TOUT EST DIT

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vendredi 3 octobre 2014

CORRUPTION, CLIENTÉLISME ET CENSURE DANS LE PAYSAGE MÉDIATIQUE GREC

Premier épisode d’une chronique sur la longue histoire de la corruption, du non-droit et de la censure dans le paysage des médias et de la presse en Grèce.
Cet article est le premier d'une chronique sur la longue histoire de la corruption, du non-droit et de la censure dans le paysage des médias et de la presse en Grèce. Une situation qui a empiré dans les dernières années dans le contexte de la dure crise économique qui touche le pays, mais qui a une histoire profondément enracinée dans le paysage politique grec.
Des salariés licenciés, occupant illégalement l'ERT, pendant une retransmission au siège d'Athènes, Grèce, le 18 juin 2013 (Photo Angelos Tzortzinis /The New York Times)

La première partie ci-dessous sera suivie d'articles couvrant des sujets tels que la radiodiffusion, les blogs et Internet, les réseaux sociaux, le journalisme et l'information, la corruption économique, et l'extinction du diffuseur national public ERT, qui seront publiés dans Truthout et Okeanews dans les prochaines semaines.
Il y a un an, la Grèce fut, une nouvelle fois, poussée sous les feux de l'information internationale. Le 11 juin 2013 le gouvernement grec, soudainement et par surprise, ferma l'ERT, l'office public de diffusion audiovisuelle du pays. Ce soir-là les fréquences utilisées par l'ERT devinrent muettes, mettant un terme à une institution qui existait sans interruption depuis 1938. Cette fermeture d'un média audiovisuel public, sans précédent, a suscité de nombreux gros titres à l'international, et durant plusieurs semaines de l'été 2013, de nombreux journalistes et correspondants de presse l'ont rapportée comme étant l'exemple le plus récent et le plus flagrant de la limitation de la liberté d'expression et de la liberté de la presse dans la Grèce en pleine crise.
Ce que ne disait pas, cependant, la plupart des journalistes, Grecs ou étrangers, qui relataient la fermeture de l'ERT, était le fait qu'il y avait eu des précédents en Grèce. Ce n'était que le dernier exemple, dans la longue histoire de l'interventionnisme gouvernemental et de la censure des médias, qui couvre des décennies et qui comprend plusieurs autres cas où le gouvernement en place a exercé force et contrainte sur les médias.
Cette série d'articles relatera la longue histoire de la corruption du gouvernement, de la censure et de l'injustice envers la presse et l'audiovisuel en Grèce, la manière flagrante dont le gouvernement et les nababs des médias se moquent actuellement des lois encadrant la presse et les médias, ainsi que la pente dangereuse qui mène de la liberté d'expression à la censure. Dans ce contexte, la fermeture de l'ERT l'été dernier n'est qu'un des éléments dans un ensemble plus large de corruption, de jeux d'influences entre le pouvoir et les patrons des médias, et de l'accroissement du nombre des lois contraignantes, marque de fabrique de l'asservissement du système médiatique grec depuis des décennies.

Arrière-plan : l'écheveau des relations entre l'Etat et les médias.

