TOUT EST DIT

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mardi 10 juin 2014

La perestroïka à la française


« Etes-vous satisfaits du nouveau découpage régional ? » - questionne le Figaro. « Non » - répondent 70% des 55 501 votants.

« A qui va profiter le nouveau découpage en 14 régions ? » - s’interroge FranceTVinfo, en enquêtant sur les chiffres du chômage et sur la réforme structurelle qui devrait accompagner la réorganisation régionale. La réponse est : « Nous sommes donc toujours très loin des Länder Allemands ou des régions autonomes Espagnoles ».
« Jamais la Bretagne, ses élus, son peuple, n'ont été traités avec autant de mépris ces cinquante dernières années, » - tape le point sur la table Christian Troadec, Maire de Carhaix et leadeur des Bonnets Rouges.
Une décision de plus de François Hollande qui soulève les contestations et fait parler à travers toute la France. Jusqu’à l’opposition des radicaux, tels que Jean-Michel Baylet, le patron du Parti Radical de Gauche qui dénonce « une réforme à marche forcée où l’on fusionne des régions qui n’ont aucune histoire ni tradition en commun, et où l’on signe l’arrêt de mort du département »
Nous avons donc interrogé à ce sujet, le Vice-Président du Conseil Régional de la Bretagne Jean-Michel Le Boulanger.

