant des accords avec les fournisseurs, jusqu'à les racheter, sont la grande force de la marque.

Très tôt, Jean-Louis Dumas a considérablement développé la communication en la centrant sur l'objet lui-même. C'est ce qui fédère les équipes et les artisans d'Hermès. Dans la maison, il est adulé : il préfère mêler humour et poésie plutôt que de parler chiffres. A un analyste financier qui le questionnait sur sa stratégie financière, il répond : "Que mes petits-enfants soient fiers de moi."

Doué d'un humour décapant, adorant faire le pitre, Jean-Louis Dumas était un chef de bande qui savait entraîner ses troupes derrière lui. Ses yeux rieurs, pleins de malice, allaient avec son goût de la fête. Entre le Pont-Neuf le pont des Arts, à Paris, il organisa en 1987 un gigantesque feu d'artifice pour les 150 ans de la maison.

C'est Jean-Louis Dumas qui a lancé l'idée du thème annuel, fil conducteur des collections... et toujours l'occasion de joyeuses fêtes. Une fois l'an, il embarquait ses équipes à la rencontre des artisans du bout du monde, en Inde, au Japon, en Tunisie, l'occasion encore de tisser des liens.

En 2008, sa fille Sandrine trie des centaines de photos pour exposer son travail photographique en noir et blanc à la Maison européenne de la photographie, à Paris. Scènes de vie, images volées au cours de ses voyages : pendant quarante ans, son appareil aura été son compagnon fidèle. Jean-Louis Dumas le sortait à tout bout de champ, sans déranger. "Taquin, tendre, malicieux, vif, noisette. Mon père a toujours réfléchi par les yeux, il a l'oeil communicatif et bavard. Il n'a jamais cessé de regarder, d'observer, d'absorber ce qu'il voyait, pour ensuite le partager. Il aimait établir des passerelles, créer des liens entre son travail et le reste du monde... Mon père a toujours été curieux, c'est probablement sa plus belle qualité, la maîtresse poutre de son histoire qui a guidé sa route et ses choix", écrivait-elle en préambule.

Au questionnaire de Proust, quand on lui demandait où il voudrait vivre, Jean-Louis Dumas répondait : "Partout." Il voulait mourir "jeune, le plus tard possible". A sa manière, il aura réussi cela aussi : avoir toujours 20 ans.
Florence Evin

1 commentaires:

Anonyme a dit…

Il n'avait pas 82 ans, mais 72 ans.