Avant même l'arrivée des radios et télévisions privées en Grèce en 1987, le pays offrait un large éventail de journaux et périodiques. Mais alors que beaucoup de ces publications circulaient, peu d'entre elles étaient considérées comme étant objectives et indépendantes. Evidemment beaucoup étaient vues comme des moyens destinés à exercer des pressions sur le pouvoir en place. Peu de ces journaux furent jamais rentables, mais dans la plupart des cas, le profit n'était pas l'objectif premier de leurs patrons. Ces journaux suivaient plutôt des buts politiques spécifiques, au service de partis ou d'hommes politiques tout en servant d'outils à la promotion d'autres intérêts financiers de leurs propriétaires, en vue de l'obtention de contrats ou de privilèges. Il a souvent été dit que nombre de grands patrons d'entreprises, dans leurs négociations avec les politiciens, les menaçaient de lancer un journal s'ils n'obtenaient pas un contrat ou une faveur. De nombreux spécialistes des médias et de la presse ont décrit les pratiques dominantes dans les médias comme clientélistes et instrumentalistes, avec des relations entre la presse et le pouvoir fondées sur l'optimisation politique et le profit économique plutôt que sur le marché de l'information et l'intérêt du public.
Un exemple est le journal "Avriani", qui est apparu sur le devant de la scène à la fin des années 1970 après la victoire électorale du PASOK et d'Andreas Papandreou. Avriani a fortement soutenu Papandreou et s'est retrouvé en tête des chiffres de diffusion dans le pays, avec un journalisme très partisan et souvent complaisant qui fut appelé "avrianisme" et qui n'hésitait pas à calomnier les concurrents de Papandreou, à l'intérieur comme à l'extérieur du PASOK, ainsi que d'autres personnalités dont les choix politiques heurtaient ceux du PASOK. Dans les faits, Avriani agissait comme un organe du PASOK et de Papandreou en particulier et on le retrouvait dans les bureaux de l'administration et des ministères. Le journal avait été fondé par Giogos Kouris, dont la famille deviendrait, au cours des années suivantes, un acteur de premier plan du secteur des médias grecs ainsi que de l'arène politique. Et bien sûr, le frère de Kouris, Makis Kouris, fut élu député du PASOK au parlement à la fin des années 1980.
Alors que la censure officielle de la presse a existé à plusieurs moments de l'histoire de la Grèce moderne, dont l'époque de la dictature militaire de 1967 à 1974, des formes plus subtiles de censure et d'auto-censure ont toujours caractérisé la presse grecque. Et la télédiffusion radio et TV n'a pas été épargnée. L'EIR (Office National de radio) reflétait les intérêts politiques du gouvernement en place et cela fut accentué lors de la dictature de la junte. En 1970, trois ans après la prise du pouvoir par la junte militaire, EIR fut rebaptisé EIRT, pour inclure l'ajout de la télévision, pendant qu'un réseau des forces armées, YENED, était également lancé. Evidemment, YENED, avec son orientation militariste, resta diffusée après la chute de la dictature en 1974, conservant son nom jusqu'en 1982 lorsque fut formellement créée l'entité nommée ERT .
Pendant cette période, comme dans d'autre pays européens, la télédiffusion resta un monopole d'état, sans opérateur privé autorisé. Et quel que soit le gouvernement en place, la télédiffusion d'état était considérée comme un outil de propagande gouvernementale plutôt que comme une entité d'intérêt public. Bien sûr, cette structure était reconnue par la Constitution nationale qui fut ratifiée après la chute de la junte. L'article 15 de la Constitution plaçait la télédiffusion sous le contrôle direct de l'état et ce n'est qu'en 1987, par décision du Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative, que cette clause fut abolie pour permettre une télédiffusion privée sous la "supervision de l'état" .
Ce fut en 1987 que le monopole d'état de la télédiffusion fut abrogé. Sans surprise, cependant, ce ne fut pas pour permettre la pluralité ou même la dérégulation du marché, mais dans des buts politiques. Les premiers télédiffuseurs "privés" furent les stations municipales de radio qui furent créées dans plusieurs villes grecques importantes et dont la première fut Radio Halkida à Halkida, suivie par d'autres à Athènes (Athènes 9.84), Thessalonique (FM 100), Piracus (Canal 1) et ailleurs, dans la même année. Les maires de ces cités avaient tous été élus avec le soutien du parti "Nouvelle Démocratie" , au cours de l'année d'élections municipales, et ces chaînes de radio avaient été lancées pour être des contrepoids à l'ERT et au gouvernement national où le PASOK était toujours au pouvoir.
Même auparavant, les nombreuses radios pirates qui avaient émergé tout au long des années 1980 , avec des stations très politisées comme Kanali 15 et Tyflopontikas FM, représentaient souvent des intérêts politiques, et beaucoup de ces radios furent brutalement réduites au silence par la police grecque et le Ministère des Communications, avec de temps à autre, les assauts de la force publique retransmis en direct sur les ondes.
