La personnalité et le rôle du conseiller spécial exaspèrent certains proches de Nicolas Sarkozy. «Le président est le seul qualifié pour me juger !», rétorque-t-il.
La scène se passe mercredi matin, lors de la réunion de cabinet de l'Élysée, dans le salon vert, où le secrétaire général, Claude Guéant, réunit chaque jour, à 8 h 30 précises, les collaborateurs du président. En face de lui, le fauteuil présidentiel est vide. Nicolas Sarkozy ne participe plus depuis longtemps aux réunions de cabinet, mais personne ne se permettrait d'occuper ce fauteuil. Autour de la table, douze ou treize proches collaborateurs du chef de l'État. Chacun trouve sa place, toujours la même. Sont notamment présents les grands conseillers, Xavier Musca, secrétaire général adjoint et conseiller économique, Jean-David Levitte, sherpa du président, et Raymond Soubie. Ce jour-là, la conversation roule sur Henri Guaino.
Raymond Soubie n'a pas du tout apprécié que le conseiller spécial du président ait applaudi la pétition d'intellectuels parue dans le JDD contre le projet de Luc Chatel de supprimer l'enseignement de l'histoire-géo en terminale S.
C'est justement le moment que choisit Henri Guaino pour entrer. Il est, lui aussi, régulièrement absent de ces réunions dont il dédaigne le rituel. Son arrivée tardive et inopinée se fait dans un silence de plomb. Claude Guéant, qui est l'arbitre de ces colloques matinaux, l'accueille d'un : «nous parlions justement de l'histoire…». «Je m'en doutais», lui répond Guaino, extrêmement remonté contre le projet Chatel. Raymond Soubie lui reproche de ne pas seulement «déstabiliser le gouvernement» mais aussi de «déstabiliser le président». Soubie sait très bien que dans les réformes de l'éducation, «si on lâche sur une filière, toutes les autres suivent». Un autre conseiller monte à la charge. «Tu offres un spectacle indigne. C'est la dignité de l'État qui est en jeu !», lui lance-t-il en lui reprochant l'accumulation des initiatives menées dans le dos du cabinet. Depuis la pétition suscitée auprès des députés pour réclamer que le grand emprunt national lève 100 milliards d'euros, jusqu'au recadrage d'Éric Woerth qui avait fait connaître son mécontentement.
Tout en reconnaissant son côté visionnaire, le staff présidentiel lui reproche en réalité son numéro d'éternel samouraï, seul contre le reste du monde. «Ça a été nucléaire», résume un témoin de la scène. «Un clash comme on n'en connaît qu'une fois par an à l'Élysée, et encore», admet un autre. Henri Guaino, quant à lui, a du défi plein les yeux. «Le président est le seul qualifié pour me juger !», s'indigne-t-il, ajoutant qu'il préfère «avoir le soutien d'Alain Finkielkraut et Max Gallo (signataires de la pétition, NDLR) que celui du Sgen-CFDT !» Il confie d'ailleurs en privé : «Les désaccords qui peuvent exister ne concernent que nous. Je ne me promène pas partout avec ma liste de griefs.» Avant d'asséner : «Je travaille avec le président, je ne suis pas le collaborateur des autres.» C'est bien ce que lui reprochent «les autres»…
Tragédien antique
Car Henri Guaino en est convaincu : «La suppression de l'histoire en terminale S n'est pas une erreur, c'est une faute.» Il le dit alors même que le chef de l'État a, à plusieurs reprises, apporté à son ministre de l'Éducation nationale son «soutien total». Même François Fillon est monté au front auprès de Nicolas Sarkozy, pour se plaindre des manières d'Henri Guaino. Il faut dire que le premier ministre, très conforté ces derniers temps dans son autorité auprès de ses ministres, en a plus qu'assez de ce «collaborateur». «Par qui a-t-il été élu ?», demande-t-il souvent.
Ce genre de grande scène, Guaino en est coutumier. «Il grimpe au rideau, et puis finalement ça s'arrange toujours», relativise-t-on à l'Élysée. Mais cette fois-ci, Guaino fait savoir plus souvent qu'à son tour qu'il en a assez des «décisions qui sont prises dans le dos, sans arbitrages». «Il en faut bien un pour lutter contre la technostructure, et le président apprécie ceux qui ont le courage de leurs convictions», décrypte un autre collaborateur, pourtant souvent en désaccord avec Guaino.
Il y a peu, Nicolas Sarkozy a confié à un proche qu'il n'entendait en aucune façon se séparer de son conseiller, dont il ne mésestime ni le dévouement ni ce qu'il lui a apporté. Mais, depuis quelques mois, Henri Guaino est plus sombre. Un ministre le décrit comme un tragédien antique «au côté du trépied fumant des entrailles d'un animal». Certes, Henri Guaino a perdu l'arbitrage sur le grand emprunt. Il prend acte, aussi, «qu'on ne veut pas de lui à la tête d'une grande entreprise, que ce soit EDF ou une autre», estime un ami du chef de l'État. «Plus il parle, moins il a barre sur les décisions. Le processus de divorce est en cours», veut néanmoins croire un visiteur du soir.
vendredi 11 décembre 2009
Henri Guaino fait des vagues à l'Élysée
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