TOUT EST DIT

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samedi 23 janvier 2010

Vincent Peillon juge "serviles" les patrons de la télévision publique

Invité le jeudi 14 janvier par France 2 à débattre en début de soirée avec Eric Besson et Marine LePen sur l'identité nationale, l'eurodéputé socialiste Vincent Peillon avait spectaculairement fait faux bond à la chaîne publique. Un coup d'éclat que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a déploré.
Votre défection a été perçue comme un "coup médiatique". Avec le recul, pensez-vous toujours avoir eu raison ?

Les Français sont préoccupés par l'emploi, la santé, l'éducation, le logement, mais l'audiovisuel public a décidé de programmer une série de débats sur l'identité nationale et l'immigration. Un débat qui fait honte à la France et stigmatise plusieurs millions de nos compatriotes. Sept émissions sur neuf organisées aux heures de grande écoute ont été consacrées essentiellement à cette question. Il fallait arrêter cela. Mais comment se faire entendre ? Le président de la République a déjà la mainmise sur de nombreux médias privés, par sa proximité avec les propriétaires des principaux grands groupes privés. Et maintenant, cela concerne le service public ! Dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, la France est aujourd'hui 43e. Elle était 11e en 2002.

La gauche y est pourtant régulièrement invitée et peut s'exprimer librement.

Il a fallu deux ans au CSA, composé de neuf membres entièrement nommés par la droite, pour décider qu'il faudrait rééquilibrer le temps de parole du président de la République avec celui de l'opposition. Mais il lui a fallu 24 heures pour condamner mon refus de cette dérive du service public…

Pourquoi avoir d'abord menti et fait mine d'accepter l'invitation ?

Lorsque j'ai été invité, on ne m'a pas dit que le débat serait organisé autour d'Eric Besson. Je ne savais même pas, d'ailleurs, qui seraient les invités. Je l'ai appris plus tard en lisant Le Parisien, le 17 décembre. J'étais dans le train, de retour de Strasbourg avec Marielle de Sarnez. Le 9 janvier, je ne sais toujours pas quel sera l'ordre des débats. Ces deux scènes ont été filmées par des journalistes et sont visibles sur Internet, contredisant ceux qui me traitent sans vergogne de voyou. C'est Arlette Chabot qui finira par m'apprendre le déroulé, le jour même du débat à 11 h 25.

Réclamer publiquement la démission d'un journaliste n'est cependant pas la preuve la plus éclatante du respect de la liberté des médias…

Arlette Chabot est directrice générale adjointe du groupe France Télévisions, et j'ai aussi mis en cause la responsabilité du président et du directeur général. Ce ne sont pas de simples journalistes. Ce sont les dirigeants du service public et les responsables de cette programmation, contestée aussi par de nombreux journalistes.

Vous regardez tous les jours le journal télévisé de France 2 et de France 3, vous ne pouvez pas dire qu'il est aux ordres !

Les rédactions font ce qu'elles peuvent, mais la perspective de la nomination du président du service public par le président de la République exerce déjà une pression sur leur travail et favorise la servilité de certains dirigeants. Il faut revenir sur cette décision. Mais il faudra aussi réformer le CSA pour le rendre indépendant et pluraliste, assurer, comme dans d'autres pays européens, des ressources stables au service public et à la presse qui ne passent pas par les cabinets des ministres. Une vraie loi anticoncentration est aussi indispensable.

Le problème de la gauche n'est-il pas qu'elle se laisse dicter l'agenda politique par Nicolas Sarkozy parce qu'elle est incapable d'avancer ses propres arguments sur le chômage, l'éducation ou la fiscalité ?

En septembre 2009, j'ai proposé dans un livre une réforme globale de l'éducation, y compris une idée iconoclaste à gauche comme l'augmentation de 50 % du temps de présence des enseignants dans leur établissement, accompagnée d'une revalorisation de leur salaire. Cela ne m'a pas valu le moindre écho dans la presse. A Dijon, ce n'est pas la teneur de nos travaux auxquels participaient syndicats, experts, grandes associations qui nous a valu la présence de TF1 et France 2, mais la venue spectaculaire de Ségolène Royal… Ce qui conduit nos concitoyens à juger sévèrement et les médias et les politiques.

Votre génération semble prise dans son propre narcissisme, avide d'apparaître dans les médias. Vous-même avez abandonné votre statut de philosophe pour une version plus brutale et spectaculaire de la politique.

On aime les philosophes lorsqu'ils n'agissent pas et restent à leur place dans leur bibliothèque. Je m'y refuse. Leur place est dans la cité. Mais c'est vrai, il y a beaucoup de candidats pour venir se montrer à n'importe quel prix. J'aurais bien sûr préféré pouvoir dire solennellement que je ne viendrais pas sur France 2 et que l'ensemble du Parti socialiste me suive. J'en ai parlé avec Martine Aubry. Mais les choses sont ainsi faites qu'un remplaçant se serait vite proposé.

Le rassemblement que vous avez fondé avec Daniel Cohn-Bendit, Marielle de Sarnez et Robert Hue débat justement ce week-end de la VIe République. Comment réorganiser les pouvoirs en France ?

Ce sont nos institutions qui permettent cette concentration des pouvoirs autour d'un président qui organise l'abaissement des ministres et du Parlement. Souvenons-nous du conseil d'administration de France Télévisions supprimant sur ordre la publicité après 20 h 30, alors que les parlementaires n'avaient même pas encore débattu de la question. Je suis partisan d'un parlementarisme plus fort. Il faudra aussi poser la question de la proportionnelle, qui permet le respect, oblige à la délibération et au compromis.

C'est-à-dire le retour à un régime parlementaire ?

Oui, notre pays gagnerait à être conduit par des gens dont la principale préoccupation ne soit pas d'abord leur image ou les sondages.

Si les primaires socialistes avaient lieu aujourd'hui, quel serait votre candidat ?

La question ne se posera que vers la fin du premier semestre 2011. D'ici là, nous devons nous rassembler, définir une stratégie d'alliance et construire des propositions précises. Mon choix se portera vers celle ou celui qui permettra véritablement que l'on tourne la page Sarkozy. Notre génération n'a pas encore pris la parole dans l'Histoire. Elle doit écrire son propre récit. 2012 est un bon rendez-vous pour cela. Nous avons besoin d'une VIe République.
Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué et Jean-Michel Normand

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