A la suite de la décision du Conseil d'Etat de 1987, le Parlement grec vota la loi 1790/1987, suivie par le décret présidentiel 25/1988 qui établirent le droit d'autorisation de stations de radio privées au niveau local. Un petit nombre de licences fut émis mais il devint vite apparent qu'il n'existait pas de cadre dans lequel la loi pouvait être mise en oeuvre et les licences exercées. Au cours de la période couvrant la fin des années 1980 jusqu'au début des années 1990, les stations de radio privées commencèrent à proliférer, opérant souvent sans licence ou avec de pseudo-licences émises par les autorités locales. Presque du jour au lendemain, un monopole d'état se transforma en un "tout est libre" presqu'entièrement non régulé, avec des centaines de stations créées à travers le pays et plusieurs dizaines rien qu'à Athènes. Alors que beaucoup de ces radios furent lancées par des passionnés de radio, des petits entrepreneurs et des anciens "pirates", beaucoup d'autres furent créées par des groupes d'intérêts commerciaux et des diffuseurs de presse. Des figures comme l'armateur Minos Kyriakou (Antenna FM), Christos Lambrakis (Top FM) et Giorgios Koskotas (Sky) sont devenues des leaders sur le marché en pleine expansion de la radio. Evidemment, le panorama de la radio grecque de l'époque fut décrit comme une "jungle hertzienne" où "seuls les forts survivent". Il faut noter qu'une nouvelle loi qui réservait une petite frange des fréquences (de 100.7 à 107.4 MHz) aux radios non commerciales et associatives ne fut jamais mise en application.
Après le lancement des radios privées les pressions sur le gouvernement pour obtenir la libéralisation de la télévision se sont accrues. Initialement, et le gouvernement PASOK, et l'ERT furent hostiles au changement réclamé, mais ils ont commencé à fléchir en 1988 quand l'ERT a retransmis plusieurs chaînes internationale de télévision par satellite sur le réseau terrestre UHF d'Athènes. Ces chaînes comprenaient CNN International, l'Allemande SAT1, Horizon de l'URSS, RAI Due d'Italie, TV5 de France et Super Channel du Royaume-Uni. Ces chaines furent lancées pour freiner la demande pour des chaînes de télévision privées grecques, mais ce fut l'opposé qui arriva: l'appétit du public pour plus de diversité s'accrut. Dans la ville de Thessalonique le maire nouvellement élu lança TV 100, le pendant de la radio municipale Radio 100, en même temps qu'il faisait diffuser plusieurs chaînes de télévision par satellite. Au Pirée, la municipalité lança TV Plus, qui introduisit la télévision payante en Grèce, diffusant plusieurs programmes de début de soirée (prime-time), avec des films grand public, par abonnement mensuel et location d'un décodeur.
Ces deux initiatives firent face à de nombreux obstacles et à des tentatives de censure. Dans le droit fil de l'action brutale exercée par le gouvernement dans le traitement des radios pirates dans les années 1980 et laissant présager de plusieurs autres actes musclés, dont la fermeture d'ERT en 2013, le gouvernement envoya la police anti-émeutes investir les installations municipales de diffusion à Thessalonique, ainsi qu' à Athènes, où des salariés de la chaîne municipale et des employés municipaux, ainsi que des conducteurs de véhicules sanitaires furent mobilisés pour bloquer la route d'accès à l'antenne d'Athéna 9.84 et empêcher sa fermeture par la police. De la même manière, les émissions de TV Plus furent fréquemment la cible de brouillages de l'ERT, qui diffusait des programmes de télévision par satellite sur les fréquences utilisées par TV Plus, forçant celle-ci à constamment se repositionner sur d'autres fréquences. Il faut cependant noter que, dans les faits, le monopole de la télévision d'état avait été brisé antérieurement, dans les années 1980 grâce à des moyens ingénieux et toujours avec un objectif politique. Le politicien Georgos Karatzaferis, personnalité du parti "Nouvelle Démocratie", commença à diffuser des programmes vidéo sur abonnement, avec des enregistrements de ses entretiens politiques, proposant des points de vue politiques que l'on ne pouvait pas trouver alors sur l'ERT contrôlée par le PASOK.
En 1989, l'instabilité politique croissant et une fragile et inhabituelle coalition ayant émergé entre à droite "Nouvelle démocratie" et à gauche "Synaspismos", une nouvelle loi fut votée qui ouvrit formellement la voie à la télévision privée. A noter que la loi 1866/89 qui libéralisa l'industrie télévisuelle fut une loi sur mesure: elle stipulait, parmi les critères de sélection en vue de l'obtention d'une licence, la nécessité d'une expérience ou compétence préalable du requérant en matière de médias de masse ou bien son exercice dans une municipalité.
Ces clauses garantissaient dans les faits que les premières licences seraient conformes aux intérêts des principaux diffuseurs du pays et des autorités locales. Comme le montrèrent les années suivantes, une législation sur mesure (ou "sur portrait") devint un outil habituel du gouvernement pour contrôler la télédiffusion au profit d'intérêts politiques ou d'affaires.
Finalement, le gouvernement de l'époque décida d'attribuer deux licences de télévision nationale, mais conformément à ce qui allait devait devenir un thème récurrent, les autorisations étaient à base de politique: la première licence fut donnée à un consortium de diffuseurs importants de "centre-gauche" et d'hommes d'affaires alors proches du PASOK, comprenant Lambrakis, Vardi Vardinogiannis, Ionnis Bobolas, Christos Tegopoulos et Aristidis Alafouzos. Ce fut Mega Channel, lancée en novembre 1989. L'autre licence fut attibuée à un consortium de "centre-droit", incluant des hommes d'affaires comme Socratis Kokkalis ainsi que plusieurs diffuseurs de centre-droit, qui créa Nea Tileorasi. Cette dernière chaîne, pourtant, n'a jamais émis qu'un signal test. Mais la scène était en place pour une "libéralisation sauvage" de la télévision et l'entrée d'une nouvelle machine à pouvoir.

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