La Voix de la Russie. Tout le monde parle de la reforme territoriale présentée par François Hollande. Peut-on dire qu’elle est ratée ?
Jean-Michel Le Boulanger. Non, je ne crois pas qu’on puisse dire ça, parce qu’il y a un certain nombre d’éléments positifs qui ont été proposés par Président de la République.
Au premier niveau – c’est le niveau communal. On a une particularité en France -d’avoir un émiettement communal basé sur les toutes petites structures. On a 36 000 communes en France, soit la moitié de toute l’Union Européenne. La première décision intéressante – c’est de développer des intercommunalités sur une base de population de 20 000 habitants. C’est une bonne chose.
Le deuxième élément – les départements qui sont nés il y a 230 ans avec la Révolution Française. Cette structure intermédiaire entre la commune et la région, va disparaitre. Je pense également que c’est une chose.
Troisièmement, et là encore, je trouve que c’est positif, les Régions vont être dotés des moyens et compétences nouvelles en domaine économique, en formation, éducation etc. Les grands éléments de structuration du territoire seront au niveau régional.
L’ensemble, malheureusement, en termes de communication est un peu voilé par la carte des nouvelles régions qui a été rendue publique par le Président. Elle entraine une extraordinaire cacophonie. Cette carte a été construite à l’Elysée, sans concertation – c’est le point faible de la communication du président dans la matière. Ca entraine énormément de désaccord un peu partout en France.
Je ne crois pas que ça soit « raté », parce qu’il y a beaucoup de points positifs. Mais, il a un point qui incontestablement est raté– c’est la nouvelle carte.
LVdlR. C’est quand-même extraordinaire, cela fait un moment qu’on en parle… Plusieurs grosses pointures de la politique bretonne œuvrent à ce projet de la reforme territoriale : Marylise Lebranchu dirige la commission à l’Assemblée Nationale, Paul Molac en fait partie… Et on n’arrive pas à faire cette chose si simple – rattacher la Loire-Atlantique à la Bretagne, tel qu’on le réclame à corps et à cris. Christian Troadec, Maire de Carhaix et leadeur des Bonnets Rouges, ne mâche pas ses mots : « Paris la nouvelle fois charcute la Bretagne »
N’était-ce pas le moment le plus facile de faire ce que les Bretons demandent depuis les décennies ?
Jean-Michel Le Boulanger. Effectivement, je crois que c’est une occasion ratée.
Le postulat du Président de la République a été de ne pas découper au sein des régions. De garder les régions ou de les réunir entre elles. Je pense que c’est une erreur. Il fallait reconsidérer le découpage des régions sur la base d’espaces vécus, des espaces ressentis, appropriés, avec une homogénéité culturelle, historique, économique.
C’était l’occasion. L’occasion a été ratée.
Pour autant, c’est très compliqué, parce que la Loire-Atlantique qui historiquement est bretonne appartient depuis plusieurs décennies à la région Pays de la Loire. Et la région Pays de la Loire c’est arcboutée sur son maintien, contre le départ de la Loire-Atlantique. Il y a eu un certain nombre de débats homériques.
Nous avons un certain nombre de Bretons au sein du gouvernement. Et je crois, et c’est dit d’ailleurs par toute la presse, que c’est Jean-Yves Le Drian qui d’une certaine manière « sauve » la Bretagne. Je ne connais pas les coulisses (de cette intervention), mais je sais qu’il y a eu quelques discussions houleuses. Le grand risque que nous avons couru c’est que la Bretagne soit rattachée au Pays de la Loire dans une espèce d’un grand région qu’on peut appeler le Grand Ouest, un peu mou, sans singularité forte, sans dynamique forte, sans homogénéité. Ce risque a réellement été couru. Heureusement que Jean-Yves Le Drian a pu in extremis maintenir la Bretagne. Malheureusement, à quatre (départements), mais la Bretagne se maintient.
LVdlRIl ne faut pas oublier le lien essentiel entre la vie citoyenne et la vitalité démocratique. Est-ce que ce découpage institutionnel va porter un coup à la mobilisation bretonne ? Ça risque de faire naitre beaucoup de déception, certains appellent la décision (du Président) « manœuvres de diversion » Est-ce que ce n’est pas trop tard de maintenir la mobilisation bretonne ? Ne fallait-il pas agir il y a quelques mois d’une manière plus poussée ?
Jean-Michel Le Boulanger. On peut toujours refaire l’histoire. C’est facile de donner les leçons a posteriori. Je crois que la Région Bretagne a donné très clairement son avis depuis plusieurs mois, plusieurs années même. Nous avons voté des vœux, nous avons participé à des nombreuses manifestations pour le retour de la Loire-Atlantique en Bretagne. Nous nous sommes engagés depuis plusieurs mois autour de l’idée de l’Assemblée de Bretagne, basée sur les cinq départements. La position de Bretagne a été connue.
Il y a un enjeu extrêmement important que vous venez évoquer, et c’est pour ça que ce découpage est raté : la vitalité démocratique de la France souffre aujourd’hui beaucoup. L’abstention se répand, il y a une distance de prise par rapport à la vie démocratique de ce pays. Les régions, dès lors qu’elles épousent l’espace vécu, l’espace approprié, dès lors qu’ils touchent au sentiment d’appartenance, à ce qu’on appelle « identité », peuvent être des leviers importants de cette vitalité démocratique qui est à reconstruire.
On se mobilise, quand on se sent « de quelque part » Les Bretons se sentent « de la Bretagne », se mobilisent dans la vie démocratique pour la Bretagne. Quand on est dans un ensemble mou qui ne répond pas à cette appropriation, ou à ce sentiment d’appartenance, quand on est dans la collectivité territoriale mal maitrisée par les citoyens, on n’a pas cet engagement, on n’a pas cette volonté de participation.
Je crois qu’il y a là une occasion ratée de connecter le découpage de nos régions avec le sentiment des citoyens, avec la volonté des citoyens… donc avec la participation des citoyens.
LVdlR. C’est une question toujours délicate – de savoir manier les sentiments dans la politique… Pour moi, les Bretons sont toujours un bon exemple de ce savoir-faire. Pourriez-vous dire deux mots sur l’Assemblée de Bretagne ? Peut-on la considérer en tant que Parlement de Bretagne revisitée à la façon moderne ?
Jean-Michel Le Boulanger. Si, d’une certaine manière. C’est une unité très singulière, très originale. En France, il n’y a pas d’autres projets de ce type aujourd’hui : fondre les départements et la région dans une seule entité qui s’appellerait Assemblée de Bretagne. Il n’y aurait plus de départements. Ce serait un exemple vivant, dynamique de décentralisation qui ne serait pas base sur la volonté du centre, qui ne serait pas la traduction d’une loi votée à Paris, mais qui serait l’émanation d’une volonté du terrain, de la région elle-même. C’est une démocratie de la décentralisation, une singularité qui devrait, je l’espère, voir le jour dans les mois à venir.
Quel sera le prochain pas dans la valse des régions ? Les Bretons arriverons-ils à leurs fins et réunifier la Bretagne historique ?
Il y a un fait quand même inquiétant là-dedans : l’information qui filtre sur les dernières heures des décisions de François Hollande montre le caractère souvent indécis dans la prise de positions. Un pas en avant, deux pas en arrière… « Le Tango a été inventé par un indécis, » - disait Félix Leclerc. Une chose est sûre – il ne faut pas prendre les gens pour les girouettes, les régions ne devraient entrer dans la ronde de la danse, mais être plutôt un point d’attache.

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